Retour sur un débat qui fait réagir. (Photo: Micael Borges/Chambre des députés)

Retour sur un débat qui fait réagir. (Photo: Micael Borges/Chambre des députés)

Après le débat public à la Chambre autour de l’obligation vaccinale, certains ont salué le Luxembourg sur les réseaux sociaux pour avoir osé donner la parole à des «experts» largement controversés. Une réflexion est en cours pour limiter la prise de parole des invités, tout en garantissant la liberté d’expression.

, faisant suite à deux pétitions sur le sujet, fait le «buzz» sur les réseaux sociaux, avec des centaines de milliers de vues. Un «succès» nourri par la présence d’experts controversés qui ont trouvé à Luxembourg une tribune, alors que leurs propos critiqués par leurs pairs leur valent d’être mis au ban presque partout ailleurs.

C’est le cas de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008, qui a notamment affirmé dans des médias que le coronavirus pouvait venir d’une création humaine en laboratoire, . Bien avant l’arrivée du Covid-19, des scientifiques avaient dénoncé des prises de position «dangereuses» contre les vaccins dans une pétition, selon plusieurs . Alexandra Henrion-Caude, directrice de son propre institut de recherche après avoir travaillé à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), est également bien connue en France également pour ses prises de position contre le vaccin, . Christian Perronne, , était aussi présent.

Le live du débat et son replay ont enregistré 125.000 vues sur la page Facebook de la page Kairos. Il s’agit d’un média belge qui se qualifie d’«antiproductiviste», et largement critiqué pour ses méthodes et prises de position. L’interview des invités-experts qui a suivi le débat avait généré 266.000 vues en date du vendredi 14 janvier.

D’autres saluent, sans aucune ironie, l’invitation de «grands scientifiques reconnus mondialement». Alexandra Henrion-Caude remercie personnellement le Luxembourg pour son accueil dans le cadre d’un débat qualifié d’«historique».

Sur le média citoyen français AgoraVox, dont «de nombreux contributeurs se servent notamment pour relayer des théories conspirationnistes», selon l’outil de vérification du Monde Décodex, arrive en top 3 des tendances.

Une vérité déformée sur les réseaux

Une «tribune» que regrette le député (Piratepartei). «J’ai vraiment insisté sur le fait que leurs informations étaient de la pure intox.» Mais «sur les réseaux sociaux, personne ne voit que c’était dans le cadre d’une pétition. Ils publient une vidéo dans l’enceinte de la Chambre comme s’ils avaient été invités à témoigner par les députés. Avec un grain de vérité, ils peuvent dire ce qu’ils veulent.»

Il se dit «pour le droit de la pétition, que tout le monde puisse être accompagné par qui il veut». Il faudrait cependant reléguer au second rang le rôle des experts invités par les pétitionnaires, en leur permettant seulement de répondre à des questions spécifiques quand ils y sont invités. «Ce sont des soi-disant experts, importés, aux propos qui ne sont plus acceptés ailleurs dans le monde, qui ont dominé le débat.» Il souligne qu’ils n’auraient même pas pu signer la pétition, n’ayant pas de numéro de matricule luxembourgeois. Et estime aussi que les députés auraient dû avoir les documents cités en amont. «Nous avons essayé de ‘fact-checker’ en temps réel, mais c’est impossible.»

Je ne pense pas que les 11.000 personnes qui ont signé l’une des pétitions souscrivent à ce qui a été dit.
Sven Clement

Sven Clementdéputé

Les pétitionnaires eux-mêmes se sont retrouvés «pris en otage», selon lui. «Je ne pense pas que les 11.000 personnes qui ont signé l’une des pétitions souscrivent à ce qui a été dit en séance publique», ajoute-t-il. Sollicitée à ce sujet, Christelle Pizzirulli, à l’origine de la pétition aux 11.456 signatures, n’a pas répondu à Paperjam. Comment les pétitionnaires sont-ils entrés en contact avec ces experts controversés? «C’est une question importante, il doit y avoir quelqu’un derrière qui les a mis en relation et veut rendre plus visible ce genre de propos.»

Mieux gérer le temps de parole des experts

«À la base, nous avons donné la possibilité à ceux qui venaient d’inviter un maximum de cinq personnes, pour ceux qui auraient des difficultés à s’exprimer, ou parce que, parfois, quelqu’un a une bonne idée, mais n’est pas expert en la matière», justifie (CSV), présidente de la commission des pétitions.

Le niveau était très haut, c’était quand même des experts.
Nancy Arendt

Nancy Arendtprésidentecommission des pétitions

Elle admet que «quand le pétitionnaire ne parle presque pas et laisse faire les experts», comme ce fut le cas mercredi, «cela commence à poser problème». Elle compte discuter avec les députés pour analyser «comment limiter le nombre d’experts extérieurs». Par exemple, avec des experts qui devraient être obligés de pouvoir signer la pétition. Ou en «faisant attention à ce que le pétitionnaire prenne davantage la parole». Elle compte aussi demander, dans le futur, aux pétitionnaires de leur envoyer des documents avant le débat.

Malgré tout, elle se satisfait du déroulement du débat mené, qu’elle qualifie de «serein». «Le niveau était très haut, c’était quand même là des experts. Je trouve que la catastrophe serait de ne pas les laisser parler. Il n’y a pas eu de propos d’un tel niveau qu’on aurait dû interrompre le débat», comme .

Néanmoins, «nous leur avons demandé de nous procurer les documents cités, et nous allons vérifier». Car, d’un côté comme de l’autre, «il faut voir si ce qu’on nous présente est véridique. Il faut laisser la parole à ceux qui n’ont pas le même avis que la majorité.»

Pas de contrôle spécifique des invités

Elle ajoute que la pétition de Christelle Pizzirulli arrive en cinquième position de celles ayant récolté le plus de signatures. «Quelqu’un qui récolte autant de voix a certainement le droit d’être écouté à la Chambre.»

Mais jusqu’où peut-on aller dans le choix des invités? «Nous avons la liste des participants souvent un ou deux jours avant le débat. Nous ne faisons pas de recherches sur chacun.» Et si on poussait la logique beaucoup plus loin et qu’il s’agissait d’un dictateur, d’un pédophile? «Je ne sais pas, il faudrait peut-être en discuter. Mais si on ferme la porte aux personnes, ce n’est jamais une bonne idée. Si la personne présente des théories farfelues, on peut toujours répondre qu’on n’est pas d’accord.» .

Quant aux critiques d’avoir offert une «tribune» et une belle caisse de résonance à ces experts controversés, la présidente de la commission répond: «Le débat sert à écouter et à voir ce qu’on fait ensuite avec la pétition, si on l’envoie vers une commission spécifique.» Est-ce que ce sera le cas avec celles-ci? «Cela aurait pu être la conclusion, mais ce ne sera pas le cas, parce qu’il va y avoir un  avec des spécialistes sur l’obligation vaccinale.»