Cycliste professionnel à 19 ans, Andy Schleck avait été contraint de mettre un terme à sa carrière en 2014. Il a ouvert son magasin de vélos à Itzig en 2016 mais aussi investi dans plusieurs autres projets, dont la start-up nZero. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Cycliste professionnel à 19 ans, Andy Schleck avait été contraint de mettre un terme à sa carrière en 2014. Il a ouvert son magasin de vélos à Itzig en 2016 mais aussi investi dans plusieurs autres projets, dont la start-up nZero. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Retraité des pelotons depuis 2014, Andy Schleck peut être vu comme un modèle de reconversion. L’ex-vainqueur du Tour de France s’est mué en chef d’entreprise et en organisateur d’événements, il a notamment aussi parié à bon escient sur une start-up spécialisée dans la réalisation de bilans carbone.

 Le Tour de France arrivera le 7 juillet à Longwy, et ce, pour la deuxième fois en cinq ans. Au Luxembourg, s’il y a bien eu un départ de Mondorf en 2017, on attend une arrivée d’étape depuis 2006. Comment explique-t-on une si longue absence?

«C’est dommage que nous ne profitions pas plus de la volonté de la société organisatrice du Tour de sortir des frontières de l’Hexagone. Au Luxembourg, la première chose que l’on entend lorsqu’on évoque un arrêt de la Grande Boucle sur notre territoire, c’est le gros investissement financier que cela demanderait. Par contre, on ne songe pas assez aux retombées qui seraient générées. On oublie que le Tour est le troisième événement le plus suivi dans le monde après la Coupe du monde de foot et les Jeux Olympiques, avec un nombre d’heures consommées par les (télé) spectateurs que l’on chiffre en milliards… C’est une réflexion que je trouve typiquement luxembourgeoise.

En France, par exemple, tout cela est vu avec beaucoup plus d’enthousiasme. Et, au Danemark, où j’ai été convié dernièrement en vue du grand départ du Tour prévu cette année à Copenhague, les Danois se rendent bien compte de l’opportunité qui leur est offerte. Ils n’ont pas lésiné sur les moyens afin de proposer un spectacle unique. Le Tour est aussi un événement qui peut faire étape au sommet d’un col comme celui du Galibier où on ne trouve que deux parkings. Il ne faut donc pas penser, comme certains, que nous ne possédons pas, au Grand-Duché, les infrastructures nécessaires pour recevoir une telle manifestation.

Que manque-t-il alors? 

«Dans l’absolu, et idéalement, le Tour devrait faire escale chez nous tous les trois ou quatre ans. Mais pour que, un jour, il en soit ainsi, nous avons besoin qu’une impulsion soit donnée. Il faudrait un project manager qui prenne un tel dossier en main…

(LSAP), l’actuel ministre des Sports, n’a jamais caché son amour du vélo. C’est un gros avantage?

«C’est vrai. La commune dont il était bourgmestre, Sanem, a organisé les Championnats du monde de cyclo-cross en 2017. Un bel événement ayant rassemblé 30.000 personnes. Cela ne fait que quelques mois qu’il est en fonction au ministère, et on doit donc lui ­laisser du temps.

Amaury Sport Organisation (ASO), la société organisatrice du Tour de France, ficelle souvent ses dossiers avec pas mal d’avance. Je ne suis donc pas sûr qu’on puisse espérer quelque chose dans les quatre ou cinq ans à venir. Moi, ce dont je rêve, c’est d’un grand départ, comme le Luxembourg l’a déjà organisé en 1989 et 2002. Un prologue suivi d’une ou deux étapes sur notre sol. Actuellement, je suis trop pris par mes activités professionnelles, mais, à terme, j’avoue que ramener le Tour au Luxembourg est le genre de défi qui me tente. Mon profil peut convenir à un tel challenge. Je connais bien ASO. Et puis, depuis 2017, je suis aussi président et directeur de course du Skoda Tour de Luxembourg…

En tant que président, quelles ambitions avez-vous pour le Tour de Luxembourg?

«Nous évoluons actuellement en ProSeries, soit la D2 des compétitions cyclistes mondiales, et c’est un niveau qui nous convient. En 2021, huit millions de téléspectateurs ont regardé notre course. Et ce, rien que via Eurosport, qui la diffusait dans 83 pays.

Le Tour de Luxembourg va devenir la première course cycliste à effectuer son bilan carbone.
Andy Schleck

Andy SchleckDirecteurAndy Schleck Cycles SA

Pourquoi ne pas vouloir accéder au niveau supérieur, le World Tour, où l’on retrouve les plus grandes courses du monde? 

«Nous sommes une asbl, certes avec un budget assez important (environ un million d’euros, ndlr) mais qu’il n’est pas toujours simple de réunir. Le marché luxembourgeois est bien plus petit que celui de nos voisins. Là où un sponsor offre 300.000 euros en France, il en donne peut-être 30.000 chez nous… Passer à l’échelon supérieur demanderait beaucoup de changements, à commencer par nos partenaires actuels. Et c’est un sacrifice que je ne veux pas faire. Il n’est pas conciliable avec les ambitions que je me suis fixées à mon arrivée. Désormais, tous nos fournisseurs sont luxembourgeois. On ne se dirige vers des marques étrangères que si un produit n’est pas élaboré sur notre territoire. Financièrement, je ne le cache pas, c’est moins intéressant. Mais il est important de le faire parce que nous sommes le Tour de Luxembourg.

