Selon François Bausch, développer un nouveau modèle de mobilité ne signifie pas que la voiture n’y aura pas sa place. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Selon François Bausch, développer un nouveau modèle de mobilité ne signifie pas que la voiture n’y aura pas sa place. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics, la voiture aura toujours sa place dans la chaîne de mobilité de demain. Toutefois, le rôle qu’elle joue dans l’espace public sera plus restreint. D’ici 2035, si les flux doivent augmenter de 50%, l’ambition est que la circulation automobile individuelle se maintienne au niveau actuel. 

Monsieur Bausch, comment la crise a-t-elle modifié les habitudes de mobilité?

. – «La plus grande modification constatée concerne la mobilité active. Les gens, de manière générale, et plus particulièrement en milieu urbain, se déplacent davantage à pied ou à vélo. Cela se traduit, au sein de notre ministère, par une demande croissante d’infrastructures dédiées, de nouvelles pistes cyclables. Au niveau des comptages que nous réalisons, on voit aussi une forte augmentation de l’utilisation du vélo. Au cœur de la crise, on a par ailleurs ­constaté un recul de l’utilisation du transport en commun. Ce phénomène, cependant, n’a été que temporaire. La fréquentation du train et du tram est rapidement repartie à la hausse. 

Sur les routes, le niveau de trafic automobile est aujourd’hui revenu à la normale, avec, à nouveau, une saturation des axes principaux aux heures de pointe…

«Je n’ai pas l’impression que les gens utilisent plus la voiture aujourd’hui qu’avant la crise. Si le niveau de trafic automobile est revenu à son niveau d’avant-crise, alors que beaucoup sont encore en télétravail, c’est parce que le Luxembourg doit appréhender un accroissement de la demande en mobilité. Il est directement lié à son développement socioéconomique toujours soutenu. Le pays compte plus d’emplois qu’avant la crise. Plus de frontaliers font quotidiennement le trajet pour venir travailler. 

Face à ces problématiques de saturation, quels sont les principaux enjeux?

«Nous sommes en train de travailler sur le Plan national de mobilité 2035, qui sera présenté au printemps. Celui-ci part d’une analyse chiffrée mettant en relation l’évolution du trafic et les perspectives de croissance du pays. On estime que le Luxembourg devra faire face à une augmentation de la demande en mobilité de l’ordre de 50% d’ici 2035. Les flux de personnes vont considérablement augmenter. Le challenge est de parvenir à répondre à cette nouvelle demande sans que la part d’utilisation de la voiture n’augmente. 

Au regard de la situation actuelle, l’objectif est-il réaliste?

«En repensant la mobilité, je pense que l’on peut parvenir à répondre à l’accroissement de la demande en mobilité en maintenant le trafic automobile à son niveau actuel, et même en le réduisant un peu. On constate aujourd’hui que 40% des trajets réalisés avec la voiture individuelle concernent des déplacements inférieurs à 5 kilomètres. Cela veut dire qu’il y a un potentiel énorme pour la mobilité active. 

Quelle sera la place de la voiture dans la transformation qui doit s’opérer? 

«Elle aura toujours sa place, mais constituera un élément d’une chaîne de mobilité redéfinie. Il y aura toujours des voitures dans les rues. Il est cependant essentiel de réorganiser la manière de se déplacer. Le nouveau Plan national de mobilité proposera de nombreux projets dans ce sens. On peut évoquer, d’une part, des développements au niveau du tram et du train. Et, d’autre part, une réorganisation du réseau routier actuel pour donner plus de place à la mobilité active. On parle d’une redéfinition globale de l’espace public, y compris celui occupé aujourd’hui par la voiture. De nouveaux axes de circulation seront envisagés. Il s’agit cependant d’en finir avec la route en tant qu’espace dédié exclusivement à l’automobile. L’idée est plutôt de créer des couloirs multimodaux.

Cela veut-il dire que la place occupée actuellement par la voiture est appelée à se réduire?

«Oui. Mais on va aussi créer de nouveaux espaces dédiés à la circulation automobile. Cela notamment pour dévier le trafic existant vers d’autres axes afin de pouvoir créer des couloirs bus ou d’autres consacrés à la mobilité active. ­L’approche envisagée est complètement différente de celle que l’on a connue jusqu’alors.

«Il y a un potentiel énorme pour la mobilité active.  
François Bausch  

François Bausch  Ministre de la Mobilité et des Travaux publics

En quoi est-elle différente?

