C’est en 2014 que l’OCDE, dans le cadre du projet Beps, a demandé aux États de modifier leurs législations par rapport au régime fiscal lié à la propriété intellectuelle.
Au Luxembourg, où certains droits de propriété intellectuelle peuvent entraîner une exonération de 80% des revenus tirés de ces droits, le régime a été modifié en rétrécissant le spectre par une loi publiée en décembre 2015 et entrée en vigueur en juillet 2016.
Elle prévoyait toutefois une phase transitoire de cinq ans, soit jusqu’au 1er juillet 2021, sur les droits de propriété intellectuelle constitués ou acquis avant juillet 2016. Désormais, c’est donc l’article 50 ter de la loi concernant l’impôt sur les revenus qui s’appliquera. L’article 50 bis appartient au passé.
Partner International Tax chez Deloitte Luxembourg, Thierry Bovier analyse pour Paperjam la portée de ce changement.
Le 1er juillet, l’ancien régime IP Box sera définitivement enterré et laisse toute la place au nouveau régime. De grands changements en perspective?
«Depuis 2018, les deux régimes coexistent, et les entreprises ont eu la possibilité de glisser de l’ancien vers le nouveau. Je pense donc que beaucoup d’entreprises ont déjà pris leurs dispositions et que la date du 1er juillet ne va pas changer grand-chose.
Pourquoi le Luxembourg a-t-il dû modifier son régime lié à la propriété intellectuelle?
«Ce n’est pas uniquement le cas du Luxembourg. Il n’était d’ailleurs pas particulièrement visé. Rien que dans l’Union européenne, 13 pays sur 27 ont mis en place un régime IP Box. La mesure a été mise en œuvre par l’OCDE dans le cadre de son plan Beps. L’action 5 prévoit notamment la revue des régimes préférentiels de propriété intellectuelle. L’OCDE considère que c’est un incitant intéressant pour les entreprises, mais qu’il doit être soumis à une activité substantielle. Globalement, le contribuable peut toujours bénéficier d’un avantage fiscal pour autant qu’il soit lui-même impliqué dans le développement de la propriété intellectuelle. Ça n’existait pas avant.
Quelles sont concrètement les principales modifications entre les deux régimes?
«Premièrement, le spectre a été réduit. Les intangibles commerciaux tels que les marques, les dessins et modèles ou les noms de domaine ne sont plus éligibles à ce régime. Il se limite donc désormais aux brevets et aux droits d’auteur sur les logiciels. Deuxièmement, le bénéfice fiscal est soumis à la condition que le contribuable soit impliqué dans la création, le développement ou l’amélioration de la propriété intellectuelle. C’est une formule mathématique qui calcule ce pourcentage d’implication, elle est basée sur les coûts de développement encourus par le contribuable. Enfin, on peut obtenir une exonération fiscale sur l’utilisation de sa propre propriété intellectuelle. Avant, c’était uniquement possible sur les brevets constitués par le contribuable lui-même, mais pas sur les logiciels.
Ce qu’il manque, c’est un incitatif fiscal pour la phase de recherche et développement.
Quel était, au départ, l’objectif visé par le régime IP Box?
«Le régime remonte à l’année 2008. Il s’agit d’un outil parmi d’autres pour attirer de nouvelles activités. À lui seul, il n’est pas suffisant. Au Luxembourg, il intervient dans la phase d’exploitation d’un actif, en interne ou en le donnant sous licence à d’autres acteurs. Par contre, ce qu’il manque, c’est un incitatif fiscal pour la phase de recherche et développement.
Or, avec le nouveau régime, qui insiste sur la notion d’activité substantielle, la recherche et développement devient essentielle…
«Oui, effectivement. Désormais, les exemptions sont conditionnées aux coûts de recherche et développement. D’où, selon moi, la nécessité de réfléchir rapidement à ce que l’on peut faire pour soutenir les entreprises dans la phase de R&D pour créer la propriété intellectuelle qui, elle-même, pourra bénéficier du régime IP Box. Il faut travailler sur cette phase en amont.
En réduisant le spectre, risque-t-on de limiter le nombre d’entreprises intéressées par le régime luxembourgeois?
«Oui, bien évidemment. Maintenant, comme le nouveau régime élargit la portée au niveau des revenus attachés à la propriété intellectuelle, il faudra voir si les deux mesures vont se rééquilibrer. Mais je voudrais aussi souligner qu’à côté des brevets et des droits d’auteur sur les logiciels, l’action 5 de Beps avait prévu une mesure pour une troisième catégorie de bénéficiaires. Elle est destinée à de plus petites entreprises qui développent des innovations, mais n’ont pas les moyens de les protéger par des brevets ou des droits d’auteur. Moyennant un contrôle indépendant sur le caractère de la nouveauté, elles peuvent aussi bénéficier d’exemptions. Le Luxembourg a fait le choix de ne pas retenir cette catégorie, mais il ne serait pas inutile de refaire une évaluation à ce sujet pour élargir l’attractivité du pays. Pourquoi s’en priver?
Ces nouveaux développements qui entraînent des exemptions doivent-ils être effectués absolument dans le pays du contribuable?
«Non, ils doivent être réalisés par le contribuable lui-même ou sous-traités par une partie tierce – une entreprise non liée. Mais le régime luxembourgeois limite la zone géographique de développement au territoire de l’Union européenne et aux trois pays de l’Espace économique européen (Islande, Norvège et Liechtenstein). On peut donc se demander pourquoi le Luxembourg ne l’élargit pas à tous les pays avec lesquels il dispose d’une convention fiscale. Cela augmenterait aussi l’attractivité. D’autres pays européens sont d’ailleurs allés jusque-là.»