Ce fameux World Tour, je le garde néanmoins dans un coin de ma tête, mais plutôt pour l’organisation d’une course d’un jour.

Vous voulez créer une «classique» de premier plan au Luxembourg? 

«Oui. C’est un projet qui n’en est plus au stade du rêve. On a dépassé celui-ci, désormais. J’ai même une échéance en tête: 2025 ou 2026 pour la première édition. Sur le marché actuel du cyclisme, si vous voulez que votre course attire l’œil, vous devez soit pouvoir mettre en avant l’histoire de celle-ci – comme Liège-Bastogne-Liège ou Paris-Roubaix –, soit vous appuyer sur un concept marquant. Et je pense avoir l’idée qui nous différencierait des autres: une épreuve avec un départ et une arrivée au Luxembourg, mais qui traverserait les frontières des quatre pays de la Grande Région. Les coureurs passeraient ainsi, dans la même journée, au Luxembourg, en Belgique, en France et en Allemagne.

Andy Schleck voyage aussi beaucoup. Il sera notamment présent durant tout le Tour de France, en tant qu’ambassadeur de la marque Skoda, un des sponsors principaux de la Grande Boucle. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Andy Schleck voyage aussi beaucoup. Il sera notamment présent durant tout le Tour de France, en tant qu’ambassadeur de la marque Skoda, un des sponsors principaux de la Grande Boucle. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Présider et diriger le Tour de Luxembourg n’est qu’une de vos activités. Vous vous êtes beaucoup diversifié depuis votre départ du peloton en 2014…

«Mon activité principale, c’est le magasin de vélos que j’ai ouvert à Itzig. En parallèle, je voyage encore beaucoup pour des événements liés au cyclisme. Depuis que le Covid-19 est moins présent, c’est d’ailleurs reparti à 200 à l’heure sur ce plan-là. Ainsi, je serai notamment présent durant tout le Tour de France, en tant qu’ambassadeur de la marque Skoda, un des sponsors principaux de la Grande Boucle. J’y accompagne les VIP les plus importants en les guidant dans le monde du Tour. 

J’ai également investi dans une entreprise de fabrication de selles en carbone située à ­Filsdorf et je fais partie des gens qui ont aidé à la naissance d’une start-up américaine, ­baptisée nZero, spécialisée dans la réalisation de bilans carbone. En septembre, le Tour de Luxembourg va d’ailleurs devenir, à ma connaissance, la ­première course cycliste à effectuer le sien.

Le but est de réduire les émissions de CO2 du Tour de Luxembourg et de tendre vers la neutralité carbone? 

«L’objectif est d’optimiser notre impact. ­D’obtenir des chiffres concrets, histoire de pouvoir ­demander ensuite un rendez-vous avec l’État, mais aussi avec nos principaux sponsors, pour leur dire: ‘Voilà où nous en sommes, et voici nos aspirations objectives pour le futur. Est-ce que vous nous soutenez?’ Le Tour de Luxembourg représente 120 voitures, une trentaine de motards, 120 coureurs, environ 200 chambres d’hôtel, etc. Et ce, pendant cinq jours de course (du 13 au 17 septembre en 2022, ndlr).

Nous avons un certain impact, en tant qu’événement sportif majeur au Luxembourg. Et je suis curieux de voir comment nous pouvons évoluer en un an, puis à plus long terme. Mais ce que j’aimerais surtout, c’est que cette démarche serve d’impulsion, afin qu’un jour on en arrive à ce qu’un Tour de France, par exemple, effectue la même démarche.

On ne peut pas dire que le problème cli­matique soit, habituellement, la première préoccupation du monde du sport en général, et du cycliste en particulier. D’où vient votre intérêt pour ce domaine?

«C’est un sujet qui me passionne. Vous savez, par exemple, que si vous remplacez 692km de conduite en voiture par 692km sur un vélo de la marque Trek, vous compensez alors le coût du carbone pour la fabrication de ce même vélo? Ils appellent cela ‘la règle des 692’… J’ai deux enfants et, comme tous les pères, je veux qu’ils grandissent dans un monde différent de celui qu’on leur promet pour le futur. Si on veut essayer d’atteindre les objectifs climatiques fixés pour l’horizon 2050, il faut bouger, des initiatives doivent naître. Investir dans nZero va dans cette logique-là.

Après ma carrière de cycliste, j’ai participé aux États-Unis à des événements privés ­baptisés Champions & Friends où on me conviait pour rouler aux côtés d’entrepreneurs importants. Cela m’a permis de côtoyer pas mal de monde et, notamment, de faire la connaissance des personnes qui sont derrière cette start-up. Nous avons commencé petit et, aujourd’hui, nZero compte 120 employés, avec des bureaux en Californie, à Londres, à New York, mais aussi, ici, à Luxembourg.

