Professeur de finance à NYU-Stern, Viral Acharya a été vice-gouverneur de la banque centrale indienne (RBI) de 2017 à 2019. (Photo:  DR )

Professeur de finance à NYU-Stern, Viral Acharya a été vice-gouverneur de la banque centrale indienne (RBI) de 2017 à 2019. (Photo: DR )

De passage à Luxembourg, le professeur Viral Acharya, référence mondiale en macro-finance, explique que l’objectif d’inflation de 2% aux États-Unis et en Europe n’est pas un totem. Atteindre ce but doit être un préalable à toute discussion sur un objectif moins ambitieux.

Professeur de finance à NYU-Stern et ancien vice-gouverneur de la banque centrale indienne (RBI), Viral Acharya est l’invité de marque d’un séminaire organisé conjointement, ce mercredi 28 février, par le Mécanisme européen de stabilité (MES) et l’Université du Luxembourg. Avant son passage dans la capitale, il partage ses inquiétudes sur la situation macro-financière mondiale.

Lors de ce séminaire, vous présenterez vos travaux sur les bons du Trésor américain et leur rôle de refuge pour les investisseurs mondiaux. Quel est votre propos?

Viral Acharya. – «Je cherche à comprendre à quels moments, et pour quelles raisons, le monde est prêt à payer une prime supplémentaire pour détenir des bons du Trésor américain. Le dollar est la monnaie de réserve mondiale depuis près d’un siècle. Cependant, il arrive que les investisseurs doutent de la sûreté et de la liquidité des bons du Trésor. Lorsque l’inflation est élevée, lors des impasses sur le plafond de la dette ou quand le gouvernement émet beaucoup de dettes en raison de déficits importants, la prime peut se réduire considérablement. Elle n’est donc pas acquise: le gouvernement américain et la Réserve fédérale (Fed) doivent œuvrer ensemble pour la maintenir.

Aux États-Unis, l’inflation est un sujet majeur de la campagne présidentielle. Est-elle sous contrôle?

«L’inflation commence certainement à diminuer, mais le dernier kilomètre n’est pas négligeable. L’inflation sous-jacente (l’augmentation des prix des biens et services sans prendre en compte les éléments les plus volatiles comme l’énergie et la nourriture) est encore autour de 4% et parfois en hausse.

Maintenir un équilibre entre inflation et croissance est-il à la portée de la Fed?

«Les conditions financières aux États-Unis restent, dans l’ensemble, assez souples, bien que certains secteurs, comme les petites entreprises empruntant auprès de petites banques, connaissent un resserrement. Le marché boursier est plutôt surévalué, et la consommation ainsi que l’activité des entreprises sont très dynamiques.

Mon inquiétude ne porte pas tant sur l’inflation ou la croissance en elles-mêmes, mais sur le fait que le marché anticipe des baisses de taux de la part de la Fed, alors que le travail sur l’inflation n’est pas terminé. Ceci pourrait entraîner de mauvaises surprises, avec des taux d’intérêt élevés persistants, ce qui augmenterait le fardeau de la dette du gouvernement américain.

Qu’attendez-vous de Washington?

«Il est crucial pour la Fed de réduire davantage l’inflation, et pour le gouvernement de diminuer l’offre de dette américaine et d’éviter des situations de plafonnement de la dette car cela crée une incertitude politique pour les investisseurs. Si ces problèmes sont gérés avec succès, les États-Unis pourront préserver le statut spécial des bons du Trésor comme refuge mondial. Et donc emprunter à moindre coût.

L’Europe doit se préparer à un ralentissement durable de la Chine.
Viral Acharya

Viral AcharyaprofesseurNYU-Stern

Dans la zone euro, la dynamique inflationniste ralentit. Quelles implications pour la politique monétaire?

«À mon avis, la Banque centrale européenne (BCE) se trouve dans une situation assez similaire à celle de la Fed, mais peut-être un peu plus compliquée. Il devient difficile de continuer à vouloir ramener l’inflation à son niveau cible. Aux États-Unis, la Fed a plus de facilité à prendre cette décision car la croissance est forte, ce qui lui permet de maintenir une politique monétaire un peu plus stricte. En Europe, en revanche, il faut soutenir la croissance tout en maîtrisant l’inflation. C’est une situation délicate, typique d’une impulsion stagflationniste sur l’économie.

Voyez-vous des signaux rassurants à l’horizon?

«La préoccupation majeure semble être la contre-performance économique de l’Allemagne. La combinaison du choc pétrolier et du ralentissement chinois est manifestement difficile à gérer. L’Allemagne dispose de la marge nécessaire pour stimuler et investir dans son économie, mais il reste à voir dans quelle mesure elle est prête à agir en ce sens.

L’Europe a connu une inflation plus élevée pendant la crise énergétique et fait face à des problèmes liés au pouvoir de tarification des entreprises, ce qui rend le choc un peu plus profond. Se retrouver dans un environnement d’inflation élevée, où la banque centrale ne peut pas utiliser ses outils monétaires pour soulager l’économie, et en même temps connaître une faible croissance, est une situation particulièrement difficile.

Comment sortir de l’ornière?

«À mon avis, la solution passe par une recherche de gains de productivité, des réformes structurelles et peut-être des réformes du marché du travail, là où elles sont possibles. L’immigration pourrait également être une solution car de nombreuses régions d’Europe ne connaissent plus de croissance démographique. De plus, l’Europe doit se préparer à un ralentissement durable de la Chine, non seulement pour cette année mais pour de nombreuses années. Elle doit chercher de nouveaux moteurs de croissance moins dépendants de la Chine.

L’Europe doit s’adapter à une décennie déjà lente et à deux chocs majeurs survenus en moins de dix ans: la crise de l’euro et la crise sanitaire. Cela nécessite de trouver des moyens de relancer structurellement la croissance à un niveau plus élevé.

Le timing du changement d’objectif est crucial pour la crédibilité.
Viral Acharya

Viral AcharyaprofesseurNYU-Stern

Au regard des défis actuels, l’objectif d’inflation de 2% poursuivi par les banques centrales aux États-Unis et en Europe est-il encore pertinent?

«Il semble que nous ayons assisté à des gains de productivité ces dernières années, peut-être liés au télétravail ou au fait que le Covid-19 a conduit à des investissements plus efficaces en éliminant certaines entreprises moins performantes. Si ces évaluations sont correctes, il se pourrait que l’objectif d’inflation puisse être relevé. Cependant, une telle décision ne peut être prise à la légère. Elle nécessiterait l’examen approfondi d’un comité adéquat composé d’universitaires et de banquiers centraux.

Une telle démarche est-elle souhaitable?

«À mon sens, les banques centrales devraient se questionner sur le bon niveau d’inflation à cibler, compte tenu des changements survenus au cours des dernières décennies. Mais cela ne peut se faire à la hâte ni en plein milieu d’un processus de normalisation de l’inflation vers un niveau inférieur. Le timing du changement d’objectif est crucial pour la crédibilité.

Quel est le bon moment?

«Le moment le moins risqué pour procéder est une fois que l’objectif actuel est atteint, afin que cela n’apparaisse pas comme une correction en cours de route, donnant l’impression d’un changement d’objectif parce que l’objectif initial était hors de portée.»