Si le salaire moyen est élevé au Luxembourg, c’est en partie parce que dans certains secteurs, les rémunérations grimpent en flèche.  (Illustration: Sofia Azcona)

Si le salaire moyen est élevé au Luxembourg, c’est en partie parce que dans certains secteurs, les rémunérations grimpent en flèche.  (Illustration: Sofia Azcona)

Dans les secteurs financier et de l’ICT, certains profils très techniques et très demandés s’arrachent aujourd’hui à prix d’or.

Si le salaire moyen est élevé au Luxembourg, c’est en partie parce que dans certains secteurs, les rémunérations grimpent en flèche. C’est surtout le cas dans le secteur financier, le plus généreux pour ses collaborateurs. Lors de la publication du guide des salaires 2020 (Salary Guide 2020) réalisé par Robert Half Luxembourg, un cabinet de recrutement spécialisé dans les profils comptables et financiers, sa division manager Finance & Accounting, Amandine Bianchi, avait ainsi donné l’exemple d’un directeur financier bénéficiant d’un salaire annuel de base de 160.000 euros brut, agrémenté de bonus de l’ordre de 20 à 30% et d’avantages comme une voiture de société avec carte essence, des chèques-repas, etc. Un chef de contrôle un peu expérimenté pourra, lui, gagner 90.000 euros par an. Un comptable senior atteindra les 80.000 euros, une somme non négligeable pour ce niveau de formation.

Ces salaires étaient-ils de l’ordre du fantasme il y a encore quelques années? «Clairement, je suis chez Robert Half Luxembourg depuis sept ans, et durant cette période finalement assez courte, j’ai vu les choses évoluer considérablement, explique Amandine Bianchi. Le fait qu’un comptable parvienne à gagner 80.000, voire 85.000 euros par an semblait complètement saugrenu à mes débuts. Aujourd’hui, ça ne l’est plus du tout. Les packages ont eux aussi évolué, avec des chèques-repas, des assurances ou des voitures qui accompagnent de plus en plus souvent les salaires.»

Les profils juridiques au sommet

Chez Michael Page Luxembourg, société spécialisée dans le recrutement de cadres supérieurs, le même son de cloche se fait entendre. «L’évolution des rémunérations est particulièrement sensible dans les départements Compliance et les services juridiques au sens large, précise Raphaël Cohen, associate consultant au sein de la division Banking & Financial Services de Michael Page Luxembourg. Pour ces profils, les salaires bruts commencent aujourd’hui à 50.000 euros et peuvent atteindre les 200.000, voire 250.000 euros annuels!» Pour cet expert, c’est l’inflation réglementaire qui est responsable de cette explosion des rémunérations dans les départements juridiques des banques. «Ces dernières années, le nombre de réglementations visant le secteur bancaire a considérablement augmenté. Or, la mise en œuvre de ces textes légaux implique un travail important au sein des banques. Et les équipes en place suffisent rarement à l’assumer. Il faut donc recruter. Mais plus on recrute, plus les profils recherchés sont rares, ce qui fait augmenter les salaires qu’on est prêt à leur offrir.»

Ces profils hautement recherchés par les départements Conformité des banques sont assez diversifiés. «On trouve d’abord les spécialistes de la lutte anti-blanchiment, qui gagnent 60.000 à 65.000 euros lorsqu’ils ont cinq ans d’expérience. Puis les compliance officers axés sur les processus internes, dont la rémunération peut grimper à 80.000 euros, détaille Raphaël Cohen. Si ces profils plus ‘compliance’ ont également un important background juridique, on peut alors voir les rémunérations décoller. Ces profils peuvent en effet s’impliquer dans la gouvernance et avoir un rôle stratégique dans l’entreprise. En outre, il est à noter que le compliance officer est enregistré auprès de la CSSF et prend donc un risque personnel dans son travail quotidien. Et ce risque se monnaie.»

