Dans la jungle presque inextricable du football belge, la guerre est déclarée entre plusieurs clubs et la tête de la fédération nationale (Urbsfa, pour Union royale belge des sociétés de football association). Le lien avec le Luxembourg est direct puisque le club de l’Excelsior de Virton est concerné. Et que derrière celui-ci, on trouve l’homme d’affaires et l’une de ses sociétés, Promobe Finance.
Pour bien comprendre le contentieux en cours, un coup d’œil dans le rétroviseur est nécessaire.
Virton, à l’agonie, est sauvé par Becca
Club phare de la province de Luxembourg, Virton est à l’agonie en 2018, sportivement et financièrement. Finalement, le maintien en D1 amateurs (le troisième niveau de la hiérarchie nationale) est assuré sur le fil. Contre toute attente, l’homme d’affaires Flavio Becca et son groupe Promobe volent au secours de sa trésorerie, épongent les dettes, transfèrent plusieurs joueurs (dont des internationaux luxembourgeois), engagent un nouveau staff technique…
Les ambitions sont élevées: rejoindre l’élite du foot belge au plus vite. Becca aime le goût du succès, , comme il l’espère en ce qui concerne le Swift Hesperange, qu’il veut maintenant aussi .
Un an plus tard, Virton n’obtient pas la licence pour espérer pouvoir évoluer en D1B, la seconde division nationale, premier échelon professionnel. La commission des licences de l’Urbsfa doute de la bonne continuité du club, évoque un cash-flow négatif… Une crainte est aussi que les sponsors comme Dovit ou Leopard quittent le club et le replongent illico dans le rouge.
Derrière l’Excelsior Virton, aujourd’hui, il y a Promobe. Derrière Promobe, il y a Flavio Becca et la famille Becca. Et derrière, il y a 60 sociétés, pour 450.000m2 de terrains sans dettes ni hypothèques, soit un milliard de foncier.
Flavio Becca est en colère et évoque déjà des règlements farfelus et des responsables qui ne les connaissent même pas. «Derrière l’Excelsior Virton, aujourd’hui, il y a Promobe. Derrière Promobe, il y a Flavio Becca et la famille Becca. Et derrière, il y a 60 sociétés, pour 450.000m2 de terrains sans dettes ni hypothèques, soit un milliard de foncier. Et on nous reproche aujourd’hui que les sponsors maillot que sont Dovit ou Leopard pourraient partir comme ça, ou ne pas honorer leurs contrats alors que ces entreprises… c’est moi! En fait, il faudrait presque que je m’envoie des factures à moi-même et que je promette de les payer. N’importe quoi!», commente-t-il notamment à nos confrères du Quotidien.
Finalement, Virton obtient sa licence en appel devant la Cour belge d’arbitrage pour le sport (CBAS) et sa promotion sportive en emportant le tour final. Les portes du foot pro s’ouvrent en grand, de nouveaux transferts sont réalisés…
15 millions en dommages et intérêts
Mais l’année 2020 va être cauchemardesque. Sur le pan sportif, le bilan est plutôt bon, même si la montée au sein de l’élite n’a pas été possible. Pourtant, Virton y a cru jusqu’au bout. En effet, la promotion se joue via une finale entre les deux vainqueurs de tranche. Les Gaumais n’en faisaient pas partie.
Mais, suite à la crise sanitaire, le match retour de la finale aurait pu ne pas se jouer. Dans ce cas, solution à la belge, il est prévu que le promu soit le premier du classement régulier sur 28 journées. Cela aurait pu être Virton si son match et sa victoire face au Beerschot n’avaient pas été curieusement annulés suite à une plainte de ce club, à la grande colère de Virton. Finalement, la finale ayant été fixée au début août, tout espoir s’est envolé définitivement.
La CBAS confirme le refus de la commission des licences
Mais c’est en coulisses que la situation va dégénérer. Début avril, la commission dédiée enlève sa licence professionnelle à Virton, qui est rétrogradé en D2 amateurs, le quatrième niveau dans le foot belge. La CBAS confirme la décision un mois plus tard. «On peut se poser de nombreuses questions quant à la gestion de cet épisode, sanctionné par une descente en quatrième division alors que retomber en troisième, soit un étage plus bas, est en général de mise», explique Stéphane Marchesani, journaliste à La Meuse Luxembourg et qui suit Virton depuis 12 ans. «La commission des licences a publié ses conclusions et la liste des manquements était longue. En avril, les salaires de février étaient toujours impayés, par exemple. Les motivations de la CBAS ont été transmises à la fédération et au club, et ne sont rendues publiques que si les deux parties sont d’accord, ce qui ne semble pas être le cas. Mais quand la CBAS a organisé une visioconférence pour que Virton défende son cas, ses responsables n’y ont tout simplement pas participé.»
