Le droit à la déconnexion s’impose en entreprise depuis presque deux semaines. et entrée en vigueur le 4 juillet oblige les employeurs à mettre en place un règlement sur le sujet. Comment s’implémente-t-elle chez les Big Four?
Un droit instauré chez Deloitte et PwC
Deloitte affirme avoir déjà intégré cette notion dans sa «politique de ressources humaines», en consultation avec la délégation du personnel. «Nous recommandons la mise en place systématique de messages “out of office”, de différer les envois de mails et de mettre sous silence les notifications, ou encore la retenue quant au fait de contacter un collaborateur absent», détaille le cabinet.
Chez PwC, le droit à la déconnexion a été institutionnalisé dès 2021, à la suite de la crise Covid. «Avec plus de personnes à domicile, les frontières entre le travail et la vie privée peuvent devenir floues», explique la people leader, . «Nous avons donc encouragé les gens à se déconnecter, à apporter des modifications à leurs iPhone, pour s’assurer que chacun dispose d’un temps d’arrêt sain, et à faire preuve d’autodiscipline. Nous avons revu la politique de droit à la déconnexion et organisé des sessions d’information pour nos collaborateurs.»
KPMG répond, en date du 6 juillet, qu’il est «trop tôt pour communiquer. Nous menons des actions régulières (jours de congés supplémentaires, séances d’information, etc.) pour sensibiliser nos collaborateurs et les encourager à prendre soin d’eux. Le droit à la déconnexion tel que décrit dans la nouvelle loi mérite une attention particulière et nous prenons le temps nécessaire pour mettre en place les modalités exactes de cette loi.»
Contactée en amont de la publication de la loi au Journal officiel, EY a répondu ne «pas souhaiter commenter pour le moment, car il est encore un peu tôt pour réagir». Relancée après l’entrée en vigueur, l’entreprise n’a pas donné davantage d’informations.
L’absence de convention collective
En pratique, la déconnexion s’applique-t-elle vraiment dans les Big Four? «Nous ne sommes pas représentés là-bas», explique la secrétaire centrale du syndicat Services de l’OGBL, Michelle Cloos. «Mais cela m’étonnerait qu’il n’y ait pas de problèmes. La réputation de ces entreprises n’est pas de finir à 17h. Ils n’ont pas de convention collective, il n’y a donc pas l’assurance d’un syndicat pour mettre des barrières». Concernant les délégués du personnel, «ce sont souvent des personnes avec des fonctions élevées». Le LCGB n’a pas non plus de représentation dans ces cabinets.
Paperjam a pu parler avec deux délégués du personnel, de deux Big Four distincts, qui souhaitent rester anonymes. Leur profil confirme soit une position de manager, soit plus de dix ans d’ancienneté.
«Chez nous, il y a une volonté politique» de permettre la déconnexion, assure l’un d’entre eux, qu’on appellera Camille. Des mails arrivent encore à des heures tardives, mais «l’employé n’a pas l’obligation d’y répondre». Mais s’il ne le fait pas, n’est-ce pas mal vu? «Avant oui, mais plus maintenant». Camille note un changement de mentalité depuis le Covid. «Il peut toujours y avoir des brebis galeuses. Mais personne n’est revenu vers moi pour me signaler des problèmes» liés à la déconnexion.
«Je ne veux pas dire que la vie est parfaite ici, mais je trouve que le management a évolué ces dernières années», complète l’autre personne interrogée, qu’on nommera Lou. Depuis «environ un an, avec l’ancienne génération d’associés partis en retraite».
Lou l’explique par «l’arrivée de la génération Y» dans le monde du travail. «Ils ne sont plus prêts à faire autant d’heures que les générations précédentes». Des mails arrivent encore le soir ou le week-end, mais «on n’est pas obligés d’y répondre». La délégation du personnel n’a pas été consultée pour ce genre de problèmes depuis plusieurs années. «Les gens viennent plutôt se plaindre pour des questions de plafonnement des heures supplémentaires», illustre Lou.
Le droit à la déconnexion non respecté pour 22,7% des salariés dans la finance
Au-delà des Big Four, «nous avons instauré un droit à la déconnexion dans la convention collective pour le secteur banques et assurances il y a trois ans», déclare la secrétaire centrale pour le secteur financier à l’OGBL, Sylvie Reuter. Pour elle, «il y a une prise de conscience et des engagements de la direction pour faire en sorte de le respecter». Même s’il y a toujours «les bons et les mauvais élèves. Les grandes banques s’y tiennent et ont même créé des garde-fous, comme l’impossibilité de se connecter, sauf pour des fonctions limitées, après une certaine heure». Alors que «dans les plus petites, celui qui veut faire carrière se connecte et répond en dehors de ses heures.»
77,3% des employés du secteur estiment que le droit à la déconnexion est respecté dans leur entreprise, selon un sondage mené auprès de 456 salariés de banques et assurances entre octobre 2022 et janvier 2023.
Quid des «faux cadres»? «C’est un phénomène extrêmement courant. Dès que vous dépassez une certaine fonction ou un certain salaire, vous êtes promus et donc, sortez de la convention collective. Votre conciliation vie privée/professionnelle est alors plus flexible.» Combien de personnes sont concernées? «Cela dépend. Parfois, on est à 20% de conventionnés pour 80% qui ne le sont pas. D’autres fois, à 40/60.» Une situation «problématique», admet-elle. «Si l’on vous propose de sortir de la convention collective pour atteindre un niveau de fonction ou de salaire et que vous refusez, c’est un frein à votre carrière.»
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