Les TIC, le secteur non marchand, les services aux entreprises et le commerce expliquent aussi la résilience du pays malgré la crise. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Les TIC, le secteur non marchand, les services aux entreprises et le commerce expliquent aussi la résilience du pays malgré la crise. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

La spécialisation financière n’explique pas à elle seule la résilience du Grand-Duché pendant la crise. En fait, les TIC ont même eu un rôle plus important, selon Muriel Bouchet, directeur de la Fondation Idea et auteur d’une contribution à ce sujet dans le dernier recueil de l’asbl, «Inventaire avant sortie de crise!».

150 pages, 18 contributions… Un peu plus d’un an après la publication de son recueil «La santé d’abord, l’économie ensuite», la Fondation Idea vient d’en éditer un second: «Inventaire avant sortie de crise!», . Un large état des lieux avec des chapitres dédiés aussi bien à la fiscalité qu’aux inégalités, aux questions liées à l’immobilier, au télétravail ou même à la culture. Muriel Bouchet, son directeur, fait partie des économistes présents à la Chambre de commerce jeudi 17 juin pour présenter l’ouvrage à la presse. Nous avons évoqué avec lui  sa contribution, «Comment expliquer la relative bonne performance du Luxembourg en 2020 au-delà du biais financier».

On explique souvent la résilience du Luxembourg par l’importance du secteur financier, qui a été peu touché par la crise. Ce ne serait, en fait, pas tellement le cas…

Muriel Bouchet. – «Il y a la spécialisation sectorielle. J’ai essayé de calculer, et cela ne représente pas plus de 15% de la surperformance du Luxembourg observée en 2020 par rapport à la zone euro.

Si la spécialisation du pays dans la finance ne représente que 15% de la surperformance, d’où viennent les 85% restants?

«Il faudra peut-être encore un peu de recul pour en être sûr, mais quand nous regardons secteur par secteur, celui des technologies de l’information et de la communication (TIC) a été extrêmement dynamique en 2020, avec une valeur ajoutée qui augmente de plus de 16%, ce qui est énorme par rapport à 2019. Vous êtes loin d’avoir des chiffres pareils dans la zone euro (+0,1% en moyenne, ndlr).

Comment explique-t-on cet essor des TIC?

«L’explication qui consisterait à se dire que pendant la crise, on a tous eu besoin d’ordinateurs, n’est que partiellement vraie, puisque ça a été la même chose dans les autres pays. Peut-être que le fait que le Luxembourg se prête bien au télétravail a expliqué un effet meilleur, mais cela n’explique pas une hausse tellement forte. Il faut aller chercher des explications entreprise par entreprise, c’est plus difficile de le dire d’un point de vue macroéconomique. À ce stade, nous attirons la question sur cette question que nous posons aux chercheurs et statisticiens.

Les TIC représentent donc environ 25% de la surperformance. Et le reste?

«Ce qui a joué aussi, c’est tout ce qui est non marchand. Les administrations publiques, l’enseignement, la santé, le social. Où le Luxembourg, si on regarde ces branches-là, a aussi très bien résisté en termes de valeur ajoutée par rapport à la zone euro et aux pays voisins. Là, on peut se demander si la situation budgétaire qui était quand même meilleure au départ au Luxembourg que dans ces pays n’explique pas en partie ce résultat, permettant à l’État ou aux administrations publiques de poursuivre une politique de recrutement plus dynamique.

Il y a aussi quelque chose qui dépasse l’analyse secteur par secteur, le fait qu’il y ait une action résolue du gouvernement en termes d’aides. Ce fut le cas dans beaucoup d’autres pays pendant cette crise, mais en tout cas, je constate que l’action a quand même été assez rapide au Luxembourg. Peut-être aussi le fait qu’il y ait eu une plus grande souplesse à certains égards en matière de mesures sanitaires. , qui mesure le degré de sévérité dans les différents pays, révèle une plus grande souplesse au Luxembourg de mars à fin 2020.

15% de surperformance due à la finance, est-ce quand même important?

«Ce n’est quand même pas négligeable. Dans d’autres pays, la finance sera sans doute beaucoup moins importante parce qu’ici, elle représente déjà 27% de la , alors que dans un pays européen, en moyenne, c’est de l’ordre de 4,5%.

Le Luxembourg a mieux résisté à la crise que d’autres pays, mais à quel point?

«On compare à des pays comparables, donc de la zone . Qui enregistre une diminution du PIB de l’activité économique de l’ordre de 6,5% en 2020. Au Luxembourg, c’était -1,3%, donc on voit quand même une bien meilleure résistance. La France est à -8%, la Belgique -6%, l’Allemagne -5%.

Par rapport à des pays comme la Chine, vous n’avez pas la même structure économique, pas le même niveau de développement.

Le Statec , la Banque centrale européenne parle de +4,6% en zone euro. Les raisons de la bonne reprise au Grand-Duché seront-elles les mêmes que celles qui expliquent la bonne résistance à la crise?

«Ce sont d’autres raisons. Le secteur de l’information et de la télécommunication peut expliquer une croissance d’année en année, mais cela a quand même été très fort pour 2020 et paraît ponctuel.

Quels seront les secteurs de croissance?

«C’est difficile à dire. La productivité est déjà tellement élevée dans ces secteurs (comme la finance, ndlr) que j’ai du mal à imaginer qu’elle monte jusqu’au ciel. Maintenant il y a d’autres aspects qui peuvent intervenir: quelle sera l’influence du numérique dans ces secteurs-là, quelle sera l’évolution sur le plan mondial, en ce qui concerne la fiscalité… Nous n’avons pas encore mesuré toutes les conséquences de la crise et nous les verrons quand la poussière tombera.»

Demain, sur Paperjam.lu, l’interview de Vincent Hein, auteur d’un chapitre sur le télétravail.