Il est une de ces têtes bien faites luxembourgeoises qui sont souvent loin des radars des médias locaux et qui font leur bonhomme de chemin avec assurance. Diplômé de HEC Lausanne en 2014, master of science section finance de l’Université de Durham avec les félicitations du jury l’année suivante, Raphaël Steil finit ses études par sept mois avec les gestionnaires de fortune de BNP Paribas au Luxembourg avant de traverser le «Channel» pour la Deutsche Bank à Londres, où le jeune associé brille dans les dossiers de fusion-acquisition ou de financements XXL dans lesquels il est impliqué.
Mais l’idée, déjà, le taraude. Cette envie sourde de passer de l’autre côté de la barrière, de présider soi-même à sa destinée, sans attendre la crise de la quarantaine ou même celle de la cinquantaine.
A 29 ans, le Luxembourgeois s’embarque à bord de l’aventure dessinée par Christian Rokitta, comme lui diplômé d’un master of science centré autour des développements financiers et aussi capable de développer des logiciels. Les deux trentenaires en sont sûrs: les nouvelles générations ne délégueront pas à l’État-providence le soin de financer leurs retraites, et mieux vaut donc diriger sa propre politique d’investissement dans cette optique. Or, plus de 40% des millennials ne le font pas encore, 12% n’ont pas les connaissances nécessaires, 6% n’ont pas le temps et 72% se décrivent comme des autodidactes.
Entre les néobrokers et les robo-advisors
Les produits financiers ne sont pas un secteur à la portée du premier venu et peuvent être coûteux quand ils sont achetés auprès des acteurs traditionnels du secteur bancaire. Les premiers robo-advisors n’ont encore que des possibilités assez limitées. Avec la masse de données disponibles, il doit être possible de trouver une troisième voie, entre les positions conservatrices des uns et les prises de risques très rentables – mais inconsidérées pour les non – des autres.
C’est là, alors que la planète entre dans une retraite forcée pour cause de Covid, que les deux hommes lancent Getquin. Une application communautaire comme un réseau social des investisseurs. Le client potentiel peut avoir – ou pas – des titres, il peut suivre toutes les actions et obligations à partir des données fournies par les bourses. Si la fintech n’offre pas de conseil en investissement, elle a tout de même une licence de gestionnaire de fonds du régulateur allemand.
Une fois inscrit, l’utilisateur peut décider de suivre les titres qui l’intéressent dans un portefeuille virtuel, qui va donc lui dire comment l’action se comporte dans la durée et lui proposer le panachage d’actions – puisque les bonnes stratégies d’investissement consistent à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier – mais aussi de voir comment d’autres investisseurs font évoluer leur portefeuille et même de discuter avec eux.
100.000 utilisateurs en moins de 18 mois
100.000 utilisateurs ont rejoint l’aventure lancée en mars 2020. La start-up, qui a bouclé une première levée de fonds d’un million d’euros l’été suivant auprès d’APX – premier investisseur dans N26 – et de Sino AG – qui a financé Trade Republic – et en a finalisé une seconde en septembre, va «attaquer» de nouveaux marchés (la France, les Pays-Bas et le Brésil) dans les semaines qui viennent. Objectif de ce réseau pédagogique pour investisseurs non professionnels: enrôler deux millions d’utilisateurs d’ici la fin de l’année prochaine.
Comment vont-ils gagner de l’argent? En ajoutant des services et en permettant de réunir les investissements pris dans différents endroits en un lieu unique, grâce à PSD2. À côté de Trade Republic, qui permet d’acheter directement certains titres en actions ou en ETF, Getquin ressemble à une deuxième jambe communautaire qui aura son propre outil de comparaison: vous contre un leader en termes de rentabilité de son portefeuille, vous contre un utilisateur lambda, ou vous contre le marché. «Nous ne sommes pas un casino en ligne», explique M. Steil, «mais se comparer est un phénomène naturel. Nous voulons à la fois désacraliser cet univers et faire prendre conscience des risques.»
«Berlin est l’endroit idéal pour nous développer, entre accès aux talents et accès aux financements», assure-t-il. Non sans promettre de repasser régulièrement au Luxembourg. «Une petite semaine tous les deux mois».
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