«Par le passé, face à un problème de saturation d’une autoroute, le réflexe était de l’élargir afin d’offrir plus de place. Aujourd’hui, considérant la problématique d’accroissement de la demande de mobilité, on ne peut plus raisonner de cette manière. Les routes sont surchargées, avec essentiellement des voitures ne comptant qu’un passager à bord. L’idée est donc de remodeler l’espace routier pour inciter les utilisateurs à opter pour d’autres modes de transport, plus adaptés à leurs besoins. On peut élargir l’autoroute, comme cela est envisagé au niveau de l’A3 vers la France, mais avec l’idée de dédier le nouveau couloir à un service de transport par bus ou à la voiture partagée. Avec cette approche, l’idée est de maximiser la capacité globale d’un axe routier. En offrant un service de bus à haute valeur ajoutée, il s’agit de lui permettre de se déplacer plus efficacement, avec de la régularité et un gain de temps quotidien. 

Le Luxembourgeois semble pourtant viscéralement attaché à sa voiture individuelle. Peut-on facilement l’inviter à s’en détacher?

«Le Luxembourgeois n’est pas différent d’un Belge, d’un Français ou d’un Danois. Si on lui offre des alternatives attractives pour se déplacer, il va les utiliser. D’autre part, la voiture va rester un élément important de la chaîne de mobilité. Pour se déplacer en soirée, au moment où l’offre en transports en commun n’est plus présente, ou vers des destinations singulières, la voiture reste très pratique. Toutefois, cela n’a pas de sens de se déplacer en voiture d’un endroit à un autre, en restant coincé des heures dans les embouteillages, pour finalement laisser son véhicule stationné durant 10 heures, avant de faire le chemin en sens inverse. La mobilité individuelle n’a pas été créée pour une utilisation aussi irrationnelle. Je ne fais pas de la politique contre la voiture. Je considère que c’est une magnifique invention, qui nous a apporté beaucoup. Je mène une politique pour une autre mobilité, plus rationnelle que celle d’aujourd’hui. 

Encore faut-il que les utilisateurs aient la possibilité d’abandonner leur voiture pour un mode de transport plus efficace…

«Il faut en effet que chacun ait le choix. À cette fin, il nous appartient de développer un nouveau système de mobilité. La voiture y aura sa place. Mais chaque personne, le matin, en réfléchissant à sa journée, doit pouvoir opter pour le mode de transport qui correspond le mieux à son besoin. Elle doit avoir la possibilité de prendre le vélo ou la voiture vers un nœud intermodal, pour poursuivre son trajet en train, en tram ou en bus. Il faut comprendre qu’il sera plus intéressant de combiner différents modes de déplacement.

Il ne faut pas pénaliser les utilisateurs de la voiture avant la mise en œuvre d’une offre de transport alternative performante.
 François Bausch

 François BauschMinistre de la Mobilité et des Travaux publics

Faire évoluer les comportements implique de jouer entre incitants et contraintes. Comment, dans le contexte actuel, manier le bâton et la carotte pour inciter les utilisateurs à délaisser la voiture? 

«Je pense personnellement qu’il ne faut pas pénaliser les utili­sateurs de la voiture avant la mise en œuvre d’une offre de transport alternative performante. Le mouvement de contestation des Gilets jaunes est né de cela. Il a été porté par des personnes vivant dans des zones rurales délaissées, où le logement devient difficile d’accès, et qui n’avaient pas d’autre choix que de prendre la voiture pour se rendre au travail. On a vu, à cette occasion, que ces personnes étaient doublement pénalisées, avec l’obligation de prendre la voiture et de payer davantage pour son utilisation. Cela ne fonctionne pas. Par contre, une fois que l’on a mis en place un système de mobilité performant, avec des alternatives à la voiture, on peut recourir au bâton pour convaincre.

Quelle forme ce bâton peut-il prendre?

«Si, malgré l’offre alternative existante, vous continuez à privilégier la voiture, alors vous devrez payer pour cela. Cela peut se traduire au niveau fiscal ou en introduisant des systèmes de péage à l’entrée des villes, comme cela existe depuis de nombreuses années à Stockholm, par exemple. Si cela a été accepté dans la capitale suédoise, c’est que l’infrastructure est adaptée, avec de superbes pistes cyclables, un système de transports en commun de haute qualité. Malgré cela, ceux qui pensent ne pas pouvoir se passer de la voiture en ville, qui nuisent par leurs habitudes à la société, doivent payer le prix correspondant. 

À partir de quel moment pourra-t-on dire, à Luxembourg, que les alternatives ne justifieront plus l’usage de la voiture individuelle?

