De cinq à six trains en heure de pointe aujourd’hui, le projet de REM permettrait d’en avoir toutes les 7 minutes 30 au départ de Thionville. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

De cinq à six trains en heure de pointe aujourd’hui, le projet de REM permettrait d’en avoir toutes les 7 minutes 30 au départ de Thionville. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

Après 2030, les voyageurs n’emprunteront plus le TER du Sillon lorrain, mais le Réseau express métropolitain (REM) entre Nancy et Luxembourg. Mais entre la volonté politique et la concrétisation du projet, quelques obstacles encombrent les voies…

Décembre 2019, la Suisse et la France inaugurent le «Léman express», un réseau express régional et transfrontalier d’un peu plus de 200km, constitué de six lignes et d’une quarantaine de gares. À l’horizon 2030, la Région Grand Est et le Luxembourg, conjointement avec SNCF Réseau et l’État français, ont l’ambition de bâtir leur propre réseau. «Mais attention aux termes utilisés», prévient le maire de Thionville, Pierre Cuny (Centre droit): il s’agira d’un réseau métropolitain et non régional. Exit donc l’image de nouveaux trains flambants neufs et d’un service identique à celui du RER en Île-de-France.

Peu importe leur bord politique, de part et d’autre de la frontière, les élus s’accordent sur la nécessité de ce projet depuis 2017. Inscrit dans le protocole d’accord relatif au renforcement de la coopération transfrontalière en matière de transports en 2018 pour la section Thionville-Luxembourg, le projet a vu ses contours géographiques élargis dans le cadre du Grenelle des mobilités de Lorraine de 2021, pour y inclure les étoiles ferroviaires de Metz et Nancy.

Avec des incidents presque quotidiens causés tantôt par des «problèmes de réutilisation des voies», tantôt par un manque de personnel ou de matériel, la galère des usagers du TER sur le Sillon lorrain est presque devenue la norme. Aujourd’hui, le projet prend surtout la forme d’une feuille de route et d’un calendrier de travaux et de hausse des cadencements des trains jusqu’en 2030.

Davantage de trains…

Concrètement, le REM prendra la forme d’une offre de mass transit avec différents moyens de transports publics qui fonctionneront de manière coordonnée, sur des axes adaptés. «Il s’agira d’un cadencement de haute intensité avec des trains toutes les 5 à 7 minutes, à terme, en heures de pointe, et avec des connexions vers d’autres modes de mobilité. Il faudra donc que toutes les gares soient équipées. On y raccrocherait évidemment le Luxembourg», amorce le maire de Thionville.

Pour maximiser les capacités liées à l’infrastructure existante, objectif de ce projet, il s’agit donc de faire circuler plus de trains, ce qui pose aussi la question du matériel. Contactée, la Région déroule son calendrier qui court jusqu’en 2030: «À l’horizon 2024-2026, nous prévoyons un renforcement de la capacité d’emport en fonction de l’arrivée des 16 rames supplémentaires TER2N 5 caisses. À l’horizon 2028-2030, nous prévoyons le développement des fréquences durant les heures de pointe».

D’un point de vue matériel, «aujourd’hui, deux rames sont autorisées à circuler sur le réseau luxembourgeois (les CFL engagent six rames). 16 rames complémentaires devraient venir doubler le nombre de places proposées sur la relation Metz-Luxembourg et son développement, dont deux dès 2024 une fois leur homologation validée pour circuler au-delà des frontières françaises», indique SNCF Réseau qui, sans surprise, précise que «les infrastructures existantes ne permettent pas d’augmenter le cadencement actuel».

Du côté du Luxembourg, il est évoqué «jusqu’à 10 trains par heure de pointe et par sens dont 8 TER, un TGV et un train de marchandises. Les trains de voyageurs auront jusqu’à 240m de longueur, ce qui représente trois automotrices TER2N comme nous les connaissons aujourd’hui en composition double. Ceci permet de multiplier la capacité horaire par 2,5 par rapport à l’état des lieux réalisé avant le protocole d’accord», indique le ministère de la Mobilité et des Travaux publics.

…et davantage de travaux

Le maire de Thionville, Pierre Cuny, l’avait déjà annoncé ; «sur le rail, les usagers peuvent encore s’attendre à trois années de difficultés». En effet, les infrastructures nécessitent d’importants travaux, car «ce projet constitue (aussi) une forme de rattrapage» sur «un réseau des infrastructures de transport qui n’a quasiment pas évolué depuis les 40 dernières années», appuie le maire de Metz, François Grosdidier (LR).

Il s’agit aussi d’en profiter pour repenser l’offre globale de transports. «Au-delà de la composante ferroviaire, le réseau devra aussi intégrer les autres modes de transport par bus, mais également le covoiturage pour développer un véritable réseau multimodal», ajoute-t-il. «Cela sous-entend avoir une articulation avec les TER qui viennent se greffer sur ces grandes lignes. Il faut une harmonisation, avec par exemple les TER Nancy-Chaumont. On se bat aussi avec le Département; pour la réouverture de certaines petites lignes», complète le maire de Thionville.

