Céline Camara interprète Tessa Ensler dans la pièce «Prima Facie». (Photo: Bohumil Kostohryz )

Céline Camara interprète Tessa Ensler dans la pièce «Prima Facie». (Photo: Bohumil Kostohryz )

Le Théâtre du Centaure présente «Prima Facie» de Suzie Miller. Ce monologue percutant, mis en scène par Marja-Leena Junker, pose un regard critique sur la manière dont le système judiciaire traite les affaires d’agressions sexuelles. Elle a confié le (seul) rôle à Céline Camara qui réalise ici une interprétation tout à fait remarquable.

Le sujet est lourd, car il s’agit de la question du viol et de sa reconnaissance devant les tribunaux. Les actualités sont malheureusement pleines de ce type d’affaires. Le texte de «Prima Facie», écrit par Suzie Miller (dans une traduction en français de Dominique Hollier et Séverine Magois), raconte l’histoire de Tessa Ensler, jeune femme issue d’un milieu modeste, mais qui, grâce à son talent et à un travail acharné, devient une brillante avocate pénaliste, spécialisée dans la défense des hommes accusés d’agressions sexuelles. Maîtrisant parfaitement son sujet, et n’hésitant pas à user de stratagèmes pour déstabiliser et décrédibiliser les victimes, elle gagne tous ses procès. Sauf qu’un soir, sa vie bascule. Après avoir flirté avec l’un de ses collègues, ce dernier abuse d’elle. Et Tessa Ensler se retrouve de l’autre côté de la barre. Elle a le courage de porter plainte à la police, mais va passer «782 jours à faire valoir ses droits», se débattant dans une procédure qui, malgré sa connaissance intime de ses rouages, se referme sur elle, mettant en doute son récit et l’absence de consentement.

Un basculement qui interroge la justice

Le cœur de la pièce réside dans ce renversement de situation et pousse à s’interroger sur les fondements mêmes du système judiciaire. Sans remettre en question les postulats du droit, Suzie Miller interroge plutôt la persistance à questionner les victimes, à ne pas croire leur témoignage. «Une femme sur trois est victime d’agression sexuelle», fait-elle déclarer à son personnage, «il faut qu’elles soient crues, afin que justice soit faite.»

Le personnage de Tessa est ici interprété par Céline Camara. L’actrice réalise une véritable performance scénique, avec un monologue de plus d’1h30, et incarne puissamment cette femme à l’intelligence aiguë et au courage qui inspire. Un rôle exigeant qu’elle fait d’autant plus sien puisqu’elle a dans un premier temps fait des études de droit avant de se consacrer pleinement au théâtre. Dans un rythme soutenu, elle passe du rôle de jeune femme brillante qui se bat pour sa carrière à celle de femme ébranlée et brisée par le viol, mais qui trouve le courage de regarder son agresseur dans les yeux et d’aller jusqu’au procès.

Il convient aussi de souligner la justesse de la mise en scène de Marja-Leena Junker et l’habileté de la scénographie de Christian Klein. À partir d’éléments très simples – trois sets d’étagères métalliques, des boîtes d’archives en carton et quelques accessoires –, ils donnent à voir un espace scénique à la fois ouvert, sujet à la projection intellectuelle nécessaire à la diversité spatiale et temporelle de la pièce, tout en étant suffisamment oppressant pour être le reflet d’une organisation austère et déshumanisante. La création sonore de Laurent Peckels vient aussi soutenir le monologue, sans le surcharger, créant une tension discrète, mais bien présente.

«Prima Facie» est une pièce qui est un cri contre le système judiciaire, à tel point qu’elle a fait évoluer les réflexions sur le sujet en Grande-Bretagne où la pièce a été présentée précédemment: une juge anglaise a confié à Suzie Miller avoir modifié les instructions données aux jurys dans les affaires de viol après avoir vu la pièce, précisant qu'une victime ne se souvenant pas de tous les détails ne ment pas forcément. Une pièce qui pose donc cette question si sensible: la justice est-elle vraiment juste?

Au Théâtre du Centaure, 4 Grand Rue à Luxembourg.