Une des conditions de la directive est que les services du groupement soient utilisés par les membres pour l’accomplissement de leurs activités exonérées de TVA.  (Photo: PwC Luxembourg)

Une des conditions de la directive est que les services du groupement soient utilisés par les membres pour l’accomplissement de leurs activités exonérées de TVA.  (Photo: PwC Luxembourg)

Comment le groupement autonome de personnes était-il utilisé?

«Seul outil juridique d’exonération de TVA disponible au Luxembourg pour mutualiser des services au sein d’un groupe de sociétés, les groupements autonomes de personnes (GAP) sont principalement utilisés par les groupes bancaires, de gestion d’actifs, d’assurance mais aussi par certaines sociétés holding. Ils permettent également de centraliser certaines fonctions en évitant un coût de TVA non récupérable lors de la refacturation des coûts entre les différents bénéficiaires. Les GAP sont souvent utilisés pour la mise en commun de fonctions support telles que l’IT, les ressources humaines, la finance ou le marketing, mais aussi pour des services spécifiques à l’activité des sociétés qui en sont membres.

Les GAP trouvent leur source dans la directive TVA européenne. Cela peut sembler étrange pour celui qui suit tous ces développements de loin, mais le GAP est une exonération que les États membres doivent obligatoirement transposer. Elle doit figurer dans leur loi nationale. Ce n’est donc pas le GAP lui-même qui est mis en cause mais la façon dont il est mis en pratique au Luxembourg. Il faut bien se rendre compte en effet que les pays de l’UE sont obligés d’interpréter dans une certaine mesure la directive car le libellé de l’exonération est très peu détaillé. Le Luxembourg avait décidé, lui, d’en donner une définition large. Trop large au goût de la Commission.

Rappelons brièvement qu’une des conditions de la directive est que les services du groupement soient utilisés par les membres pour l’accomplissement de leurs activités exonérées de TVA. Pour que l’exonération puisse s’appliquer à la plupart des établissements bancaires et d’assurance et soit parfaitement efficace, les autorités luxembourgeoises avaient notamment prévu trois dispositifs qui ont été jugés contraires à la règle:

  1. les membres pouvaient toujours effectuer des opérations non exonérées pour maximum 30% de leur chiffre d’affaires total sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’utilisation des services du GAP,
  2. les membres pouvaient déduire partiellement la TVA supportée par le GAP sur ses achats (comme s’ils avaient acheté directement auprès des fournisseurs), et
  3. les remboursements du GAP à un membre pour l’apport de ressources propres n’étaient pas taxés.

Ces trois mesures viennent d’être retoquées.

Pourquoi la Cour de Justice de l’Union européenne a-t-elle sanctionné le régime luxembourgeois?

«Principalement pour des raisons purement techniques, plutôt que sur l’esprit de l’exonération à première lecture. La Cour considère que le texte de la directive doit être interprété de manière stricte. S’il dit que les services doivent être utilisés pour les activités exonérées des membres, il ne peut y avoir de tolérance. Les seuils luxembourgeois ne sont pas pertinents, il faut plutôt démontrer que les services sont utilisés uniquement pour certaines activités bien précises, ce qui est compliqué quand on mutualise des fonctions transversales comme l’IT ou la finance.

En deuxième lieu, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que le GAP est considéré comme agissant de manière indépendante de ses membres, il est une «personne fiscale» à part entière. Il ne peut pas être question de déduction même partielle par les membres d’une TVA encourue par le groupement lui-même.

Enfin, puisqu’il est indépendant, ses relations avec les membres sont dans le champ de la TVA, y compris les remboursements qu’il leur octroie. Ce point est bloquant. La plupart des GAP luxembourgeois n’ont pas de personnalité juridique, ils n’emploient pas eux-mêmes les employés qui participent aux services IT ou finance mis en commun. Les membres employeurs doivent donc se faire rembourser une partie de leurs coûts pour la partie travaillée au profit des autres. C’est le GAP qui se chargeait de cette centralisation et facturation. La Cour est d’avis que le GAP est un assujetti autonome qui fournit des services de façon indépendante à ses membres, desquels il est distinct. Compte tenu du caractère autonome du GAP par rapport à ses membres, les services qu’ils se «rendent» ne peuvent pas tomber hors du champ de la TVA.

À noter au passage que toute cette problématique n’est pas spécifique au Luxembourg. La Belgique et la France par exemple ont un régime similaire. Elles n’ont pourtant pas encore été mises en cause. Toutefois, le jugement devrait les concerner de la même manière car il s’applique à tous les États membres. Reste à voir si elles réagissent. Rappelons qu’en 2015, lorsque le Luxembourg a été condamné pour son taux réduit sur les e-books, la France l’avait été en même temps. Seul le Luxembourg avait cependant modifié ses règles.

Quelles sont les conséquences de cette décision?

«La grande majorité des GAP existants peuvent parfaitement survivre sans les deux premières mesures citées ci-dessus moyennant certains aménagements. La troisième est beaucoup plus problématique car elle empêcherait de facto de conserver les ressources humaines mises en commun sur le payroll d’un des membres.

Pour en revenir aux conséquences immédiates, elles sont importantes pour le secteur financier. Tout d’abord, il faut connaître la réaction des autorités luxembourgeoises. Vont-elles se conformer entièrement à cette décision et comment? On l’a déjà vu, certains pays ont tendance à ne pas appliquer entièrement certaines décisions et porter le sujet aux services compétents de la Commission pour modifier la directive, lorsqu’elles pensent qu’elle est contraire au développement d’un secteur économique.

Si le régime luxembourgeois est modifié, y aura-t-il une période transitoire pour permettre à l’administration d’écrire un nouveau règlement et aux acteurs économiques de le mettre en place?

«Il va falloir aussi songer à d’autres solutions, au risque de voir la majorité des services mutualisés être grevés du jour au lendemain d’un coût supplémentaire de 17%. Il est difficile d’envisager que tous les acteurs concernés transfèrent simplement leurs employés vers une nouvelle entité pour des besoins de TVA. Cette décision est sans aucun doute l’opportunité de mettre en œuvre un groupe TVA («unité fiscale» au sens de l’article 11 de la directive TVA européenne, qui est une option laissée aux États membres) qui permettrait, sous certaines conditions et dans certaines limites, d’ignorer les livraisons de biens ou prestations de services entre sociétés d’un même groupe pour les besoins de la TVA. Rappelons que la plupart des États membres et centres financiers majeurs dans l’UE, comme Londres, Dublin, Francfort ou Amsterdam, disposent de cette possibilité. Beaucoup de questions restent à creuser dans les semaines à venir, sans compter que trois autres arrêts sont attendus sur les GAP, dans des affaires soulevées dans d’autres pays. Et la Commission poursuit, pendant ce temps, ses discussions avec les administrations nationales sur la portée qu’il faut donner à l’avenir à cette exonération devenue totalement floue.»