Les sujets sont nombreux pour le puissant syndicat de la Fonction publique. Mais pour son secrétaire général, Steve Heiliger, la priorité est l’abolition du système d’évaluation mis en oeuvre en 2015. Inefficace, explique-t-il. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Les sujets sont nombreux pour le puissant syndicat de la Fonction publique. Mais pour son secrétaire général, Steve Heiliger, la priorité est l’abolition du système d’évaluation mis en oeuvre en 2015. Inefficace, explique-t-il. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

À un mois des élections législatives, le syndicat de la Fonction publique rappellera aux partis ce qu’ils lui ont dit en juin, prévient son secrétaire général, Steve Heiliger. Entre évaluation à abolir, évolutions salariales, santé ou environnement, la CGFP a des attentes fortes et une influence certaine.

Votre syndicat est très puissant mais il y a peut-être des gens qui ne connaissent pas bien la CGFP. Rappelez-nous ce que représente le syndicat de la Fonction publique, qui il défend?

Steve Heiliger: «La Confédération générale de la Fonction publique a été fondée en 1967 mais le mouvement syndical dans la Fonction publique date de 1909. Nous avons trois syndicats représentatifs, mais un seul pour la Fonction publique. La représentativité est mesurée par rapport aux résultats des élections sociales, tous les cinq ans, à la Chambre des fonctionnaires et employés publics. La CGFP occupe 21 sièges sur 22, ce qui nous permet de participer aux tripartites et tous les conseils d’ordre national. Nous représentons environ 34.000 membres et leurs familles, et nos affiliés sont toutes les personnes qui travaillent dans le secteur public, y compris les établissements publics. Nous avons 65 organisations sectorielles membres, de la Police aux enseignants en passant par les ingénieurs de l’État.

Parmi les points qui retiennent le plus votre attention, la réforme fiscale est peut-être une des plus importantes?

«Nous ne donnons pas de recommandations de vote. Mais nous essayons de poser à la fois des questions qui concernent directement la Fonction publique, mais aussi de celles comme le logement, la santé ou la fiscalité. Cela dit, nous l’avons sollicitée depuis longtemps. Elle faisait même partie du programme de coalition de 2018… Le gouvernement nous a dit que nous étions dans une crise et qu’il n’avait plus les moyens de la mener. En tant que CGFP, nous pensions que nous aurions pu au moins faire une réforme fiscale partielle. Certaines de nos revendications semblent avoir été entendues, selon les réponses que les partis nous ont faites dans notre enquête publiée en juillet. 

Il faut mettre en place des mesures pour arriver à un plus grand équilibre entre l’imposition du capital et celle du travail»
Steve Heiliger

Steve HeiligerSecrétaire général de la CGFP

Comme quoi?

«Nos revendications, depuis un moment déjà, d’abolir la classe d’impôt 1A et d’adapter automatiquement le barème à l’inflation. Au cours de la tripartite, le gouvernement disait dans un premier temps qu’il ne voulait pas aborder ce sujet. Les trois organisations syndicales, surtout la CGFP, ont fait en sorte que cette adaptation soit quand même retenue à l’ordre du jour, le dernier jour de la réunion. Nous avons revendiqué une adaptation totale correspondant, à raison de huit tranches indiciaires. Dans un premier temps, le gouvernement est d’accord pour 2,5 tranches à partir du 1ᵉʳ janvier et un crédit d’impôt correspondant à deux tranches pour 2023 pour des raisons techniques. Il y a beaucoup de réponses qui nous rassurent et cela va rester une revendication essentielle de la CGFP. À chaque fois qu’une tranche indiciaire vient à échéance, 2,5% de plus, mais il ne reste que 1,7% en net que touche le salarié. Avec chaque tranche, le niveau d’impôt qu’il paie augmente, or ce n’est pas le but. 

La troisième chose est qu’il faut mettre en place de mesures pour arriver à un plus grand équilibre entre l’imposition du capital et celle du travail. À l’époque, les ménages payaient 50% des impôts directs et les entreprises l’autre moitié. Aujourd’hui, c’est environ deux tiers pour les ménages et un tiers pour les entreprises.

Le quatrième point serait le maintien de l’index, et on ne fait pas de politique sociale via l’index. Les gros salaires ont peut-être plus, mais ils paient aussi plus d’impôts, environ la moitié en impôts et autres charges.

Dans le , lorsque l’on regarde la question relative à la taxation des plus gros revenus, la quasi-totalité des partis sont favorables à ce qu’elle augmente. Qu’est-ce que cela vous inspire?