Un co-financement pour les travaux en France

En ce qui concerne les travaux en France, à raison de 50/50 est prévu. Il est également programmé d’augmenter la capacité électrique du réseau, d’allonger les quais dans plusieurs gares, de créer un nouveau centre de maintenance à Montigny-lès-Metz. Il est aussi prévu de construire deux P+R: et à Longwy; une reprise du plan des voies de la gare de Thionville, la suppression de passages à niveau et la création d’un sas dédié au fret.

Côté luxembourgeois, l’État finance lui-même ses projets tels que la mise à double voie entre Luxembourg et Bettembourg, «sous le couvert d’une loi de financement d’un montant d’environ 300 millions d’euros», précise le ministère de la Mobilité; un sas de fret au triage de Bettembourg-Dudelange; des travaux à la gare d’Howald «pour une desserte optimisée des quartiers sud de la ville de Luxembourg»; le réaménagement complet du triage de Luxembourg.

Le ministère précise aussi que «des lois de financement sont à déposer pour la reconstruction de la gare de Bettembourg par la suite» et que «le Luxembourg a également beaucoup investi dans la gare de Luxembourg pour accueillir les trains supplémentaires et pour optimiser le plan des voies et de l’utilisation des quais pour ne pas répercuter le retard d’une ligne sur une autre. Ces mesures ont été prises entre autres pour pouvoir augmenter la précision de l’horaire actuel et surtout de l’horaire à venir quand 8, voire 9 trains (avec le TGV) de voyageurs circuleront par sens et par heure de pointe.»

Après l’A31 bis, un nouveau serpent de mer?

Questionnés sur le coût du projet, ni la SNCF, ni la Région Grand Est ou le Grand-Duché ne donnent un montant précis du financement global nécessaire. Seule la première phase de développement comprenant les travaux côté français et l’acquisition du matériel roulant a été chiffrée à 259 millions d’euros. Selon le maire de Thionville, le projet devrait coûter au moins un demi-milliard d’euros, voire atteindre aisément le milliard. À titre d’exemple, le chantier suisse du Léman Express a coûté 1,567 milliard de francs en termes d’investissement. Autre exemple, le coût d’exploitation du Réseau express métropolitain européen de Strasbourg est lui estimé à environ 23 millions d’euros par an. Le maire de Metz lui semble circonspect sur la question du financement.

«Ce qui tend à qualifier un projet de serpent de mer, c’est bien souvent l’incapacité à le financer dans un délai raisonnable. Pour le réseau express métropolitain, la problématique est la même. Malgré les engagements, l’intégralité des investissements nécessaires à la mise en œuvre des deux phases du projet n’est pas encore réunie. Je suis plus particulièrement inquiet pour la concrétisation de la seconde phase du projet qui nécessite la réalisation d’importants travaux sur les infrastructures ferroviaires», expose François Grosdidier.

Bien que préoccupé par l’aspect financier, il y voit plus qu’un simple réseau métropolitain, mais un «réseau métropolitain express européen». «L’ensemble constitué par les travaux d’infrastructures, le développement de l’offre et la mobilisation d’un parc de matériel roulant très capacitaire traduit l’objectif de mettre en place une liaison à très haut niveau de service sur un axe stratégique au sein de l’Eurocorridor Mer du Nord-Mediterranée, ce qui confère une dimension européenne à ce projet». Un réseau comparable dans sa dénomination au REME de Strasbourg, inauguré le 11 décembre dernier.

Un mois après, en janvier 2023, les débuts étaient chaotiques. Interrogés par des médias français, les voyageurs rapportaient «des trains décalés ou supprimés»; «des 800 trains quotidiens promis, à peine 400 étaient sur les rails». Des couacs que la SNCF a justifié par un manque de conducteurs, de voies indisponibles, des plans de circulation inadaptés…

Bien que la configuration du REME de Strasbourg ne soit pas comparable au projet porté dans le Sillon lorrain, le manque de personnel, déjà palpable aujourd’hui, questionne forcément. SNCF Réseau répond que, «pour l’heure, ce sont plus de 860 agents qui travaillent pour les lignes lorraines, dont environ 200 agents de bord et 280 conducteurs. Nous ne pouvons pas vous faire le détail spécifiquement pour le Sillon lorrain, car nos agents travaillent sur plusieurs lignes. Aujourd’hui, nous recrutons 250 futurs collègues sur des métiers comme conducteurs de train, contrôleurs et techniciens de maintenance et agents d’escale». Reste à savoir si ces postes seront pourvus et si la Région et la SNCF se donneront les moyens de leurs ambitions. Contacté notamment pour des précisions sur le financement et le soutien de l’État en la matière, le ministère français des Transports n’avait toujours pas répondu à nos questions à l’heure de publier cet article.