David Bourguignon est Maître de Conférences à l’Université de Lorraine (Metz, France), membre du laboratoire PErSEUs et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain (Louvain,-La-Neuve, Belgique, FOPES)   (Photo: DR)

David Bourguignon est Maître de Conférences à l’Université de Lorraine (Metz, France), membre du laboratoire PErSEUs et professeur invité à l’Université Catholique de Louvain (Louvain,-La-Neuve, Belgique, FOPES)  (Photo: DR)

Monsieur Bourguignon, vous avez réalisé au sein de l’Université de Lorraine – pour le compte du Centre pour l’égalité de traitement (CET) – une étude intitulée «Politiques et attitudes à l’égard de la diversité – Focus sur les entreprises du Grand-Duché de Luxembourg». Quels étaient les objectifs de ce travail?

«Le projet de recherche que nous avons mené au Grand-Duché du Luxembourg a comme point de départ un constat de plus en plus frappant dans le monde professionnel, à savoir que le personnel d’un grand nombre d’entreprises présente des visages de plus en plus variés tant en termes de genre, d’origine, d’âge, de religion, d’orientation sexuelle…

Cette réalité est d’autant plus marquée dans le contexte luxembourgeois qui, en raison de son dynamisme économique, mais également de sa position territoriale, rassemble au sein du personnel un nombre important de travailleurs issus des pays limitrophes.

Bien que cette diversité soit souvent prise pour une richesse pour les entreprises, de plus en plus de voix se font entendre pour en souligner les désagréments. Ainsi, la diversité est souvent vue comme un élément favorisant les performances et générateur d’innovation étant donné qu’elle encourage la confrontation de points de vue différents, l’accessibilité à des compétences variées et complémentaires…

Toutefois, il est également apparu que cette même diversité peut également détériorer les performances des entreprises en générant notamment des tensions entre travailleurs en raison des sentiments de compétition et de menace que la diversité peut induire. Il s’avère également que ces effets contrastés ne seraient pas le fruit du hasard, mais seraient dépendants du type de politique de gestion de la diversité mise en place par les entreprises.

C’est dans ce débat que s’inscrit le projet ‘Promotion de la diversité au Luxembourg’, initié par le CET et financé par le programme ‘Progress’ de l’Union européenne, mais également par le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région.

Ce projet pluridisciplinaire et totalement inédit au Luxembourg a rassemblé différents partenaires spécialistes des questions de la diversité, tels que le Comité pour la charte de la diversité Lëtzebuerg, le List et l’Université de Lorraine, en vue de dresser un état des lieux, d’identifier les bonnes pratiques et de sensibiliser les entreprises aux politiques de gestion de la diversité.

Pour ce qui est de l’Université de Lorraine, le défi était de réaliser un projet de recherche permettant d’identifier les différentes pratiques de gestion de la diversité, de déterminer les facteurs à l’origine de l’adhésion des travailleurs luxembourgeois à l’une ou l’autre de ces politiques et d’en déterminer les relations qu’elles pouvaient entretenir avec la formation des préjugés, les comportements au travail et le bien-être des travailleurs.

Pour relever ce défi, des chercheurs issus des sciences psychologiques et de gestion ont collaboré afin de mettre en place, dans le contexte des entreprises luxembourgeoises, un projet de recherche d’envergure intitulé ‘Politiques et attitudes à l’égard de la diversité – Focus sur les entreprises du Grand-Duché de Luxembourg’.

Ce projet, réalisé grâce à un partenariat avec huit entreprises luxembourgeoises, combinait, d’une part, deux études quantitatives rassemblant les réponses de plus de 1.500 salariés travaillant dans les entreprises luxembourgeoises partenaires et, d’autre part, deux études qualitatives se basant sur plus de 34 entretiens avec des responsables et des personnes en charge des politiques de gestion de la diversité au sein de ces entreprises.

Quelles sont les principales conclusions tirées de cette étude?

«À l’heure actuelle, nous pouvons dégager quatre résultats majeurs des analyses qualitatives et quantitatives.

Le premier porte sur les stratégies de gestion de la diversité qu’endossent les travailleurs de ces entreprises. Ces derniers montrent une nette préférence pour les politiques de gestion de la diversité basées sur les approches d’individualisme (on fait fi de toute référence aux groupes pour se centrer sur les caractéristiques personnelles de chaque individu) et de multiculturalisme (on reconnaît et accepte les différences entre groupes en visant l’enrichissement mutuel) par rapport aux approches d’assimilationnisme (on ne reconnaît pas les différents groupes et on impose le point de vue du groupe commun à tous, généralement le groupe majoritaire) et de ségrégationnisme (on reconnaît l’existence de groupes de travailleurs et on utilise cette distinction pour les séparer).

Toutefois, bien que l’ensemble des travailleurs interrogés adhère en priorité à l’individualisme et au multiculturalisme, des différences entre le secteur privé et le secteur public apparaissent au niveau de l’assimilationnisme et du ségrégationnisme, lesquels font l’objet de davantage d’adhésion parmi les travailleurs du secteur public par rapport au privé.

