Avant de présenter son exposition «A Model», Rayyane Tabet (né au Liban en 1983) a reçu carte blanche de la part du Mudam pour occuper le Henry J. and Erna D. Leir Pavilion. Ce prélude est l’occasion pour l’artiste d’interroger le lieu dans lequel il intervient en formulant une proposition qui mêle l’histoire du Luxembourg, celle du Mudam et sa propre histoire personnelle.
Il faut dire que Rayyane Tabet est architecte de formation. Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit sensible au bâtiment de Ieoh Ming Pei et qu’il accorde une si grande importance au contexte dans lequel s’inscrit son projet. C’est pour cela qu’il s’est plongé dans l’histoire du Mudam, dans les méandres du chantier de construction du bâtiment et dans la composition progressive de la collection. De cette histoire, il retient quelques éléments saillants, les met en relation avec l’histoire du Luxembourg et l’histoire européenne, mais aussi sa propre histoire personnelle. Il en ressort un récit unique et singulier qui offre une lecture alternative au récit officiel.
Petite et grande histoires
En relatant des anecdotes issues de sa propre famille, il apporte une dimension très humaine, un affect qui, à travers l’histoire d’une famille en particulier, relate une histoire humaine bien plus large.
«Trilogy» est une installation spécialement conçue pour le pavillon et se déroule comme son nom l’indique en trois temps. On accède tout d’abord au pavillon par la passerelle qui passe par-dessus les vestiges de la forteresse et qui est habillée de part et d’autre de rideaux. Il s’agit d’un souvenir lié à la grand-mère de l’artiste qui avait choisi de faire installer dans les années 1950 dans leur appartement à Beyrouth de nouveaux rideaux en Tergal et ainsi s’approprier l’appartement familial que son mari et elle devaient habiter faute de pouvoir s’offrir leur propre logement. Malheureusement, il s’avèrera que cette matière était toxique et a causé de graves problèmes de santé aux ouvriers qui l’ont fabriqué pendant la Seconde Guerre mondiale et a contaminé les sols. Installés ici, ils interrogent l’architecture de verre de Pei, et la relation de domination de la culture sur l’art de la guerre.
Dans le pavillon est exposé l’ensemble de meubles conçus en 1930-33 par Alvar Aalto et sa femme Aino pour les chambres du sanatorium de Paimio dans lequel étaient reçus les patients atteints de tuberculose. Ce sanatorium était un lieu où les patients venaient pour la qualité de l’air et pouvaient ouvrir grand les fenêtres. Cet ensemble est la seule œuvre du musée à dater de bien avant 1989, date qui marque le début de la collection. Elle est mise en relation avec la guerre des Six Jours en 1967, où pendant six jours consécutifs, les civils de Beyrouth ont dû vivre un couvre-feu, parce que redoutant des attaques de bombardiers. Afin d’éviter de se faire repérer par les avions, les habitants – cloîtrés chez eux, avaient peint leurs fenêtres en bleu pour que la lumière à l’intérieur des maisons soit moins visible. C’est pour cela que les fenêtres du pavillon sont recouvertes d’un film bleu.
La dernière étape est à l’étage inférieur du pavillon, où plusieurs dizaines de carafes sont exposées sur des étagères. Il s’agit en fait d’objets en verre réalisés à partir des débris de fenêtres qui ont explosé suite à la déflagration qui a eu lieu sur le port de Beyrouth le 4 août 2020, explosion due à un entreposage négligent de 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium. Ces objets sont le symbole de la résilience, de la mémoire d’une politique corrompue et de l’injustice, puisque jusqu’à ce jour, personne n’a été accusé pour cette négligence qui a causé la mort de 230 personnes.
Ainsi, à travers ces trois étapes, la fenêtre apparaît comme motif récurent, tantôt comme ouverture sur le monde, écran de protection, ou devenant témoin d’un dysfonctionnement.
Pour accéder au contenu de ces histoires, les visiteurs doivent se munir du livret d’exposition dans lequel est imprimé un texte écrit par l’artiste. Et si par hasard lors de votre visite, l’artiste est là pour donner une lecture performative de ce texte, surtout ne le ratez pas!
Enfin, cette exposition peut être lue à une autre échelle également, qui est celle travaillée par , directrice du Mudam et commissaire de cette exposition. Après près de deux ans de recherches théoriques sur ce que doit être une institution muséale, elle en est arrivée à la conclusion que ce qui doit être au cœur du musée, ce devrait être «l’art, la communauté, le plaisir du jeu, l’amusement, le progrès – et, par-dessus tout, les artistes». C’est pourquoi elle a choisi de laisser parler les artistes de leur approche des musées. Et c’est ce qui se passe ici avec la proposition de Rayyane Tabet.
A Model: Prelude. Rayyane Tabet. Trilogy, jusqu’au 12 mai 2024, au Mudam.