Les candidats eux-mêmes sont aujourd’hui conscients qu’ils peuvent jouer le jeu de la surenchère.

Amandine BianchiDivision manager Finance & AccountingRobert Half Luxembourg

Offre et demande

L’explosion de la demande pour certains profils serait donc responsable de l’augmentation considérable des salaires au cours des dernières années, et ce en vertu de la loi de l’offre et de la demande. Autrement dit, si vous voulez embaucher un profil rare et recherché, il faudra y mettre le prix. Et cette réalité n’est pas seulement vécue dans le cénacle juridique des institutions bancaires. «Pour les profils que nous recherchons, nous nous retrouvons exactement dans cette même situation de raréfaction de l’offre, alors que la demande est toujours plus importante, estime Amandine Bianchi. Une centaine de sociétés de recrutement sont actives sur la Place, qu’il s’agisse de sociétés luxembourgeoises ou internationales. Et les profils comptables ou financiers sont très recherchés. Les candidats eux-mêmes sont aujourd’hui conscients qu’ils peuvent jouer le jeu de la surenchère, sachant que certaines sociétés sont prêtes à débourser des sommes importantes pour s’attacher leurs services.»

Pour Amandine Bianchi, cette hausse des salaires s’est accentuée depuis le début des discussions sur le Brexit. «De nombreuses sociétés britanniques ou canadiennes se sont installées au Luxembourg ou veulent le faire dans les prochains mois. Il leur faut donc rapidement constituer des équipes et ce besoin urgent augmente la pression sur une offre qui n’est pas extensible à l’infini. Certaines positions opérationnelles – comme celle de spécialiste consolidation – ne sont vraiment pas simples à trouver. » L’internationalisation de la demande entraîne en outre des exigences plus élevées en matière de maîtrise des langues, mais aussi en ce qui concerne les certifications exigées par les employeurs.

Tapis rouge pour les développeurs

Le secteur financier et bancaire n’est pas le seul à être confronté à d’importants besoins en recrutement. Le développement de la Place, l’inflation de la réglementation qui vise le secteur financier et la nécessité de maintenir ses marges dans ce contexte ont eu pour conséquence de revaloriser considérablement un autre secteur: l’IT. La demande pour les profils «tech» a ensuite également bondi en dehors du secteur bancaire, puisque l’ensemble des domaines d’activité sont aujourd’hui confrontés à la nécessité de mener des chantiers de digitalisation de leur business. Alors que le département informatique était, durant tout un temps, le parent pauvre au sein de la plupart des entreprises, une sorte de «mal nécessaire» qu’on reléguait dans les tréfonds de la structure, ces professionnels sont aujourd’hui devenus des «superstars» sur le marché de l’emploi. Selon une étude sur les salaires réalisée par Nexten.io, société luxembourgeoise spécialisée dans le recrutement de profils «tech», un développeur en début de carrière pourra déjà espérer toucher annuellement entre 30.000 et 41.000 euros brut, et jusqu’à plus de 80.000 euros lorsqu’il aura acquis de l’expérience. Ces sommes, elles aussi, étaient loin d’être pratiquées il y a quelques années.

Les employeurs n’ont pas les mêmes arguments

Le secteur financier et bancaire n’est pas le seul à être confronté à d’importants besoins en recrutement. Le développement de la Place, l’inflation de la réglementation qui vise le secteur financier et la nécessité de maintenir ses marges dans ce contexte ont eu pour conséquence de revaloriser considérablement un autre secteur: l’IT. La demande pour les profils «tech» a ensuite également bondi en dehors du secteur bancaire, puisque l’ensemble des domaines d’activité sont aujourd’hui confrontés à la nécessité de mener des chantiers de digitalisation de leur business. Alors que le département informatique était, durant tout un temps, le parent pauvre au sein de la plupart des entreprises, une sorte de «mal nécessaire» qu’on reléguait dans les tréfonds de la structure, ces professionnels sont aujourd’hui devenus des «superstars» sur le marché de l’emploi. Selon une étude sur les salaires réalisée par Nexten.io, société luxembourgeoise spécialisée dans le recrutement de profils «tech», un développeur en début de carrière pourra déjà espérer toucher annuellement entre 30.000 et 41.000 euros brut, et jusqu’à plus de 80.000 euros lorsqu’il aura acquis de l’expérience. Ces sommes, elles aussi, étaient loin d’être pratiquées il y a quelques années.

