«Nous vivons une quatrième révolution industrielle avec l’avènement de la digitalisation et de la robotisation dans notre quotidien. Nous avons tous une responsabilité considérable dans la préservation des valeurs humaines au sein des organisations.» (Photo: MNKS)

«Nous vivons une quatrième révolution industrielle avec l’avènement de la digitalisation et de la robotisation dans notre quotidien. Nous avons tous une responsabilité considérable dans la préservation des valeurs humaines au sein des organisations.» (Photo: MNKS)

Madame Marsot, le capital humain d’une entreprise vous semble-t-il préservé à sa juste valeur?

«Les entreprises au Luxembourg rivalisent de créativité et d’efforts sur le sujet dans un contexte de guerre des talents: cela peut donner malheureusement lieu à une surenchère d’offres en termes de salaire, d’avantages en nature ou d’infrastructures (massages offerts, salle de jeux, salle de fitness, coiffeur, etc. sur le lieu de travail).

Certes, cela participe au bien-être et à ‘l’employee experience’, mais ces dispositifs m’apparaissent comme accessoires si les entreprises ne révisent pas au préalable leur copie en matière d’efficacité et de processus RH. 

Nous devrions, par exemple, revenir à des organigrammes aplatis, à des sociétés agiles et à taille humaine, organisés en micro-entreprises pour rendre les processus décisionnels plus efficaces et développer le sens entrepreneurial des salariés.

Nous devrions aussi repenser notre gestion de la performance en faveur de l’abandon des ratings, d’une culture du feed-back et d’un management par objectif.

Ce sont deux exemples-clés qui participeront à démontrer la contribution de l’Homme à la croissance de l’entreprise lorsque déjà maintenant une étude de Korn Ferry montre que 67% de chefs d’entreprise pensent que la technologie créera plus de valeur que le capital humain et que 44% de décideurs pensent que l’automatisation et l’intelligence artificielle rendront la question de la gestion des RH en grande partie hors de propos dans l’entreprise du futur.

Les gens sont de plus en plus indépendants par choix, car ils souhaitent être leur propre patron, choisir quand et où ils travaillent ou encore choisir eux-mêmes leurs missions.

Joëlle Marsot, MNKS

Partagez-vous les craintes exprimées, notamment aux États-Unis – souvent précurseurs dans de nombreux domaines –, de la migration du statut juridique de salarié vers celui de prestataire de services? Le mouvement vous semble-t-il irrémédiable? 

«En effet, aujourd’hui un tiers de la population active américaine travaille en free-lance et ce nombre pourrait dépasser les 50% en 2027.

Les gens sont de plus en plus indépendants par choix, car ils souhaitent être leur propre patron, choisir quand et où ils travaillent ou encore choisir eux-mêmes leurs missions. Ce mouvement irrémédiable, porté pour moitié par les millennials, développera l’esprit entrepreneurial et la flexibilité dans le monde de l’entreprise, et c’est en cela une bonne chose – particulièrement pour les entreprises de petite et moyenne taille. Même si cela nous oblige à repenser entièrement la gestion des RH dans l’entreprise de demain.

Ce phénomène touchera l’Europe sûrement dans une moindre mesure, car le marché du travail américain est plutôt libéral, contrairement au marché européen assez encadré au niveau législatif. Mais ce cadre devrait aussi s’adapter aux besoins du marché. Et le Luxembourg n’échappe pas à cet enjeu…

Le Luxembourg se veut être une ‘start-up nation’ et soutient fortement l’entrepreneuriat – nous pouvons en être fiers. Cependant, le Luxembourg est peu avancé en matière de ‘nouvelles formes de travail’: contrairement au reste des pays européens, le CDI à temps plein reste le standard chez nous. Or, je trouve qu’il nous manque cruellement la possibilité de recourir au mécanisme de groupements d’employeurs (GE): ils permettent aux PME de disposer à temps partiel de professionnels qualifiés dans des fonctions techniques (marketing, informatique...), de répondre à une demande saisonnière (en manutention, production...), mais aussi de tester de nouvelles fonctions (environnement, qualité...). L’objectif du GE est donc de satisfaire les besoins en main-d’œuvre d’entreprises qui ne pourraient pas employer seules un salarié à temps plein. De son côté, le salarié d’un groupement a un seul contrat de travail avec un seul employeur: le GE, qui facture aux entreprises les heures de présence du salarié. 

Les professionnels des RH seront amenés à devenir des militants énergiques de la valeur humaine.

Joëlle Marsot, MNKS

Quel rôle les professionnels RH devront-ils tenir pour préserver les valeurs humaines dans l’entreprise de demain?

«Nous vivons une quatrième révolution industrielle avec l’avènement de la digitalisation et de la robotisation dans notre quotidien. Nous avons tous une responsabilité considérable dans la préservation des valeurs humaines au sein des organisations. 

Mes convictions se font plus intenses encore quand on parle de micro-travail (pratique de travail à la tâche), de plateforme de production partagée ou toute autre forme de travail adossée à des applications numériques. Tout cela se caractérise par un extrême morcellement des tâches, une standardisation et une intense désincarnation du travail: je ne peux me résigner à croire que cette forme de taylorisme puisse devenir un des modèles privilégiés de travail. 

Les professionnels des RH seront amenés à devenir des militants énergiques de la valeur humaine. Nous devrons mieux faire entendre notre voix dans les instances décisionnelles de l’organisation et encore plus transformer les questions RH en une préoccupation partagée à tous les niveaux de l’entreprise, car la création de valeur est le fait des individus, des équipes et non des équipements aussi performants soient-ils. Le challenge des décideurs et professionnels RH sera de trouver une judicieuse alchimie entre l’utilisation de la technologie et un management humaniste et créateur de valeur.»

Les inscriptions au 10x6 Human Value sont ouvertes sur le site du Paperjam Club.