L’abbaye de Neumünster accueillait, vendredi, une vaste réflexion autour de l’avenir des aéroports régionaux. Une initiative du Conseil parlementaire régional, qui a réuni de nombreux spécialistes, des directeurs d'aéroports, des représentants d’associations professionnelles et des élus de Belgique, du Luxembourg, de France et d’Allemagne, à côté de représentants de la Commission européenne.
Car le temps presse. Comme cela est prévu de longue date, sur base d’un monitoring mené en 2019-2020, la Commission européenne mettra sans doute un frein à certaines aides publiques régionales encore accessibles pour le moment sous certaines conditions. Et toujours vitales pour de nombreux aéroports qui n’ont pas encore trouvé comment voler financièrement de leurs propres ailes.
L’aéroport doit démontrer son apport en plus-value au territoire
La première question est évidemment de savoir si le maintien d’autant d’aéroports régionaux dans la Grande Région se justifie, alors que seulement 20% de ses habitants montent à bord une fois par an. Metz, Nancy, Sarrebruck, Luxembourg, Hahn, Charleroi... Cela fait beaucoup pour un territoire central en Europe, mais assez exigu.
«La balle est dans le camp du politique, qui doit définir ce qui est attendu de l’aéroport. Ensuite, celui-ci doit démontrer sa plus-value au territoire et proposer un ‘business case’ cohérent. Si c’est le cas, il aura un avenir. Mais, pour que cette mue s’effectue, il faut que nous ayons plus de clarté sur l’avenir des aides au-delà de 2024. Les compagnies qui travaillent actuellement sur les lignes veulent savoir si un aéroport sera encore là après 2024, ou bien s’il aura fermé», note Ralph Beisel, directeur de l’Arbeitsgemeinschaft Deutscher Verkehrsflughäfen (ADV).
Un prix social et un prix électoral
Des fermetures d’aéroports sont possibles, à craindre même à court terme, personne n’évite plus ce constat. Mais les conséquences seraient systématiquement dommageables. «Il y a l’emploi, la dynamique du territoire, mais aussi les conséquences sociales que cela impliquerait par ailleurs», relève le député luxembourgeois . Tandis qu’Édouard Jacques, membre du Conseil régional Grand Est, pointe «l’image désastreuse que cela donnerait à une région, le coup au moral de ses habitants. Et puis, même si personne n’en parle, il y aura aussi un coût électoral pour les élus locaux.» Or, un aéroport régional peut être un atout pour la structuration de son territoire, pour le tourisme. Tous s’accordent aussi sur ce point.
Évidemment, un aéroport n’est pas l’autre. Luxembourg est ainsi à l’abri d’un trou d’air, «car c’est l’aéroport d’une capitale européenne, d’une place financière. Ici, on ne pourra jamais se passer d’un aéroport, et même pas pour être remplacé par des lignes de train qui n’existent pas encore», commente encore Mars Di Bartolomeo. , directeur de Lux-Airport, le confirme, en indiquant «être en plein essor, notamment au niveau du fret, et même si on a des limites au niveau des passagers». Et la future taxe allemande sur le trafic aérien pourrait bien pousser encore vers le Luxembourg des clients allemands peu désireux de payer encore plus cher chez eux. On ne leur fermera évidemment pas la porte.
Liège et Charleroi ont aussi trouvé leur rythme de croisière en résolvant les problèmes de bruit via l’acquisition ou l’isolation de 10.000 maisons dans les environs des pistes, en développant des parcs logistiques et des parcs d’entreprises autour des aéroports, en misant sur la connectivité... Deux exemples à suivre. «Liège, c’est maintenant Fedex, Alibaba, Ethiopian Airlines...», a souligné Nicolas Thisquen, de la Sowaer, la société wallonne des aéroports. À l’autre bout du spectre, Hahn peine à se reconvertir et court derrière son succès perdu. Sarrebruck connaît des difficultés, tandis que les aéroports français (Vatry, Metz et Strasbourg) se font maintenant concurrence entre eux depuis la création de la région Grand Est!
Tous les pays émergents dans le monde renforcent la connectivité aérienne, même l’Éthiopie. Le hub d’Addis-Abeba concurrence maintenant les hubs européens.
Dans ce débat, Olivier Jankovec, directeur de l’Airports Council International pour l’Europe, a tenu à rappeler que «si chaque région est différente, les besoins aussi». Et de mettre en avant, lumière dans la grisaille, que «la connectivité aérienne est vitale pour la croissance d’une région. 10% de connectivité aérienne en plus, c’est 0,5% d’échanges de capitaux supplémentaires.» De plus, Olivier Jankovec relativise l’impact des moyens de subsidiarité à l’avion: «D’ici à 2040, les études démontrent que 0,4% du trafic aérien pourra se retrouver sur le rail. À la condition que toutes les promesses en ce qui concerne le train à grande vitesse soient tenues.» Ce dont on peut douter.
Faire une croix sur la connectivité aérienne serait une grave erreur. «Tous les pays émergents dans le monde renforcent la connectivité aérienne. Même l’Éthiopie...», lance Olivier Jankovec. Cela fait sourire... amèrement, quand il précise que «maintenant, le hub d’Addis-Abeba est un concurrent des hubs européens».
Le transport de passagers va se tasser
Mais d’autres menaces sérieuses pointent, par ailleurs. «On a connu une croissance de 36% des passagers en Europe au cours des cinq dernières années. On est sur la crête, et il est évident que cela va baisser. D’autant qu’une récession économique est annoncée dans les 12 mois. Il va y avoir un tassement du transport des passagers avec sans doute des chiffres inférieurs à ce qu’on a connu au cours des 20 dernières années. UBS envisage une croissance de 1,5% du marché du transport aérien intra-européen sur 20 ans, au lieu des 3% prévus. Sans oublier que le gap de rentabilité entre les petits avions et les moyens ou longs courriers va aussi se creuser», prévient encore Olivier Jankovec. De plus, la lettre de mission du futur commissaire européen en charge de la décarbonisation «envisage pour le secteur aérien une approche plutôt punitive».
C’est limpide: les aéroports avec moins d’un million de passagers annuels vont connaître, ou connaissent déjà, des problèmes sérieux de profitabilité. Que faire? C’était bien là l’autre question qui brûlait les lèvres des participants à ce séminaire. La réponse? Sans doute éviter de se concurrencer de manière frontale, et certainement pas sur des marchés de niche. Ensuite, accroître les collaborations – certaines existent déjà – quand cela est possible. «C’est envisageable dans la sécurité, la formation, la mutualisation de certains moyens», a-t-on entendu.
Un vœu pieux? Sans doute, car «actuellement, ce secteur est une incroyable jungle à l’échelle de la Grande Région». Et dans cette jungle, où chacun se bat encore pour soi avant tout, ne survivront que les plus forts.