«Renseignez un à trois titres de jeux auxquels vous jouez le plus et estimez être vraiment doué.» Telle est la première question du «Gaming Skills Translator» de Manpower. On vous demande ensuite depuis combien de temps vous jouez, à quelle fréquence, et votre niveau d’expertise, situé entre «en dessous de la moyenne» et «très au-dessus de la moyenne». Et voilà, test terminé. Il n’y a plus qu’à fournir quelques informations de plus, comme son adresse e-mail, pour accéder au résultat.
L’outil développé par le cabinet de recrutement américain vient d’être lancé au Luxembourg. Il vise à traduire les aptitudes développées par la pratique des jeux vidéo en soft skills utiles pour trouver un emploi. Par exemple, pour les adeptes de stratégie, on parlera d’acquis au niveau de la concentration et de la persévérance, alors que les joueurs de Mario Bros apprendraient à gérer l’échec. Un catalogue de 11.000 références dans 13 catégories a servi à son élaboration.
Un moyen de faire la différence
Alors, peut-on maintenant écrire «Jeux vidéo» comme on pouvait déjà inscrire «Basket-ball» ou «Pratique la pêche» sur son CV? Voire, si on veut être plus précis, «Minecraft (créativité)» pour le jeu de construction au lieu de «Peinture (créativité)»?
Pour un loisir comme pour l’autre, «tout dépend de l’implication», estime Mathilde Lambin, à la tête de Manpower Luxembourg. Elle conseille de l’écrire dans son CV «tant qu’on est capable d’avoir une conversation sur le sujet».
Les compétences développées sont en tout cas comparables, selon elle. Si la mention est justifiée, elle ne craint pas de réticence de la part des employeurs. «C’est un CV qui interpelle et qui permet d’ouvrir la conversation lors de l’entretien. C’est toujours agréable de lire autre chose que ‘voyages’, ‘lecture’ et ‘cinéma’. À deux candidatures égales, le hobby fait la différence.»
Un minimum de pratique est tout de même nécessaire pour que le test de Manpower soit significatif. Car si une personne qui fait une à deux parties de Mario Kart par an chez des amis, et finit 12e sur 12 à la course, indique qu’elle y joue moins de quatre heures par semaine (le minimum proposé) et considère son niveau comme en dessous de la moyenne, on lui signalera quand même que cela lui a permis de développer écoute, discernement et prise de décision… Ce cas «ne fait pas partie du public cible», justifie Mathilde Lambin. C’est-à-dire les «vrais» gamers. Une communauté «de plus en plus nombreuse et mal représentée au niveau des employeurs».
C’est toujours agréable de lire autre chose que ‘voyages’, ‘lecture’ et ‘cinéma’. À deux candidatures égales, le hobby fait la différence.
Le but du test est d’ailleurs «marketing», admet-elle. Il vise à «attirer de nouveaux candidats chez nous, parler à une population différente». Avec le développement du télétravail, «les employeurs ont déjà pu voir que les compétences digitales développées par les gamers étaient importantes».
Après le passage du test, aucun lien automatique n’est effectué avec le CV des candidats. Si l’entreprise demande l’adresse e-mail, Mathilde Lambin assure que ce n’est pas pour «spamer» les participants, même si on semble l’y autoriser en cochant la case dédiée à la protection des données personnelles. En écrire une fausse donne de toute façon accès aux résultats. Depuis son lancement mercredi dernier, le quiz a attiré environ 127 personnes, y compris les membres de l’équipe qui l’ont testé. Une analyse approfondie de son impact pour attirer des candidats devrait être effectuée mensuellement.
De la persévérance à l’anglais
, directeur de la plateforme de recrutement Moovijob, se montre un peu plus nuancé au sujet de la mention des jeux vidéo sur le CV. «Les soft skills développées en jouant peuvent avoir la même valeur sur un CV que celles d’autres activités. Ces jeux débouchent d’ailleurs de plus en plus sur des métiers, avec notamment les compétitions d’e-sport, qui brassent des millions d’euros et donnent de l’espoir à beaucoup de personnes.» Il cite de nombreuses compétences développées, comme «la créativité, la patience et la persévérance, la persuasion, la capacité à réagir au stress, la capacité d’attention, la concentration, l’esprit d’équipe». Sans parler de «l’apprentissage de l’anglais» pour ceux qui jouent en réseau dans le monde.
Mais pour l’inscrire sur son CV, la vigilance s’impose. Il le préconise seulement pour les personnes cherchant du travail dans des domaines comme l’IT, sensibles à ces questions. «Les entreprises ne sont pas encore prêtes et voient souvent le gaming comme quelque chose de contre-productif.» Le stéréotype du joueur «isolé, qui ne va pas s’intégrer dans l’entreprise» persiste. «La tendance est réelle, mais le marché n’est pas encore mature. Les recruteurs pourraient être surpris de voir Minecraft sur un CV, certains ne sauraient d’ailleurs pas de quoi il s’agit. Et les candidats ont pour le moment encore peur de mettre cela en avant.»
Sur 160.000 candidats inscrits sur le site, 364 ont utilisé le mot «gaming», principalement des informaticiens et des commerciaux. Sept ont évoqué le jeu Minecraft et cinq League of Legends. «Nul doute que si nous lançons ces mêmes requêtes dans un an, les résultats seront bien plus nombreux.» Il assure que Moovijob développe des concepts sur cette thématique des jeux vidéo, sans pouvoir en dire plus pour le moment.
Les RH de demain, déjà sensibilisés
Les éléments liés au gaming se retrouvent «de plus en plus sur les CV», constate de son côté , CEO de l’entreprise spécialisée en ressources humaines RH Expert. «Alors qu’il y a cinq ans, on n’aurait pas imaginé le mettre.» Il donne l’exemple de deux candidatures reçues récemment sur lesquelles figurait la participation à des compétitions d’e-sport. «Ce sont des personnes qui n’ont rien à voir avec l’IT, dans les banques et la comptabilité.» Pour lui, l’acceptation s’est faite avec le développement des jeux en ligne. «On n’est plus sur l’image de la personne asociale, sur son canapé avec des chips, à laquelle le jeu était associé avant», imagine-t-il. Même si des recruteurs pourraient encore méconnaître ce domaine, «pour un CV, il ne faut pas tricher. Si c’est une partie de soi et que cela amène une information pour le poste», on peut y parler de jeux vidéo.
Les recruteurs de demain devraient mieux s’y connaître. À la HR Academy, créée en 2014 par RH Expert, les élèves et futurs élèves peuvent participer aux HR Games. La première édition, en cours, a débuté le 10 avril et se termine le 17 mai. Les candidats y alternent quiz chronométrés et mises en situation. Avec la possibilité de gagner une année d’études, des réductions, ou encore un stage conventionné. Le concours compte déjà une centaine d’inscrits, pour 88 élèves actuellement. Des futurs responsables des ressources humaines qui embaucheront peut-être, dans quelques années, de nouveaux talents directement via des «serious games», ou sessions de recrutement par le jeu.