«L’impôt sur la fortune ne favorise par ailleurs pas la localisation par des groupes étrangers de certaines activités financières au Luxembourg», estime notamment Thierry Lesage. (Photo: Arendt & Medernach)

«L’impôt sur la fortune ne favorise par ailleurs pas la localisation par des groupes étrangers de certaines activités financières au Luxembourg», estime notamment Thierry Lesage. (Photo: Arendt & Medernach)

Quels seront, en 2021, les principaux enjeux des suites de la crise pour la place financière? Sur invitation de Paperjam, plusieurs experts répondent à cette question. Selon Thierry Lesage, ils sont pour la place financière, en matière de fiscalité, multiples et se présentent sous des horizons temporels différents.

Je crois qu’il faut d’abord partir d’un constat. Face au bouleversement majeur de la fiscalité internationale des sociétés induit par Beps, le gouvernement fut bien inspiré dans la transposition des nouvelles directives fiscales communautaires (Atad I et II, Dac 6). En voulant transposer ces directives dans les meilleurs délais et en collant le plus possible au texte des directives, sans aller au-delà, les entreprises ont reçu un message clair de prévisibilité et de sécurité juridique.

Toutefois, dans la jauge de l’attractivité de la Place pour les acteurs étrangers, les ‘soft factors’, parmi lesquels la prévisibilité et la sécurité juridique, sont évidemment importants, mais les taux d’imposition sont également scrutés de près.
Thierry Lesage

Thierry Lesageassocié fiscaliste Arendt & Medernach

Par ailleurs, comme le soulignait le ministre des Finances dans une réponse à une question parlementaire récente, les développements fiscaux internationaux conduisent les acteurs économiques à devoir respecter des exigences accrues en matière de substance et cette tendance est susceptible d’avoir des répercussions bénéfiques sur l’activité de la place financière.

Toutefois, dans la jauge de l’attractivité de la Place pour les acteurs étrangers, les «soft factors», parmi lesquels la prévisibilité et la sécurité juridique, sont évidemment importants, mais les taux d’imposition sont également scrutés de près. Or, notre taux d’imposition sur les bénéfices de 24,94% nous place toujours au-dessus des moyennes OCDE et UE. Il est vrai que la crise sanitaire pourrait rebattre les cartes au niveau international, car les déficits substantiels engendrés par cette crise devront vraisemblablement à terme être comblés par une augmentation des impôts dans de nombreux pays fort endettés. Plusieurs États, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, ont d’ailleurs déjà annoncé une augmentation substantielle de leur fiscalité sur les sociétés. À noter que l’Irlande ne semble cependant pas encore avoir renoncé à son taux de 12,5%.

L’impôt sur la fortune ne favorise par ailleurs pas la localisation par des groupes étrangers de certaines activités financières au Luxembourg. Prenons seulement l’exemple des SPAC où, dans un marché en forte croissance, le Luxembourg a tous les atouts pour être la juridiction de référence, si ce n’est son impôt sur la fortune. Dans la mesure où cet impôt handicape les sociétés financières luxembourgeoises, une réflexion sans tabou devrait à mon avis être menée sur le bien-fondé économique du maintien de cet impôt et sur les possibles sources de financement alternatif.

Des mesures fiscales en faveur de la digitalisation

La situation budgétaire du Luxembourg demeure enviable malgré le coût exceptionnel de la crise sanitaire, avec notamment une dette publique ne dépassant pas 30% du PIB. Il a par ailleurs été annoncé que tant que la pandémie n’était pas derrière nous, toute augmentation d’impôt ou changement fiscal majeur n’était pas à l’ordre du jour. J’en déduis, dès lors, que nous devrons probablement nous accommoder un certain temps de la situation actuelle quant aux différentiels de taux et de typologies d’impôts par rapport à d’autres places financières.

À mon avis, il n’en demeure pas moins que certains défis immédiats appellent une réponse rapide. La digitalisation requiert des investissements exceptionnels de la part des acteurs de la place financière et devrait idéalement être accompagnée de mesures fiscales ciblées. Au niveau de l’OCDE, une évolution des règles fiscales liées à la numérisation de l’économie (règle dite des «piliers un et deux») semble maintenant à portée de main, car certains verrous ont sauté avec la nouvelle administration Biden. Ces changements globaux ne feront que renforcer le besoin d’adaptation des entreprises et les coûts engendrés devraient être appréhendés dans leur pleine mesure sur le plan fiscal.

L’attractivité pour les cadres étrangers à haut potentiel est un défi pour la place financière.
Thierry Lesage

Thierry Lesageassocié fiscalisteArendt & Medernach

En ce qui concerne la fiscalité personnelle, on peut se réjouir que le gouvernement ait pu rapidement négocier durant la crise sanitaire des accords avec nos trois pays frontaliers pour suspendre temporairement les règles fiscales limitant le télétravail. Dans la mesure où le télétravail semble voué à se maintenir au-delà de la crise actuelle, une revue à la hausse pérenne des limites applicables serait souhaitable.

Par ailleurs, l’attractivité pour les cadres étrangers à haut potentiel est un défi pour la place financière. La suppression du régime des warrants depuis le début de l’année et la disparition depuis 2019 du régime fiscal privilégié sur le «carried interest» entraînent de facto un réel désavantage concurrentiel. Nos taux d’imposition des personnes physiques sont élevés en comparaison internationale et il est trop tôt pour anticiper les éventuelles évolutions à la hausse dans d’autres places financières suite à la crise sanitaire. Des mesures ciblées pour attirer les cadres étrangers seraient dès lors souhaitables. Il est vrai que l’introduction récente du régime fiscal de la prime participative est une mesure bienvenue, mais elle n’est qu’une solution très partielle.

En ce qui concerne les défis de la Place financière luxembourgeoise sur le plan de la TVA, je pense au nombre sans cesse croissant d’assujettis et à leurs dossiers de plus en plus complexes. Les manques à gagner des recettes de TVA, liés à la fraude et l’évasion fiscales, mais également aux faillites, aux situations d’insolvabilité ou aux erreurs de calcul (comme le démontrent les études de la Commission européenne sur les «écarts de TVA», à savoir la différence entre les recettes de TVA attendues et celles effectivement perçues) sont un problème pour tous les États membres. Le Grand-Duché n’y échappe pas et réagit de manière logique en intensifiant les contrôles. Dans une matière très harmonisée au niveau européen et où les marges pour faire évoluer le cadre purement domestique sont fort réduites, le défi pour les acteurs de la Place reste donc l’anticipation dans la gestion des risques TVA.

Je ne voudrais pas terminer ce tour d’horizon sans mentionner la situation des fonds d’investissement où, dans une comparaison internationale, la taxe d’abonnement continue de nous désavantager par rapport à l’Irlande, mais la recette budgétaire très conséquente (car dépassant le milliard d’euros) constitue un véritable nœud gordien. Il convient toutefois de saluer comme élément positif la diminution de la taxe d’abonnement pour les fonds d’investissement durables introduite par la loi budgétaire 2021.