À quoi ressemblera le film luxembourgeois en 2030? Plusieurs représentants du secteur, officiels ou professionnels, ont dessiné ce vendredi matin quelques perspectives sur l’évolution de leurs métiers et évoqué les challenges qu’il devra relever pour poursuivre son développement.
Pilier essentiel de la culture, l’industrie de la production audiovisuelle fait aussi désormais partie des prérogatives du ministère de la Culture. Tout un symbole selon le ministre de la Culture, (DP), qui a ouvert les assises. Il a donné le ton des ambitions du secteur: «Ne pas se reposer sur ses lauriers après tous ces succès. Nous sommes dans une compétition internationale, et nous devons rester compétitifs en trouvant le juste équilibre entre le cadre règlementaire, les aides financières, et les bonnes volontés des professionnels.» Il a cité trois défis majeurs: «Garder les tournages dans le pays, faire face à des coûts de production en hausse, et assurer une production qui soit durable.» Trois défis qui en induisent bien d’autres.
1. La promotion du secteur, encore et encore
Un défi s’impose naturellement: continuer à faire rayonner le Luxembourg sur la scène cinématographique internationale. Avec l’ambition d’avoir davantage de productions majoritairement luxembourgeoises. «Nous avons eu besoin des productions étrangères qui ont permis un transfert de savoir-faire et des savoirs techniques. À l’avenir, on pourra avoir plus de productions majoritaires, mais il faut un certain volume pour cela. Mais nous avons aussi des accords de codéveloppement, il ne faut pas se limiter juste au Luxembourg», soulève le directeur du Film Fund, .
Le secteur de l’animation en sait d’ailleurs quelque chose. «L’animation requiert des budgets élevés, donc nous nous orientons sur des coproductions, de fait. L’animation est universelle, et nos équipes sont de plus en plus reconnues à l’international», ajoute la productrice de films d’animation, Emmanuelle Vincent.
En termes de volumes, produire à tout-va n’induira pas forcément plus de réussites. «Avant d’investir des millions, il faut vérifier que l’histoire mérite d’être racontée. La diversification est importante», défend le réalisateur et producteur (Tarantula). Selon lui, il faut parvenir à la fois à cibler le public luxembourgeois et étranger, «en travaillant de façon plus transversale, et en impliquant d’autres secteurs comme l’éducation, le tourisme…»
Au-delà des questions de budgets et d’investissements, les retombées culturelles pour le pays doivent aussi être considérées. Un défi sera donc de continuer à promouvoir l’industrie luxembourgeoise, sans «essayer d’infliger un genre au film luxembourgeois, et sans rater le développement technologique», pointe Guy Daleiden.
2. Le virage technologique
Parce que le cinéma n’échappe pas aux innovations technologiques, le secteur doit aussi trouver la bonne façon de se les approprier, et de se faire une place. Sans pour autant négliger ce qui se fait jusque là. De nouveaux genres et formats ont émergé, tels que la réalité augmentée et le gaming, qui sont aussi de nouvelles formes de narration à explorer. Sur les films AR/XR et les œuvres immersives, le Luxembourg veut faire figure de leader, et l’a prouvé lors du Festival international du Film de Venise, où deux œuvres luxembourgeoises se sont distinguées parmi les cinq immersives en compétition: Oto’s Planet de Gwenael François, et une production majoritairement luxembourgeoise de la société Skill Lab (Julien Becker) avec le Québec et la France, remporte le «Venice Immersive Special Jury Prize»; et Ito Meikyu de Boris Labbé, une coproduction Les Films fauves (Gilles Chanial et Govinda Van Maele) avec la France.
Sur le gaming, là encore le Luxembourg ne veut pas rater le train. Le Film Fund a d’ailleurs lancé, en février, un appel à projets pour le prototypage de jeux vidéos. 19 projets avaient été déposés. «Le gaming est une industrie très grande au niveau mondial. Il nous faut le bon outil; mais aujourd’hui nous n’avons pas encore tout à fait les moyens financiers ni la structure qui nous permettent de soutenir ce développement au niveau que l’on voudrait. Il faut évidemment soutenir ces nouvelles industries, mais pas au détriment des films», souligne Guy Daleiden.
Sur l’intégration de l’IA dans la production, les avis des professionnels sont partagés, bien qu’elle soit déjà implémentée dans l’animation. Pourrait-elle remplacer les scénaristes? La scénariste et réalisatrice Eileen Byrne n’y croit pas trop: «ce qui nous touche dans un film, ce sont les émotions.» Emmanuelle Vincent abonde: «C’est l’Humain qui fait la beauté du métier. Mais cela apporte des petits outils qui peuvent nous aider dans nos tâches.» Selon le Conseil national de l’audiovisuel, il faut considérer l’IA de façon différenciée l’IA générative, qui pourrait être utilisée pour écrire des scénarios, et le machine learning pour la formation, qui peut contribuer à plus de créativité.
3. Former et fidéliser
L’écosystème de la production audiovisuelle recense 598 emplois directs, selon les statistiques consolidées par le statisticien Philippe Robin. «70% des emplois directs relèvent de la production. Mais cette donnée ne comprend pas le nombre d’emplois rattachés à d’autres secteurs, comme celui du spectacle vivant. Il est donc très difficile de mesurer l’emploi indirect. Il a été mesuré en 2020 pour l’Union luxembourgeoise en 2020», précise-t-il. Si l’on ajoute le nombre d’emplois indirects et ceux qui sont induits, le total des emplois est de 1.259 emplois.
Parmi les défis du secteur à horizon 2030: «Fidéliser les jeunes et les former aux métiers», cite Guy Daleiden. Le BTS Cinéma et Audiovisuel du Lycée des Arts et métiers a ainsi été créé il y a dix ans et forme environ 12 élèves par an. Depuis 110 personnes ont été diplômées, avec un taux d’employabilité de 87%. «L’enjeu est de garder ceux qui sont formés et d’adapter la formation selon les besoins concrets du secteur.»
4. Mieux vivre du métier
L’attractivité notamment en termes de rémunération soulève aussi un autre enjeu: celui de la diversité. «Compte tenu, par exemple, du coût du logement, il est difficile de vivre du métier de technicien si l’on n’a pas d’apport extérieur. Trop souvent, pour bien vivre de nos métiers, il faut être privilégié, jeunes, et si possible sans famille, et c’est encore plus dur pour les femmes», souligne Pia Dumont, monteuse. Ce qu’a aussi évoqué Eileen Byrne. «Faire des films est un luxe. Il faut vraiment faire en sorte qu’on puisse vivre de ces métiers.»
Les acteurs luxembourgeois sont eux aussi confrontés à cette problématique. Luc Schiltz. témoigne: «Souvent, c’est une nécessité de faire aussi du théâtre. D’enseigner au Conservatoire, dans les écoles. On ne dépend généralement pas que du cinéma. Parler d’argent est souvent pénible, mais il faudrait au moins un minimum garanti, nous les acteurs sommes les derniers maillons de la chaine.» Des minimas nécessaires aussi selon la monteuse Pia, qui évoque une dégradation de la situation.
Sur le plan de la diversité culturelle, le profil multilingue du Luxembourg et la diversité de sa population sont des atouts. «La moitié des résidents ne sont pas Luxembourgeois, et cela se reflète derrière les caméras», souligne Guy Daleiden.