Concurrence et loyauté

Les candidats du secteur de l’ICT savent combien ils sont demandés sur le marché luxembourgeois. Certains perdent donc un peu pied face à l’augmentation des salaires et n’hésitent pas à faire jouer la concurrence. «On peut imaginer qu’un développeur qui gagne 40.000 euros par an souhaite quitter sa fonction, car il estime devoir être rémunéré 60.000 euros par an, indique . Le plus fou, c’est qu’il finira par trouver un employeur qui lui offrira ce montant, tant la demande est forte. Cela pose évidemment un problème de loyauté par rapport à l’employeur. Pour lui, ce n’est pas intéressant d’engager une personne qui peut partir à tout moment, sachant qu’il faut déjà trois à six mois, dans ce secteur, pour être efficace dans son travail.»

Eric Busch pointe aussi la mauvaise connaissance qu’ont certains candidats du Luxembourg. «Certes, les salaires sont plus élevés, mais le coût de la vie est proportionnel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous est si difficile de trouver des profils ICT, surtout des jeunes. Ceux-ci iront plutôt à Berlin, où le coût de la vie est plus faible et la ville plus attractive. Par contre, il est plus facile d’attirer à Luxembourg des managers avec une famille, à la recherche d’une bonne qualité de vie.»

Ce phénomène de manque de loyauté n’est pas propre à l’IT. «On le voit aussi dans notre secteur, estime Amandine Bianchi. Les profils comptables étant très demandés, il y a un phénomène de course aux salaires qui est constaté.» Toutefois, il reste des candidats qui s’intéressent d’abord au travail avant de penser à la rémunération. «Les candidats motivés uniquement par l’argent iront plus facilement vers les banques ou les sociétés de services. Toutefois, ces dernières ont le désavantage de ne pas offrir de vision à long terme, de donner des missions qui varient constamment. Pour certains candidats, cela pose problème et ils pourront alors accepter un poste dans une industrie qui leur offre un projet stable et intéressant à leurs yeux», complète Eric Busch.

Jusqu’où cette hausse des salaires ira-t-elle? Le plafond semblait très lointain il y a quelques mois encore, mais on peut aujourd’hui se demander si la crise du coronavirus n’a pas permis de l’atteindre et si cette fuite en avant n’est pas sur le point de se terminer. Si le recul n’est pas encore suffisant pour en juger, la plupart des professionnels du secteur ne semblent pas tabler sur une stagnation, voire un retour en arrière. «Même si cela peut paraître surprenant, je n’ai pas constaté de contrecoup suite à la crise, relève Amandine Bianchi. Je remarque que les sociétés qui font appel à nos services continuent à le faire et même à payer, sans sourciller, les acomptes de début de mission que nous demandons. Certes, certains recrutements ont été reportés ou gelés, mais pas annulés. La demande reste donc la même et l’offre ne s’est pas accrue pendant la crise. Les salaires devraient donc rester élevés.» Pour Amandine Bianchi, la seule conséquence de cette crise que l’on peut déjà identifier aujourd’hui est la plus grande prudence des employés qui sont déjà en poste. «Ceux-ci hésiteront peut-être plus à quitter leur entreprise pour un autre poste dans ce climat incertain. Seul le débauchage pourrait donc être plus compliqué dans un premier temps», conclut la division manager Finance & Accounting de Robert Half Luxembourg.