«Nous sommes ouverts au dialogue.

Le but de la digitalisation doit être de faciliter la vie des fonctionnaires et pas de se débarrasser des gens.»
Steve Heiliger

Steve HeiligerSecrétaire général de la CGFP

Mais vous avez des lignes rouges. On devine que quelle que soit la composition de la prochaine majorité, on devrait avoir une réforme de la fiscalité? On parle beaucoup d’individualisation de l’imposition…

«Il faudra surtout veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment d’un des deux conjoints. En tant que CGFP, qui représentons des agents publics, nous pensons aussi à l’administration en charge des dossiers. Si nous multiplions par deux les dossiers à traiter, cela doit rester gérable.

Heureusement, la digitalisation avance, non?

«Il y a deux volets. D’abord, il faut avoir du personnel compétent, motivé et bien formé. L’environnement doit rester attractif, y compris par un barème de rémunération correct. Oui, la digitalisation doit aider! En tant que CGFP, nous y sommes favorables à condition qu’elle apporte une plus-value et non au détriment du personnel, pour remplacer des agents. Le but de la digitalisation doit être de faciliter la vie des fonctionnaires et pas de se débarrasser des gens.

Les chiffres montrent que la Fonction publique luxembourgeoise est plutôt sous-staffée, par rapport aux autres économies. Où en est-on avec les effectifs?

«La CGFP n’a jamais été demandeuse de recrutements en masse. Mais lorsqu’il y a de nouvelles tâches ou lorsque l’évolution de la population l’exige, la Fonction publique doit être en mesure de répondre aux attentes des administrés. C’est très important. La Fonction publique n’est plus l’administration au sens strict de l’époque mais est devenue un prestataire de services moderne. La CGFP n’a jamais comparé secteur privé et secteur public. Il y a une interdépendance entre les deux. Nous avons bien conscience qu’on a besoin du secteur privé pour financer le secteur public et le secteur privé a besoin d’un cadre règlementaire qui fonctionne, qui est contrôlé, où les agents travaillent en toute dignité, où ils ne sont pas exposés à des problèmes de corruption comme ceux que nous connaissons dans d’autres pays. Pour garantir ce service, la Fonction publique doit être indépendante de la politique.

Un nombre croissant d’agents publics quittent le pays pour s’installer dans une région frontalière. Ils deviennent frontaliers dans leur propre pays.»
Steve Heiliger

Steve HeiligerSecrétaire général de la CGFP

Les mauvaises langues disent que les fonctionnaires sont trop gâtés…

«Si “gâtés” s’attache aux rémunérations, je dirais que les rémunérations sont correctes, mais qu’on doit suivre une politique salariale continue pour répondre aux besoins. Il y a des carrières dans la Fonction publique où les gens ne gagnent pas des milles et des cents. Au cours des dernières années, avec les augmentations de prix de l’énergie et de l’alimentation, nous avons remarqué que même les agents publics ont des problèmes. Des problèmes de logement. Un nombre croissant d’agents publics quittent le pays pour s’installer dans une région frontalière. Ils deviennent frontaliers dans leur propre pays.

J’imaginais qu’ils avaient des facilités dans l’accès au crédit, par exemple…

«Ce n’est pas si évident. Et il y a beaucoup de mouvements, du public vers le privé et inversement. J’en profite pour souligner qu’il y a un nombre limité de vacances de postes dans la Fonction publique. Il y a des examens, un parcours… Le delta entre postes vacants et candidatures est énorme. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Sans parler de la nationalité qui freîne certains recrutements.

«Une grande ouverture a eu lien en 2009. C’était basé sur un texte européen. Avant l’accord entre la CGFP et le ministre de la Fonction publique de l’époque, (CSV), elle était réservée aux nationaux luxembourgeois sauf quelques exceptions où les ressortissants européens pouvaient y accéder. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La Fonction publique est ouverte pour tout un chacun de l’Union européenne sauf exception où il faut la nationalité luxembourgeoise. Ça concerne surtout les secteurs de puissance publique, comme dans les autres pays.

Jusqu’à quel point l’accord salarial signé en décembre dernier vous a-t-il satisfait?

