Denis-Emmanuel Philippe prévient: mieux vaut s’y prendre dès aujourd’hui. (Photo: DR)

Denis-Emmanuel Philippe prévient: mieux vaut s’y prendre dès aujourd’hui. (Photo: DR)

Quels intermédiaires luxembourgeois devront déclarer les montages fiscaux agressifs au fisc? Denis-Emmanuel Philippe, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg, apporte un éclairage sur cette question, abordée jeudi lors d’une conférence.

L’heure fatidique approche… Le 31 août 2020, de nombreux professionnels de la Place devront dévoiler à l’administration fiscale luxembourgeoise certains montages fiscaux «agressifs» transfrontaliers. Cette obligation déclarative, qui découle d’une Directive européenne du 25 mai 2018 communément appelée «DAC 6», ne manquera pas de donner des sueurs froides à de nombreux avocats, conseillers fiscaux, comptables, banquiers et fiduciaires luxembourgeois.

L’objectif poursuivi par la Directive DAC 6 est de permettre aux autorités fiscales des États membres de réagir plus rapidement contre des schémas de planification fiscale potentiellement agressifs, le cas échéant en procédant à des contrôles ciblés, tout en dissuadant par ailleurs les professionnels de les proposer à leurs clients et les contribuables de vouloir les mettre en œuvre.

«Détection» et «dissuasion» en maîtres-mots

Les schémas de planification fiscale qui tombent dans le viseur de l’obligation de déclaration doivent en principe revêtir un caractère transfrontalier et comporter au moins l’un des «marqueurs» figurant dans la Directive DAC 6, censés être révélateurs de leur caractère potentiellement agressif.

À titre illustratif, les montages suivants pourraient être visés:

• une société belge transfère à une société luxembourgeoise des actifs incorporels difficiles à évaluer, en vue de profiter du régime IP luxembourgeois (art. 50ter LIR);

• une soparfi verse des intérêts à une société établie dans un paradis fiscal;

• une soparfi apporte un portefeuille-titres à une structure étrangère faiblement imposée;

• un conseiller fiscal luxembourgeois conçoit, au profit d’un résident allemand ou français fortuné, un montage d’ingénierie fiscale et se fait rémunérer sur la base d’un pourcentage (par exemple de l’ordre de 2%) du gain fiscal retiré par son client.

Les intermédiaires soumis à l’obligation déclarative peuvent être répartis en deux catégories:

• Les «promoteurs», c’est-à-dire ceux qui conçoivent, commercialisent ou organisent le montage. Sont principalement visés ici ceux qui jouent un rôle actif dans la conception du schéma. Exemple: l’avocat fiscaliste ou le conseiller fiscal luxembourgeois (qui exerce le cas échéant au sein d’un «Big Four»).

• Les «prestataires de services», qui fournissent une aide, une assistance ou des conseils dans le cadre de la conception, l’organisation ou la mise en œuvre du montage. Les banquiers, les réviseurs, les fiduciaires et les comptables luxembourgeois pourraient entre autres intégrer cette seconde catégorie.

Une échappatoire a heureusement été réservée par la Directive pour toute personne à même de prouver qu’elle ne savait pas (et ne pouvait pas raisonnablement savoir) qu’elle participait à un montage fiscal agressif.

Quid des banquiers?

La situation des banquiers est fort délicate. Si l’on excepte le cas des banques offrant des services d’estate planning, les banquiers ne participent généralement pas activement à l’élaboration de montages fiscaux agressifs.

Le plus souvent, leur intervention se limite à l’octroi d’un service «accessoire» (prêt, ouverture d’un compte, transfert de fonds…). En pratique, les banques relèveront donc plutôt, le cas échéant, de la catégorie des «prestataires de services». La question centrale sera alors de savoir si la banque est ou non au courant que le service qu’elle rend s’inscrit dans le cadre d’un montage fiscal agressif.

Sa qualité d’«intermédiaire» devrait, à mon avis, être exclue lorsqu’elle fournit un simple service de routine et qu’elle n’a pas connaissance des implications fiscales du dispositif mis en place (ce qui pourrait être le cas si elle n’a pas reçu une «tax opinion» d’un fiscaliste).

Une tâche «kafkaïenne»

Les intermédiaires auraient tort de prendre ces nouvelles obligations déclaratives à la légère. À défaut de déclaration complète introduite dans un délai de 30 (!) jours, ils s’exposent en effet à de lourdes sanctions financières, sans oublier le risque d’atteinte à leur réputation (ce qui ne devrait pas laisser les banquiers indifférents).

Ils devraient donc s’y intéresser et s’en soucier avec la plus grande attention, et ce… immédiatement: les montages fiscaux agressifs visés dont la première étape a été mise en œuvre à partir du 25 juin 2018 devront en effet être déclarés au plus tard le 31 août 2020. La tâche des intermédiaires est kafkaïenne, car ils doivent appliquer les dispositions de la Directive DAC6 alors même que la loi de transposition luxembourgeoise n’a pas encore été adoptée et que de nombreuses zones d’ombre subsistent…

Dans l’immédiat, les intermédiaires ont intérêt à mettre d’ores et déjà en place des procédures internes aptes à détecter les montages transfrontaliers agressifs auxquels ils participent, de manière à pouvoir remplir leur obligation déclarative à partir d’août 2020. La création de services dédiés à DAC 6 me semble quasiment inéluctable.

La compliance est décidément un métier d’avenir!

Denis-Emmanuel Philippe est avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg (Bloom-Law) et maître de conférences à l’Université de Liège. Il interviendra jeudi sur le sujet lors de la conférence «Lutte contre le blanchiment – compliance» organisée par IFE à Luxembourg, ces 5 et 6 juin.