«Force est de constater que ce qui fait la force du Luxembourg se dit souvent avec des mots en‘p’», s’amuse Laurent Schummer en débutant son intervention. En effet, les mots «proximité», «partage» et «pragmatisme» résument bien l’avantage dont dispose le pays pour échafauder une sortie de crise. Sa dimension réduite entraîne une rapidité et une simplicité évidentes dans les échanges intellectuels ou matériels, les prises de décision et leur mise en place. Qui dit proximité dit bien sûr partage, et c’est bien ce qu’il s’est produit entre les différents acteurs économiques lorsque la crise sanitaire s’est déclenchée. À ce titre, nous parlerons même de solidarité nationale. «Enfin, les Luxembourgeois ont en eux un pragmatisme qui vient de leur culture paysanne. Une caractéristique qui n’est pas du tout péjorative, mais qui leur permet au contraire d’être très réalistes et efficaces», poursuit Laurent Schummer. Il est vrai que le Luxembourg a bien conscience de sa taille et ne succombe jamais à une folie des grandeurs, qui peut toucher d’autres pays.
Enfin, le mot « entrepreneuriat » ne débute pas par un «p», mais fait lui aussi partie de l’ADN luxembourgeois. La prise de risque et le goût de créer n’inquiètent pas les Luxembourgeois, qu’ils soient hommes ou femmes politiques, fonctionnaires, chercheurs ou hommes et femmes d’affaires, par exemple. Un avis que partage d’ailleurs Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation, avec qui Laurent Schummer s’était entretenu et dont l’interview a ouvert ce deuxième épisode du podcast.
La fiscalité luxembourgeoise fait aussi partie des leviers productifs pour envisager des solutions de sortie de crise. Une première mesure fiscale pourrait concerner le report des pertes fiscales. «Celui qui acquiert une entreprise dans des conditions de crise pourrait bénéficier d’un report des pertes fiscales de la société reprise», détaille notre intervenant. Une mesure qui pourrait s’avérer très productive.
«Parmi les spécificités luxembourgeoises, le pays a celle de posséder, au travers de son tissu entrepreneurial, une véritable expertise des matériaux. La fabrique, mais aussi l’analyse et la transformation des matériaux sont un domaine sur lequel le Grand-Duché peut s’appuyer. Le bois est l’un des matériaux durables dont le pays ne manque pas, pour lequel nous avons de nombreuses compétences», précise Laurent Schummer. On n’attendait pas forcément le Luxembourg sur ce sujet, mais force est de constater que l’argument est solide et convaincant. On peut imaginer une certification locale, à l’instar de celle que le Grand-Duché propose pour ses produits financiers, et même un business model qui favorise l’export en Europe.
Si le Luxembourg se positionne très bien en matière d’attractivité des talents, à la 8e position mondiale, qu’en est-il de la rétention de ces compétences importées, comment garder ces talents dans le pays à moyen, voire long terme? «Le Luxembourgeois que je suis vous dirait que c’est la rétention qui est importante. Elle fonctionne très bien dans une certaine mesure. Je ne compte plus ceux qui sont venus travailler six mois dans la finance et qui sont restés 20 ans», répond Laurent Schummer. Mais le vrai défi pour le Luxembourg est en réalité de savoir reconvertir ses talents en fonction de l’évolution économique. «Nous devons développer l’idée que l’on peut se déplacer d’une industrie à une autre», poursuit notre orateur. À l’instar de l’économie du pays qui s’est toujours réinventée, un talent doit lui aussi pouvoir se reconvertir, être flexible pour s’adapter et se réinventer, notamment lorsque les lignes bougent, lorsque les choses changent comme en période de crise. Le modèle luxembourgeois, c’est peut-être cela, conclut Laurent Schummer: «C’est savoir que dans 10 ou 20 ans, on fera totalement autre chose, ou les choses d’une tout autre façon.»
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4 questions express à Laurent Schummer
• La crise peut-elle être considérée comme une opportunité économique?
Oui, car elle permet de cristalliser un certain nombre de problèmes économiques mondiaux, comme l’approvisionnement ou la logistique. C’est également l’occasion de revenir sur des valeurs un peu plus saines, notamment vis-à-vis de notre planète qui s’épuise, et de repenser notre modèle économique. Mais ce sera une évolution plus qu’une révolution.
• Une des forces typiquement luxembourgeoises qui lui permettra de sortir de la crise?
La solidarité. Les Luxembourgeois, de nationalité, mais aussi ceux qui vivent sur le territoire, ont le sens de l’entraide qui existe entre voisins proches. La taille du pays contribue à cela, bien sûr, tout le monde se connaît, et donc celui qui connaît des difficultés recevra l’aide des autres de façon assez naturelle.
• Selon vous, l’exception luxembourgeoise se résume par «créer plutôt que gérer»?
Oui, l’esprit entrepreneurial est très fort au Luxembourg. Nous avons ce mindset qui consiste à accepter le changement, travailler dans de nouvelles directions, ne pas rester statiques et conservateurs vis-à-vis d’un état de fait qu’il faudrait absolument entretenir tel qu’il est. Nous sommes dans le mouvement et l’innovation. Autrement dit, on ne gère pas la crise, on crée quelque chose dans un état de crise pour en sortir.
• Quelles mesures fiscales «spécial Covid» souhaiteriez-vous voir apparaître ?
J’hésite entre la réponse «aucune», car ce n’est pas la fiscalité qui va résoudre le problème, et une réponse qui est politiquement incorrecte et consiste à dire que l’imposition sur la fortune est un bon débat. Ceux qui se portent bien dans un pays comme le nôtre doivent se montrer solidaires.