Un second résultat majeur de ce projet vient du rôle joué par les entreprises dans le processus d’adhésion aux politiques de gestion de la diversité. D’une part, les résultats mettent en exergue que des différences apparaissent entre les entreprises quant au niveau d’adhésion de leurs salariés à ces politiques, mais que de telles différences s’observent également quant aux normes véhiculées au sein de ces organisations à l’égard de ces politiques de gestion de la diversité.

D’autre part, les résultats révèlent que ce sont les normes qui rendent le mieux compte de l’adhésion du personnel à l’une ou l’autre politique de gestion de la diversité. Autrement dit, si dans une entreprise l’idéologie du multiculturalisme est largement diffusée, les salariés auront tendance à l’intégrer et à la privilégier.

Ces résultats ne sont pas sans intérêt, car ils soulignent le rôle déterminant des entreprises et de leur mode de communication à l’égard des politiques de gestion de la diversité dans l’adhésion de ces politiques auprès de leur personnel, avec toutefois le risque, si cela ne se limite qu’à cette dimension sans être davantage opérationnalisé, que ces politiques ne soient résumées qu’à des ‘coups de com’ par les salariés, comme semblent le dénoncer certains entretiens qualitatifs.

Un troisième résultat marquant de ce projet vient des relations qu’entretiennent les différentes politiques de gestion de la diversité avec les préjugés, les comportements organisationnels et le bien-être des salariés. Plus précisément, les données mettent en lumière que l’adhésion aux approches d’individualisme ou de multiculturalisme est associée à des conséquences favorables sur ces trois mesures. Ainsi, plus les salariés endossent ces deux approches de la gestion de la diversité, moins ils montrent de scores élevés de préjugés et plus ils soutiennent les politiques à l’égard de la gestion de la diversité.

Par ailleurs, l’adhésion à ces deux approches est liée positivement aux comportements organisationnels (implication à l’entreprise, mais également perception de cohésion et de bonne ambiance au sein de l’entreprise) et aux mesures de bien-être. Quant à l’adhésion au ségrégationnisme ou à l’assimilationnisme, elle apparaît sous un jour moins favorable.

Pour ce qui est du ségrégationnisme, plus les salariés y adhèrent, moins ils s’impliquent dans leur entreprise et moins ils montrent un score élevé de santé mentale. Au niveau de l’assimilationnisme, plus les salariés développent ce type d’idéologie, plus ils développent en parallèle des préjugés et s’opposent aux politiques de gestion de la diversité. Par ailleurs, l’adhésion à l’assimilationnisme entretient des liens négatifs avec certains comportements organisationnels.

Pour terminer, une série d’analyses tant au niveau de la partie qualitative que quantitative a mis en exergue le fait que les politiques de gestion de la diversité sont dans une certaine mesure l’apanage de certains groupes, alors que d’autres semblent être davantage mis de côté.

À l’inverse, les politiques de gestion de la diversité en matière d’orientation sexuelle, d’orientation religieuse et surtout de handicap sont, selon les participants, moins prioritaires pour les entreprises. Ces derniers résultats posent de nombreuses questions quant à ces problématiques et soulignent l’importance d’élargir les politiques de gestion à d’autres groupes de travailleurs.

À quoi ce travail va-t-il servir? Dans quel cadre va-t-il être utilisé?

«Ce projet de recherche a pour principal objectif de mieux saisir ce que sont les politiques de gestion de la diversité, tout en identifiant les dangers et les bénéfices qui leur sont associés. Il vise donc à développer un regard critique sur les pratiques et constitue un important outil de réflexion et de développement pour les professionnels.

Quant aux retombées proprement dites, elles seront multiples et toucheront un large public. 

Concrètement, la publication du rapport intitulé ‘Politiques et attitudes à l’égard de la diversité – Focus sur les entreprises du Grand-Duché de Luxembourg’ est une première étape dans la diffusion des conclusions de l’étude, étape qui se prolongera par la diffusion plus large d’un document synthétique des principaux résultats.

En outre, différentes présentations à destination des entreprises partenaires sont actuellement organisées. Ces retours auprès des responsables des ressources humaines en charge des politiques de gestion de la diversité donnent lieu à des discussions et à des échanges autour des pratiques de gestion de la diversité sur la base de résultats concrets.

Par ailleurs, les retombées se feront également sentir au niveau de la formation. Ainsi, les résultats de ce projet de recherche feront l’objet de présentations à des chercheurs, à des praticiens ainsi qu’à de futurs professionnels impliqués dans les questions relatives à la diversité.

La formation en gestion de l’égalité, de la non-discrimination et de la diversité (GENDD) dispensée par l’Université de Lorraine et animée par les chercheurs de ce projet servira notamment de vecteur pour présenter ces résultats aux professionnels français et luxembourgeois, tout en les invitant à réfléchir à leurs pratiques en matière de gestion de la diversité.

Enfin, ce projet de recherche sera également diffusé dans des colloques scientifiques internationaux, tant en psychologie du travail et des organisations qu’en sciences de gestion. Dans ce cadre, plusieurs présentations sont déjà prévues et se prolongeront par la rédaction d’articles scientifiques.»