«C’est un accord raisonnable qui respecte l’environnement national et international. Durant les années de crise, le Covid puis la guerre en Ukraine, la CGFP n’a pas exprimé une seule revendication salariale mais la Fonction publique, comme d’autres secteurs, a travaillé de manière exemplaire malgré les difficultés. Cet accord, pour 2023 et 2024, prévoit deux augmentations de salaire, la première en même temps une mesure sociale, de 5% sur les premiers cent points indiciaires de salaire. En clair, chacun a reçu le même montant en 2023, abstraction faite de sa carrière ou de son niveau de responsabilité. En pourcentage, cela représentait plus pour les petits salaires que pour les gros salaires, d’où le terme de “mesure sociale”. À partir du 1er janvier, nous aurons une augmentation linéaire de 1,95% à mettre en rapport avec les 10%, par exemple, réclamés par nos collègues allemands. Nous, nous avons l’indexation que d’autres n’ont pas.

L’abolition du système d’évaluation sera l’objet de notre rentrée sociale fin septembre.»
Steve Heiliger

Steve HeiligerSecrétaire général de la CGFP

Tout n’est pas encore vraiment officiel, n’est-ce pas?

«Non, nous attendons que tous les points encore ouverts soient rapidement traduits en réalité. Il en reste. Comme l’abolition du système d’évaluation! Nous pourrions en faire un Paperjam entier! Nous nous sommes mis d’accord sur l’abolition. La CGFP a reçu un texte sur la manière dont l’abolition sera organisée, nous sommes en train de l’analyser. Cela fera l’objet de notre rentrée sociale fin septembre. Le sujet est abolition de quoi exactement, ça peut se limiter au niveau de performance ou à tout ce qui a été mis en place en 2015 avec l’introduction de ce fameux système…

Qu’est-ce que cela veut dire? Que vous ne voulez pas d’évaluation? Ou c’est la manière qui ne vous paraît pas adaptée?

«Il y a plusieurs choses. D’abord, tout le travail qui correspond à cette évaluation n’est pas en rapport avec les résultats. L’objectivité est-elle garantie dans ce système d’évaluation?

C’est pareil dans le privé…

«Nous, nous parlons pour la Fonction publique! Nous voulons revenir à la situation d’avant 2015…

Avant 2015, il se passait quoi?

«Il n’y avait pas d’appréciation! Ce qui reste en place, c’est pour nous le plus important, ce sont les entretiens entre supérieur et agents et stagiaires. Ce qui nous a posé beaucoup de problèmes ces dernières semaines, c’est le projet de loi devenu une loi pour l’organisation de l’Armée. L’article 32 réintroduit un système d’évaluation. Le ministre de la Défense dit qu’il revient à un système des années 1950. Selon nos informations, depuis 2019, l’Armée a utilisé le même système d’évaluation que toute la Fonction publique, celui qui sur base de l’accord de décembre, sera aboli. Lorsque l’on compare les deux systèmes, on retrouve la même terminologie. C’est une réintroduction de ce qu’on a à peine aboli! La CGFP dit que c’est une violation de l’accord salarial. Nous avons donc lancé la procédure de conciliation autour de cette question. 

Est-ce que vous pouvez entendre qu’à l’extérieur, le citoyen et certains acteurs demandent des comptes sur le travail des fonctionnaires? La productivité, la qualité de service, peu importe.

«Nous mesurons cela dans les entretiens. Pour des cas plus graves, il y a le droit à la discipline. Il y a des moyens de contrôler les fonctionnaires. On évalue 34.000 personnes. Au début, c’était prévu tous les ans. Puis on est passé à trois ou quatre fois au cours d’une carrière. Il aurait fallu embaucher 100 personnes par administration pour quel résultat? Il y a quatre niveaux de performance de 1 à 4. “Ne répond pas aux attentes”, 1, dans ce cas-là, le fonctionnaire doit se soumettre à une procédure d’amélioration pendant un an, suivre des cours, avoir un mentor. 4, pour les formidables, de loin au-dessus de la moyenne, qui avaient droit à trois jours de congé supplémentaires par période d’appréciation. Ces deux niveaux concernent un chiffre très limité d’agents. Après tout cet effort, la grande majorité de nos agents se retrouvait dans les niveaux 2 ou 3. 2, on vous conseillait de faire une formation mais ce n’était pas obligatoire et 3, ce n’était rien du tout. Tout ça pour ça? Sérieusement?

Une loi prévoira jusqu’à trois jours maximum de télétravail par semaine.»
Steve Heiliger

Steve HeiligerSecrétaire général de la CGFP

Est-ce que la Fonction publique a vocation à recruter indéfiniment?

«Une fois par an, les administrations réévaluent leurs besoins en effectifs. Un chiffre global est mis en place et le politique doit mener des arbitrages en fonction du budget qu’il peut et veut y consacrer. C’est la Commission d’économies et de rationalisation, sous l’autorité du Premier ministre, qui s’en occupe. La CGFP y est représentée. Nous ne sommes pas demandeurs de recrutements absolument. Mais lorsqu’il y a de nouveaux devoirs, de nouveaux dossiers… Mais pas recruter pour recruter!