Le développement du vélo électrique est à la base du grand boum de ces dernières années. Bien plus que la crise sanitaire.
Andy Schleck

Andy SchleckDirecteurAndy Schleck Cycles SA

Saviez-vous que votre vie professionnelle prendrait cette direction quand vous avez quitté le peloton en 2014?

«Non, pas du tout. Je n’avais que 29 ans. J’ai eu besoin de quelques mois afin de faire le point. Il le fallait. Du jour au lendemain, je suis passé d’Andy le cycliste à Andy l’ancien cycliste. Cela a été un moment compliqué. Dans un sens, j’ai dû réapprendre la vie. Au début, j’ai pris pas mal de poids que j’ai, en partie, perdu aujourd’hui. Désormais, je pèse toujours 20 kilos de plus que lorsque je courais, mais il faut dire que j’étais particulièrement maigre à l’époque puisque j’affichais 66kg sur la balance (pour 1,86 m, ndlr). 

Comment avez-vous débuté Andy Schleck Cycles, votre magasin de cycles?

«Au bout de quatre ou cinq mois, j’ai découvert l’immeuble qui abrite désormais mon magasin de vélos. J’y ai vu un beau challenge. Le souci était que je ne savais pas comment fonctionnait une entreprise. Du coup, pendant un an, j’ai travaillé dans celle de mon beau-père, la société Delvaux, située à Itzig, spécialisée en salles de bains, piscines, wellness, etc. J’y ai beaucoup appris: comment gérer les stocks, l’administratif, etc. Et cela, en même temps que je montais mon propre magasin. Se lever tous les matins à 6h pour aller au bureau n’a pas été simple. Qui plus est que je n’étais jamais le premier à partir le soir. Je ne le voulais pas. Si le cyclisme m’a appris une chose, c’est bien que si tu veux quelque chose, il faut travailler pour l’obtenir.

Le succès est-il au rendez-vous?

«Plutôt bien, puisque nous affichons un chiffre d’affaires qui oscille entre trois et quatre millions d’euros, tout en comptant 14 employés. J’ai remarqué que notre marché est loin d’être saturé au Luxembourg. D’ailleurs, après avoir noté qu’il n’y avait pas vraiment d’offre sur la Moselle, alors que, pourtant, tous les cyclistes y roulent, je viens d’ouvrir un deuxième ­magasin, à Mertert. Autre atout: Trèves et ses 120.000 habitants ne sont qu’à une dizaine de kilomètres. Les Allemands sont assez friands du service haut de gamme que nous fournissons. Or, j’ai toujours voulu un très haut niveau de qualité, qu’on offre un accueil personnalisé à chaque client. Que ce dernier passe la porte pour acheter un vélo à 300 euros ou à 13.000 euros, on lui propose un café, on discute, on permet de tester sa position sur le vélo via notre fitting studio, on amène le vélo au domicile de l’acheteur, etc. Au besoin, nous fournissons aussi les assurances en direct et nous pouvons même proposer une formule de financement. 

Vous comptez continuer à grandir?

«Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis bien avec mes deux magasins. Grandir trop vite pourrait signifier une perte de la qualité du service. Qui plus est, je connais déjà des difficultés à trouver du personnel qualifié à l’heure actuelle…

La pandémie a-t-elle été un accélérateur pour le marché de la vente de vélos?

«J’évaluerais à 30% l’augmentation de notre chiffre d’affaires pendant la crise sanitaire. Une évolution qui a eu tendance à perdurer. Mais, à mes yeux, c’est surtout le développement du vélo électrique qui est à la base du grand boum de ces dernières années. Bien plus, selon moi, que la crise sanitaire. Les utilisateurs se rendent compte qu’il apporte les avantages du vélo sans la contrainte de la fatigue. Actuellement, chez nous, il représente une part de marché d’environ 40%. Nous sommes loin des 95% qu’on voit en Autriche ou en Suisse, des 70% au ­Danemark et même des 60% valables en France. Ce qui me pousse à penser qu’il nous reste donc une belle marge de progression dans le futur. 

Vous avez une équipe cycliste féminine à votre nom dans le peloton professionnel. Est-ce une autre manière de promouvoir votre magasin?

«Quand on a ouvert ce dernier, je me suis dit que nous devions cultiver notre propre ­communauté autour du vélo. Nous avons donc commencé à organiser des sorties le week-end. Mais on s’est vite rendu compte que très peu de femmes y prenaient part. Moins qu’ailleurs en Europe. Nous avons analysé la chose, et il s’est avéré qu’elles n’aimaient pas rouler avec les hommes. Nous avons donc créé des sorties qui leur étaient réservées, tout en organisant également des workshops spécialement pour elles. Et cela a débouché sur la création d’un club cycliste et, ensuite, d’une équipe – également soutenue par les sociétés Creutz & Partners et Immo Losch – évoluant au deuxième échelon mondial. Elle est composée de coureuses semi-pros.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam du mois de juillet 2022 parue le 22 mai 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine.

Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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