«L’offre en mobilité alternative à la voiture s’est déjà considérablement améliorée. Et les développements déjà réalisés, autour de la ligne de tramway, montrent que le changement s’opère naturellement. Cela fonctionne. La fréquentation du tramway bat chaque mois de nouveaux records. Les deux semaines qui ont suivi l’introduction de la gratuité des transports publics, le 1er mars 2020, le tram transportait 32.000 passagers quotidiennement en semaine. Aujourd’hui, cependant, le tramway accueille jusqu’à 80.000 utilisateurs quotidiens, soit trois fois plus qu’il y a deux ans. La ligne, avec ses nœuds d’échange intermodaux, offre la possibilité de laisser sa ­voiture dans des P+R à l’entrée de la ville, pour ensuite prendre facilement les transports en commun. 

Au-delà de la ligne de tramway, que manque-t-il?

«D’ici 2035, de grands chantiers doivent encore être mis en œuvre. Dans le Plan national de mobilité, le tram jouera un rôle important, au même titre que des extensions au niveau du rail et la reconfiguration du réseau routier pour favoriser la mobilité active. Certains projets ont déjà été annoncés, comme l’extension de la ligne de tramway au niveau de la route d’Arlon, de Hollerich, de Cessange et du Kirchberg, vers de nouveaux quartiers appelés à se développer. Quand ce réseau sera terminé, en 2035, il n’y aura plus d’arguments pour justifier l’usage permanent de la voiture.

Les enjeux de mobilité doivent être considérés à une échelle transfrontalière. Dans cette optique, nous menons des projets d’investissement au-delà de la frontière.
François Bausch

François BauschMinistre de la Mobilité et des Travaux publics

L’accès à la ville en voiture pourrait dès lors être restreint?

«Pour ceux qui viennent de l’extérieur, c’est une possibilité, dans une optique de délester les quartiers du trafic de transit. Si l’ensemble des quartiers doivent rester accessibles en voiture, il doit devenir plus compliqué de les rejoindre avec ce moyen de locomotion qu’avec les alternatives existantes. À l’intérieur de la ville, cela doit aussi permettre ­d’encourager le recours aux autres solutions de mobilité. De manière générale, je suis assez optimiste. Je pense que la majorité de la population est raisonnable et privilégiera l’offre de transport la plus attractive. Comme pour le vaccin, toutefois, il y a une part de la population que l’on ne parvient pas à convaincre. Avec la voiture, il faudra in fine donner à la part de la population qui n’entend pas adapter ses ­habitudes d’autres raisons de le faire. 

Le Luxembourg, au-delà de sa capitale, est un territoire rural. Comment la mobilité, et plus particulièrement l’usage de la voiture, doit-elle évoluer en dehors de la ville?

«On distingue, sur le territoire, trois grands centres urbains: le Centre, avec Luxembourg; le Sud, avec Esch-Belval; et le Nord, au niveau de la zone constituée par les communes d’Ettelbruck et de Diekirch. L’enjeu est de repenser la mobilité à l’intérieur de ces trois centres et ensuite de mieux les relier entre eux par des moyens de transport publics performants. Ensuite, il faut bien comprendre que l’on ne peut pas utiliser les mêmes moyens pour résoudre les enjeux de mobilité en milieu rural que pour fluidifier les agglomérations urbaines. En dehors des villes, l’usage de la voiture se justifie beaucoup plus. 

Comment les enjeux de mobilité sont-ils appréhendés à l’échelle de l’espace transfrontalier?

«Luxembourg est le moteur économique de la Grande Région, avec de nombreux travailleurs qui viennent chaque jour des pays voisins. Les enjeux de mobilité doivent donc pouvoir être considérés à une échelle transfrontalière. Dans cette optique, nous menons des projets d’investissement au-delà de la frontière luxembourgeoise dans une approche intégrée de la mobilité. On a des projets de développement d’infrastructures de mobilité, à hauteur de 250 millions d’euros, avec la France. L’argent est disponible. Pour le moment, on constate que rien ne bouge chez nos voisins. 

Si on en revient à la voiture, comment doit s’opérer la transition vers l’électromobilité?

«En janvier, j’ai présenté un nouveau règlement général relatif à l’avantage en nature accordé dans le cadre d’un leasing. À partir de 2025, l’avantage sera accordé uniquement si la location long terme concerne un véhicule 100% électrique. Il faut savoir que 50% des voitures immatriculées au Luxembourg le sont dans le cadre d’un contrat de leasing. Cette mesure est donc un levier pour atteindre notre objectif, à savoir, que, d’ici 2030, la moitié du parc automobile soit constitué de véhicules zéro émission. Parallèlement à cela, nous investissons, avec , dans l’installation de superchargeurs à travers le pays. Des aides à l’installation de bornes domestiques ou en entreprise sont aussi prévues.» 

Cette interview a été rédigée pour paru le 26 janvier 2022 avec  

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