L’artiste Danh Vo est intervenu dans le pavillon Leir au Mudam avec une installation spécialement conçue pour ce lieu. (Photo: Nick Ash)

L’artiste Danh Vo est intervenu dans le pavillon Leir au Mudam avec une installation spécialement conçue pour ce lieu. (Photo: Nick Ash)

Le Mudam a invité l’artiste Danh Vo à réaliser une installation dans le pavillon Leir du musée. L’artiste y répond par l’exposition «A Cloud and Flowers», qui fait dialoguer son travail avec les sculptures lumineuses d’Isamu Noguchi.

La première impression en entrant dans l’exposition «A Cloud and Flowers», installée dans le pavillon Leir du Mudam, est celle d’une grande délicatesse, d’une installation toute en légèreté et retenue, éminemment poétique. Le regard est d’abord attiré par les sculptures lumineuses d’Isamu Noguchi, ces Araki bien connues du public pour avoir été à de nombreuses reprises copiées et diffusées par les grandes chaînes d’ameublement. Puis, le regard se tourne vers le sol, là où l’artiste Danh Vo a choisi de placer plusieurs compositions basses réalisées à partir de pierres, souches d’arbres et paniers en osier sur lesquels sont délicatement posés des branchages et des mousses. Un dialogue léger, comme un bruissement, qui invite à la contemplation et à l’introspection, tout en restant en éveil sur notre environnement.

Des trajectoires similaires

Cela fait plusieurs années que Danh Vo s’intéresse à l’œuvre d’Isamu Noguchi. Les Araki qui sont présentées au Mudam font même partie de sa collection privée. En 2018, l’artiste d’origine vietnamienne a entamé une conversation entre son travail et celui de l’artiste d’origine japonaise. En effet, Isamu Noguchi (1904-1988) est un artiste moderniste qui partage avec Danh Vo (né en 1975) un parcours de vie international: Noguchi est d’origine américano-japonaise, mais a aussi travaillé à Paris, ayant comme influence l’œuvre de Brâncusi et Arp, entre autres; Danh Vo, lui, est d’origine vietnamienne, mais a grandi au Danemark et vit actuellement en Allemagne.

Cette installation au Mudam, qui est si simple et frugale dans son expression, est pourtant d’une grande richesse de discours. Le premier niveau est bien entendu notre relation à la nature, à notre environnement, aux petites choses du quotidien. Les compositions botaniques qui occupent les installations de Danh Vo sont simplement des branchages et des mousses collectées dans le parc Dräi Eechelen autour du musée. Elles sont installées selon une méthode utilisée par un ami de Danh Vo qui est fleuriste à Kyoto.

Les lampes Araki ont pour origine ces lampes de papier washi utilisées par les pécheurs au japon. De facture modeste, en papier de mûrier et bambou, elles sont pourtant le fruit d’une longue tradition d’artisanat et d’une culture populaire ancestrale. Des objets utilitaires qui deviennent des sculptures lumineuses. Une approche revendiquée par Noguchi pour qui l’abolition des frontières entre les disciplines était une réalité. «Cet aspect simple et fragile s’entremêle avec la vie de tous les jours et souligne la valeur sociale de l’art», explique directrice du Mudam et co-commissaire de l’exposition, avec Clément Minighetti.

Interroger le colonialisme

À cette relation à la nature, à l’artisanat et aux choses simples s’ajoute une autre dimension, plus complexe et culturelle. Celle du colonialisme et de la domination par la culture qui se manifeste à travers une lettre et une photo. «Il s’agit d’une lettre écrite en français, extraite d’un livre historique vietnamien du 18e siècle et émise par un jeune missionnaire à son père juste avant son exécution à mort à cause de sa foi», explique Suzanne Cotter. «Cette lettre, qui est une œuvre qui appartient à la collection du Mudam, est écrite à la main par le père de l’artiste qui ne parle pas du tout français. Elle met en exergue les différences culturelles et les incompréhensions que ces différences peuvent provoquer.»

En contrepoint de cette lettre est présentée une photo de fleur avec son nom latin écrite en dessous à la main. Par cette simple photo prise dans le jardin de l’artiste à l’iPhone sont évoqués la tradition des planches naturalistes et le mouvement des lumières, qui est aussi l’époque de rédaction de la lettre. Ces deux éléments témoignent de l’appropriation du monde à travers la connaissance et l’imposition d’une culture sur une autre. À travers ces objets pourtant modestes s’ouvre donc un tout autre pan de réflexion qui donne une autre profondeur à l’œuvre.

Enfin, il faut savoir que cette présentation est en fait le début d’un processus qui va durer 10 mois. Régulièrement, les plantes seront changées, l’installation évoluant avec les saisons. Les photos de fleurs sont aussi amenées à devenir une série, complétée tout au long de l’exposition. Cette exposition est donc conçue comme une expérience à vivre dans la durée, bien loin d’une consommation immédiate et rapide qui caractérise notre société actuelle. Elle souligne aussi l’importance de la collaboration, de l’enrichissement mutuel. Il en résulte une œuvre forte, mêlant à la fois récits personnels et enjeux sociopolitiques bien plus vastes, naviguant entre introspection par la contemplation et ouverture au monde par le savoir, dans une relation sensible au monde et à l’histoire.

 Isamu Noguchi/Danh Vo, «A Cloud and Flowers», jusqu’au 19 septembre 2022 .