Laurent Godin, head of portfolio management chez Edmond de Rothschild Luxembourg. (Illustration: Maison Moderne)

Laurent Godin, head of portfolio management chez Edmond de Rothschild Luxembourg. (Illustration: Maison Moderne)

Depuis le début de l’année, les investisseurs font face à une situation inédite : une corrélation positive entre les obligations et les actions, associée à une forte baisse des deux classes d’actifs. Le marché oscille entre crainte de la persistance des tensions inflationnistes et risque d’un ralentissement de la croissance mondiale.

L’ampleur de cette récession potentielle dépendra en partie de l’efficacité des mesures déployées pour réduire l’impact de la crise énergétique sur les ménages et les entreprises. Les banques centrales, confrontées au plus grand choc inflationniste depuis les années 1970, continueront probablement à donner la priorité à la lutte contre l’inflation plutôt qu’au soutien à la croissance.

L’inflation des prix à la consommation aux États-Unis a encore augmenté en septembre, pour atteindre 6,6% en glissement annuel, soit le taux de croissance des prix le plus rapide depuis 1982. L’inflation dans la zone euro a atteint 9,1% en glissement annuel et pourrait dépasser 10% dans les prochains mois. L’Europe est en première ligne en termes de risque de récession en raison de la crise énergétique qui s’est intensifiée ces derniers mois.

Le taux de chômage à son niveau le plus bas en 50 ans

Aux États-Unis, la communication de la Réserve fédérale (FED) suggère qu’elle est disposée à continuer le resserrement monétaire pour contenir l’inflation. Les responsables de la FED ont, notamment, réitéré leur intention de pousser les taux à 4,5-4,75% l’année prochaine. Par ailleurs, le marché du travail – facteur important d’alimentation de l’inflation – reste tendu. Le taux de chômage est tombé à 3,5% en septembre, contre 3,7% en août, ce qui correspond à son niveau le plus bas en 50 ans.

Malgré ce contexte, on note, aux États-Unis, des anticipations tablant sur une inflation à environ 3% dès le second semestre 2023 suivi d’une stabilisation pour les années suivantes. Au-delà des facteurs conjoncturels d’inflation (prix des matières premières notamment), de telles anticipations semblent sous-estimer les facteurs structurels qui pourraient enclencher un ancrage de l’inflation. Il s’agit notamment de la démographie, du recul de la part du commerce mondial dans le PIB et de la relocalisation de la production de biens en Europe et aux États-Unis.

Cette conjonction de facteurs (persistance de l’inflation avec des taux d’intérêt en hausse) pourrait ouvrir la voie à un changement de paradigme d’investissement marquant le retour en force d’une approche active de l’investissement après des années marquées par la gestion indicielle et la généralisation du recours aux ETF (Exchange Traded Funds) sur les marchés actions.

Le retour à une normalité pour les taux d’intérêt après une longue période de taux proches de zéro et, dans certaines économies négatifs, aura un impact sur l’attractivité du marché obligataire. Ce dernier retrouve une configuration classique avec le retour du rendement sur les obligations souveraines notamment aux États-Unis. La hausse des rendements rétablit le rôle de valeurs refuges des obligations.

Cette année, les stratégies «global macro» des fonds alternatifs ont profité des divergences économiques et des incertitudes liées aux crises géopolitiques pour enregistrer des performances positives retrouvant ainsi la faveur des investisseurs.

Concernant la classe d’actifs actions, une approche de gestion tactique et active permettrait d’exploiter les évolutions et corrélations divergentes entre les secteurs. L’utilisation de produits structurés contribuerait à exploiter les divergences de volatilité au sein des classes d’actifs et entre elles, toujours afin d’améliorer le rendement et de protéger le capital.

La gestion active doit continuer à se concentrer sur des sociétés fondamentalement solides, capables de générer des dividendes réguliers et des bénéfices stables tout au long du cycle économique. La période des taux bas avait été marquée par un tropisme des investisseurs pour les sociétés à forte croissance. Compte tenu du potentiel de hausse des salaires, de la pression sur les marges et de la hausse des coûts de financement, les entreprises avec un bilan solide (peu d’endettement et liquidités permettant de financer des investissements), disposant d’une latitude pour maintenir les marges (marques, technologie, brevets), sont à privilégier.

Un recul des bénéfices par actions l’an prochain? 

Le resserrement monétaire et le ralentissement de la croissance pourraient se traduire par un recul des bénéfices par actions de 10% à 20% l’année prochaine. L’essentiel est d’évaluer ce qui est déjà intégré au niveau des multiples de valorisation. Le S&P500 se traite à un PER 2022 de 16, ce qui prend en compte une chute d’environ 10% des bénéfices en 2023 tandis que le STOXX600, avec un multiple de 11, implique un recul de près de 25% des bénéfices. La chute des bénéfices pourrait être plus importante, tandis que les multiples pourraient être revus à la baisse du fait du niveau des taux longs et d’un potentiel de croissance moindre. Les marchés semblent donc prendre en compte pour l’instant un scénario d’ajustement modéré pour 2023 aux États-Unis et plus sévère en Europe.

La configuration «risk/reward» pour les marchés au cours des prochains mois demeure défavorable. Les banques centrales continuent le cycle de hausse des taux et la croissance économique mondiale est en phase de décélération. À cela, il faut ajouter les risques géopolitiques qui renforcent la vulnérabilité des marchés. Toutefois, il ne faut pas négliger la possibilité d’une amélioration progressive des données relatives à l’inflation permettant aux banques centrales d’achever leurs cycles de relèvement des taux, ce qui permettrait un rebond de l’activité économique.