Un vent de panique se met alors à souffler, notamment au sein de l’école des jeunes, dont le directeur technique avait déjà annoncé son départ. Plusieurs joueurs (Turpel, Malget, Joachim…) décident aussi de plier bagage. «Des départs prévisibles et anticipés, à mon avis», poursuit Stéphane Marchesani. «Mais il est certain que le chantier de reconstruction sera gigantesque. 51 jeunes ont déjà annoncé quitter le club, toute l’académie va devoir être rebâtie.»
Groggy mais pas KO
Mais si le club est groggy, il n’est pas encore KO, et réplique avec acharnement pour d’une part récupérer sa licence et son maintien dans le monde professionnel, et d’autre part obtenir des dommages et intérêts. Plusieurs actions sont intentées, notamment devant le tribunal de première instance de Bruxelles, pour faire annuler la décision de la CBAS, mais aussi l’Autorité de la concurrence «en rapport avec les vices de gouvernance structurels gravissimes qui détruisent le football belge», explique le club dans un communiqué.
Les clubs de Waasland-Beveren et de l’Antwerp, tout comme deux sociétés de Roland Duchâtelet (ancien président des clubs de Saint-Trond et du Standard de Liège), ont aussi saisi cette Autorité et, tout comme Virton, ont Mehdi Bayat dans le collimateur. «Ainsi, Promobe Finance, qui soutient activement depuis plus d’un an et demi le RE Virton, peut confirmer que, dans sa plainte, le RE Virton dénonce le fait qu’une même et seule personne, Mehdi Bayat, puisse être tout à la fois CEO du Sporting de Charleroi (club de l’élite belge, ndlr), président de l’Urbsfa, membre du conseil d’administration de la Pro League (qui gère le foot professionnel, ndlr), en plus d’être le frère de l’agent archidominant du football belge», explique encore le club dans un communiqué. «Pourtant, les règles de l’Urbsfa en matière de licences interdisent à un agent d’avoir ‘une influence notable’ au sein d’un club. Soulignons que les statuts de la plupart des fédérations nationales un tant soit peu sérieuses prohibent strictement que le président de la fédération ait un quelconque lien avec un club. Or, les règles de l’Urbsfa permettent à Mehdi Bayat de jouer de son influence en sa qualité de président de l’Urbsfa.»
La guerre est donc déclarée face à ce qui est vu comme un abus de position dominante. Le très puissant et écouté patron sportif de l’Antwerp, Lucien d’Onofrio (agent de joueurs, il va notamment gérer des transferts pour Zinedine Zidane, David Trezeguet, Thierry Henry, Christophe Dugarry, Alen Boksic, Lisandro López ou Marcel Desailly, ndlr), a confié le dossier aux mêmes avocats que ceux choisis par Virton.
Promobe Finance a aussi lancé citation pour réclamer 15 millions de dommages et intérêts de la part de la fédération belge.
Enfin, Promobe Finance a fait parvenir au tribunal de Neufchâteau une offre de reprise du club et transformer l’asbl en société commerciale qui sera rattachée au groupe de Flavio Becca. Une décision prise suite à la mise sous administration provisoire du club, vendredi dernier, par le même tribunal. Une mesure contestée avec force par Virton, prise selon le club «en violation de toutes attentes procédurales légitimes»… et qui a été levée dès mardi! Échaudés, Flavio Becca et Promobe Finance veulent «pleinement rassurer tous les employés du RE Virton, ainsi que les supporters, et couper court à la tentative de déstabilisation».
Rupture de confiance entre les joueurs et le CEO
Le bras de fer ne fait que commencer. Et bien malin celui qui peut dire dès à présent qui l’emportera. «C’est vrai, mais je ne suis guère optimiste», conclut Stéphane Marchesani. «Des pièces essentielles du club, comme Michel Georges, le secrétaire qui connaissait toutes les procédures, est parti. Il y a aussi rupture de confiance entre le groupe de joueurs et Alex Hayes, le CEO. De plus, Virton doit assurer des travaux importants au stade pour rester dans le monde professionnel, notamment doubler sa capacité. C’est assez incompréhensible, car au F91 Dudelange, sans doute pas plus difficile à gérer que l’Excelsior, les salaires sont payés, les primes aussi, l’administration est gérée… Entre ces deux clubs de Flavio Becca, c’est le jour et la nuit.»
Contacté par Paperjam, Flavio Becca nous a indiqué ne pas souhaiter commenter la situation actuelle. Mais le fera sans aucun doute en fonction de son évolution.