Aline Robert (Photo: DR)

Aline Robert (Photo: DR)

Madame Robert, vous avez enquêté durant trois ans sur l’UE ETS – le marché européen des droits de CO2 –, le premier au monde, instauré dans l’Union européenne pour inciter les grandes entreprises à limiter leurs émissions de CO2. Quelle(s) conclusions) tirez-vous de ce travail d’investigation?

«Le marché du carbone européen a été conçu avec une naïveté déconcertante: il était ouvert à la planète entière, sur simple présentation de photocopie d’une carte d’identité. Cela a permis au crime organisé de s’y infiltrer et d’y commettre un crime très lucratif: une fraude à la TVA, qui consiste à voler des fonds aux États en achetant hors taxe à l’étranger avant de revendre taxes comprises dans son pays.

Environ 10 milliards d’euros ont été subtilisés aux États européens par ce mécanisme, il y eu au moins cinq meurtres et des organisations terroristes en ont bénéficié. Le FBI a en effet retrouvé des documents se rapportant à cette fraude en 2010 en recherchant Ben Laden, en Afghanistan.

Il s’agit donc d’une fraude grave. Elle a détruit la crédibilité du marché du carbone, certes, mais elle a affiché aussi la faillite des États à gérer le Trésor public! Le manque d’harmonisation en matière fiscale s’avère tout particulièrement  dommageable: l’Europe est une passoire à fraudes, par la TVA ou la concurrence fiscale.

Vous évoquez aussi le gain substantiel que certaines entreprises ont fait de leur droit à polluer sans pour autant entreprendre aucune démarche écologique conséquente, citant notamment ArcelorMittal… Pouvez-vous nous en dire plus? Cette situation prévaut-elle toujours aujourd’hui?

«Le marché européen du carbone a été une grande première mondiale, et il a essuyé les plâtres! Parmi les erreurs de design, on a alloué trop de quotas aux entreprises, et les lobbys sont partiellement responsables de cette situation. Il y a systématiquement trop de quotas, donc le prix du carbone est faible.

Certaines entreprises ont aussi bénéficié de quotas alors qu’elles mettaient leur site en sommeil, comme ArcelorMittal, que ce soit au Luxembourg ou en France. C’est inconcevable que le système ait pu laisser faire cela…et pourtant!

Le cas d’ArcelorMittal est extrême: ses effectifs ont été réduits de 40.000 personnes sur la période 2008-2012, et sur la même période on lui donnait 165 millions de tonnes de CO2 en trop par rapport à ses émissions. 

Est-ce que la situation perdure? C’est difficile de le savoir a priori, mais le coût en terme d’image est aujourd’hui nettement trop cher... pour un bénéfice ridicule, puisque la tonne de CO2 a beaucoup chuté. Pour 2015, les sites de Differdange et de Belval ont chacun reçu près de 150.000 tonnes de quotas. On verra ce qu’ils émettent effectivement.

Quelles sont les alternatives envisageables alors que l’urgence climatique ne fait que croître?

«Il n’y a pas de planète bis, donc la seule solution est de laisser les hydrocarbures sous terre et d’investir dans les énergies renouvelables. Ce qui est économiquement possible si le carbone a un prix: il y un consensus ONG chefs d’États sur le sujet, comme on l’a vu au sommet de l’ONU à New-York, en septembre.

Comment établir ce prix? La taxe est plus à la mode que le marché en ce moment, mais elle est nettement moins répandue. Et pour cause, taxer le carbone est difficilement acceptable: personne ne veut de nouvelle taxe. En Europe, certains pays associent taxe et marché, comme le Royaume-Uni, et je crois que c’est une approche constructive: peu importe l’outil, du moment qu’un effort est entrepris pour interrompre la destruction de notre environnement.

La société civile commence à le prendre en compte: certaines entreprises établissent des business models avec un prix du carbone à 30 euros la tonne, spontanément.»

«Le climat pris en otage par le marché du carbone» - Jeudi 22 janvier à 12h15 à l’Altrimenti asbl (salle Rheinsheim) - 5 avenue Marie-Thérèse à Luxembourg.