Pour le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, l’Europe est devenue la pharmacie du monde, ce qu’elle était déjà en 2019, en termes de production de vaccins, selon… les producteurs. (Photo: Shutterstock)

Pour le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, l’Europe est devenue la pharmacie du monde, ce qu’elle était déjà en 2019, en termes de production de vaccins, selon… les producteurs. (Photo: Shutterstock)

Le jour même où la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se félicite d’avoir atteint l’objectif de 70% d’adultes qui ont reçu au moins une dose en juillet, avec modestie, son commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, fait de l’Europe «la pharmacie du monde».

«L’Europe est désormais la pharmacie de l’Europe.» Le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, s’enflamme. Sur Twitter, l’ancien patron d’Atos ajoute «producteurs, fournisseurs, distributeurs… plus de 350 entreprises à travers l’Europe sont la colonne vertébrale de notre autonomie dans la production de vaccins».

Le mot «pharmacie» a déjà vu son champ réduit à la production de vaccins… que l’Europe dominait déjà avant la crise que nous connaissons. Selon le groupe spécialisé dans les vaccins de la Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques (EFPIA), qui s’appuie sur les données de 2019, l’Europe produisait déjà 1,7 milliard de vaccins par an, sur 27 sites de production dans 11 pays européens. Elle était même déjà dotée de 12 sites de recherche dans huit États membres, qui en font même

, de juin 2019, le secteur est même à l’origine de 2,5 millions de jobs en Europe. Avec une particularité, chacun de ces salariés produit deux fois plus de valeur que l’industrie automobile ou que le secteur du codage (156.000 euros contre 85.000 euros et 82.000 euros).

Fin mars, 413 millions de doses ont été produites dans le monde. Dont 142 millions (34% du total) en Chine, tandis que les États-Unis ont dépassé le cap des 100 millions de doses (25% du total). Dans l’Union européenne, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas ont fabriqué plus de 81 millions de doses (près de 20% du total), alors que le deuxième pays le plus peuplé de la planète, l’Inde, a contribué pour le moment à la production de plus de 42 millions de doses.

Au total, cette année, plus de 11 milliards de doses de vaccins contre le Covid-19 devraient être produites, soit 50% de la production mondiale. Selon Airfinity, l’Europe n’aura qu’un seul leadership: le nombre de vaccins excédentaires. 885 millions de doses, soit autant que les États-Unis (2e avec 539 millions) et le Japon (3e avec 300 millions de doses).

Qu’a voulu dire M. Breton? Probablement que son initiative du «matchmaking» a apporté davantage de collaboration entre les différents acteurs. Et il a probablement raison. L’Europe redécouvre, depuis son arrivée, un concept déjà bien connu au Luxembourg, celui des clusters. Sauf qu’au niveau européen, il a été rebaptisé les «alliances». Alliance européenne des batteries, alliance européenne de l’hydrogène ou plus récemment alliance européenne des microprocesseurs, chaque mois amène sa nouvelle alliance, dans laquelle les acteurs européens sont «invités» à se réunir et à avancer. À l’instar de ce qui se pratiquait au milieu des années 1980 aux États-Unis, sous Ronald Reagan…

Mais utiliser le mot «pharmacie» fait peser un autre danger. Celui que la population croie que la situation s’est améliorée sur le flanc des pénuries de médicaments. Ce n’est pas le cas. 

«Les pénuries se sont multipliées par 20 entre 2000 et 2018 et par 12 depuis 2008, entraînant des risques considérables pour la sécurité des patients et fragilisant le système sanitaire des États membres. Notre dépendance de plus en plus forte à l’égard de pays tiers, comme la Chine et l’Inde, en est une des causes principales. Mais ce n’est pas la seule. Il est temps d’agir pour regagner notre souveraineté dans le domaine de la santé!», a déclaré la députée européenne de Metz, Nathalie Colin-Oesterlé, dans un rapport qu’elle a rendu pour le Parlement européen.

La députée avait insisté pour «la création d’un ou de plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, capables de produire certains médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique en situation de criticité ou n’étant plus rentables pour les firmes pharmaceutiques, [qui] peut également permettre de pallier les pénuries au-delà des situations de crise. Je propose également de développer, sur le modèle du mécanisme rescUE mis en place par la Commission européenne, une réserve commune de médicaments de type anticancéreux et anti-infectieux aux prix harmonisés, une sorte de ‘pharmacie européenne d’urgence’ afin de répondre aux besoins des États membres confrontés à ces pénuries récurrentes et garantir aux patients l’accès au traitement.»

Ou encore «une plus grande transparence dans la chaîne de distribution et une coopération renforcée entre États membres, afin d’avoir une cartographie claire des situations de tensions et des besoins dans chaque pays et éviter les pratiques de ‘surstockage’ qui ne font qu’aggraver ces pénuries».

L’heure est à la bataille contre le Covid. Mais l’Europe n’est pas la pharmacie du monde. La présidente de la Commission européenne, elle, l’a bien compris, avec sa déclaration à la mi-journée, dans laquelle elle rappelait que «ces chiffres placent l’Europe parmi les leaders mondiaux. Nous avons bien accéléré, mais nous devons poursuivre nos efforts.»