On a l’impression que les fonctionnaires sont «protégés» du fait de leur statut dans le cadre de l’accès au logement. Mais ce n’est pas du tout le cas…

«Peut-être que nous ne savons pas quoi faire. Mais nous savons quoi ne pas faire! Comme déposer un projet de loi qui réussit à fâcher à la fois les locataires et les propriétaires! Il est grand temps que le politique fasse quelque chose. Ce n’est pas notre devoir, mais par le biais d’abattements fiscaux, d’aides directes… Il y a des pistes! Il faut s’attaquer aux problèmes aussi avec les partenaires sociaux. 

Dans votre programme d’action, qui doit être finalisé, vous vous attaquez à toute une série de problématiques sur lesquelles on pense moins souvent à vous. Comme la santé par exemple. Pourquoi est-ce que l’accès à la santé est un autre sujet pour la Fonction publique?

«Nous revendiquons l’accès universel aux prestations médicales pour tout le monde et éviter une médecine à deux vitesses. Nos membres sont aussi des assurés et nous sommes représentés dans les conseils des organismes. Il faudrait aussi adapter la nomenclature.

Moins dans le radar de vos interlocuteurs aussi, le changement climatique…

«Si nous ne préservons pas notre environnement… Les mesures doivent être aménagées pour qu’on ne pose pas de problèmes trop compliqués ni aux particuliers ni aux entreprises. Il faut mieux respecter le principe du pollueur-payeur, pas faire payer les ménages pour des choses dont ils ne sont pas responsables. On invite beaucoup les ménages à mettre des panneaux solaires sur leurs toits… mais ils doivent toujours faire le préfinancement et le délai de remboursement est trop long. Est-ce que l’État ne peut pas préfinancer la partie qu’elle souhaite rembourser? Comme un “tiers payant”. Et si l’État veut que ménages et entreprises changent leurs habitudes, il devrait commencer par donner le bon exemple, que ce soit au niveau des voitures de services ou du chauffage des immeubles. Ça compte pour la Fonction publique ou pour les autorités communales. Il y a des exemples où ça fonctionne très bien! Il faut le faire en évitant de créer de nouvelles inégalités sociales.

Finissons par cette idée d’une «Fonction publique forte» que nous appelons de nos vœux peut aussi effrayer justement par sa puissance. Aujourd’hui, tous les partis viennent susurrer des mots doux à vos oreilles. Votre président ne cache pas être courtisé par les partis…

«Recrutons où il faut recruter. Des agents compétents et motivés. Digitalisons là où il ne s’agit pas uniquement de se débarrasser de collaborateurs.

Est-ce qu’on est assez avancés dans la digitalisation?

«En 2018, un ministère de la Digitalisation a vu le jour. Sous l’autorité du Premier ministre. Beaucoup d’efforts ont été faits, mais l’avancée semble pourtant très variable d’une administration à l’autre. La Fonction publique a fait beaucoup d’efforts. Regardez tout ce que vous pouvez faire en ligne.

Elle offre aussi la possibilité aux agents de télétravailler. Une nouvelle ère s’est ouverte, non?

«Il n’y a ni droit ni obligation. Le télétravail a explosé avec le Covid. Avant mars 2020, il y avait un projet-pilote. Lorsqu’on parle aujourd’hui de 34.000 agents, environ 170 pouvaient télétravailler à ce moment-là. Du jour au lendemain, presque toute la Fonction publique a eu cette possibilité. En tant que CGFP, nous préconisons un mix sanitaire entre le présidentiel et le télétravail pour éviter l’isolement social et pour favoriser les échanges précieux à la machine à café. C’est très important dans la relation humaine. Évidemment, un chauffeur de bus ou un policier ne peut pas travailler de chez lui. Un projet de règlement retoqué par le Conseil d’État et qui va devenir une loi prévoit jusqu’à trois jours maximum par semaine.

Est-ce que la réduction du temps de travail, dont certains partis se sont saisis pour la campagne pour les élections législatives, est aussi un sujet?

«Dans nos comités, ce n’est pas un sujet. À propos des partis politiques, vous savez que comme à chaque campagne, nous avons demandé à chaque partie de répondre à une série de questions et nous avons publié pour nos membres l’intégralité de leurs réponses. Que les partis se souviennent de ce qu’ils nous ont répondu noir sur blanc en juin! Sans quoi, la CGFP le leur rappellera gentiment…»