Manuel Maleki, économiste États-Unis et matières premières chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki, économiste États-Unis et matières premières chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Après les premières mesures de confinement décidées en mars 2020, les banques centrales européenne et américaine sont intervenues massivement pour préserver le tissu économique. Selon Manuel Maleki, économiste chez Edmond de Rothschild, les programmes d’achat d’actifs devraient rester des outils de politique monétaire essentiels en 2021.

Le 23 mars 2020, face à la crise du Covid-19, les principales banques centrales ont agi de concert en mettant en place, entre autres, des programmes d’achat d’actifs. Cet outil de politique monétaire a été utilisé pour la première fois dans l’histoire récente par la Banque du Japon, en mars 2001, pour lutter contre la déflation qui touchait le pays. À l’époque, l’idée était de modifier les anticipations d’inflation des investisseurs en stimulant la croissance économique grâce à une baisse du coût du crédit qui dépend du taux sans risque, c’est-à-dire du taux des obligations d’État.

Cet outil de la politique monétaire a gagné en popularité auprès des banques centrales à partir de 2008. En effet, face à la crise financière de 2008, la banque centrale américaine s’est rendu compte qu’agir à travers le taux directeur n’était pas suffisant et ne produisait pas les effets voulus. La Fed s’est donc tournée vers les achats d’actifs avec un but différent de celui du Japon. Elle va acheter pour 600 milliards de dollars (soit environ 4% du PIB) sur le marché hypothécaire des mortgage-backed securities (MBS) (titrisations de prêts hypothécaires) pour éviter un effondrement du système financier et réduire le risque systémique. En 2012, face à la crise de la dette souveraine dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé la mise en place d’un programme d’achat d’actifs, l’Outright Monetary Transaction (OMT), qui consiste en des achats de dettes souveraines des pays les plus fragiles de la zone euro. Cette action a eu pour effet de réduire les écarts de taux souverains entre des pays en difficulté, comme l’Italie ou l’Espagne, et l’Allemagne.

En 2020, la crise du Covid-19 a poussé la Fed à agir fortement pour éviter que les difficultés de l’économie réelle génèrent trop de tensions sur les marchés financiers.

Manuel MalekiéconomisteEdmond de Rothschild

Il apparaît donc que les programmes d’achat d’actifs peuvent servir plusieurs objectifs: soutenir l’économie, soutenir le secteur financier, éviter l’assèchement du marché obligataire, réduire le risque systémique, stimuler l’inflation, réduire les écarts de taux entre pays… Les grandes banques centrales comme la Fed, la BCE, la Banque du Japon ou la Banque d’Angleterre l’ont largement utilisé au cours de ces 10 dernières années.

En 2020, la crise du Covid-19 a poussé la Fed à agir fortement pour éviter que les difficultés de l’économie réelle génèrent trop de tensions sur les marchés financiers. Dès lors, le 23 mars 2020, parallèlement à une baisse de son taux directeur de 150 points de base, ce qui a amené le taux de la Fed dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25%, elle décide de lancer un nouveau programme d’achat d’actifs qui comprend à la fois des achats d’obligations d’entreprises, de MBS et d’obligations d’États. Le même jour, elle annonce qu’elle va acheter chaque jour de la semaine 75 milliards USD de bons du Trésor et 50 milliards de MBS. Ainsi, elle se porte acquéreur de la dette publique américaine qui est émise en grande quantité et qui sert à financer les plans d’urgence contre les impacts de la crise. Elle révisera sa politique d’achat en fonction de la situation économique et financière. À la fin du printemps, elle décide d’acheter 80 milliards d’obligations d’État et 40 milliards de MBS.  

La Réserve fédérale est passée d’un bilan de moins de 1.000 milliards USD en 2007 à plus de 7.000 milliards fin 2020.

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La conséquence de cette politique est de provoquer un fort accroissement du bilan des banques centrales. Par exemple, la Réserve fédérale est passée d’un bilan de moins de 1.000 milliards USD en 2007 à plus de 7.000 milliards fin 2020, soit, en comparaison du PIB, d’environ 7% en 2007 à 20% début 2020, et 35% à la fin 2020. Cette augmentation des bilans des banques peut potentiellement poser problème à plus long terme. En effet, cela se traduit par une augmentation de la masse monétaire qui peut, dans certaines situations, générer des tensions inflationnistes. Une autre difficulté est la fin des programmes d’achat d’actifs, qui peut provoquer des tensions sur les marchés financiers, comme ce fut le cas en juin 2013 lorsque Ben Bernanke, président de la Fed à l’époque, avait annoncé la fin progressive du programme d’achat d’actifs. Ceci avait provoqué une hausse du taux à 10 ans américain de 40 points de base en une semaine, de 2,2% à 2,6%, ainsi qu’une baisse du S&P500 de 5% sur la même période.

À la lumière des expériences récentes, il apparaît qu’en 2021, les banques centrales devraient continuer à surveiller le niveau des rendements obligataires de manière à ce qu’ils restent à des niveaux faibles et que les écarts de taux dans la zone euro restent modérés. Elles devraient soutenir aussi la politique budgétaire en assurant les achats d’obligations d’États qui devraient être émises pour financer les déficits publics. En effet, même si ces derniers devraient être moins élevés que ceux de 2020, ils pourraient s’établir à des niveaux importants suite à la mise en place des différents plans de soutien des États. Bien évidemment, les banques centrales devraient rester vigilantes et surveiller attentivement la situation économique et les possibles tensions sur les marchés financiers de manière à intervenir si nécessaire. Pour cela, les programmes d’achat d’actifs devraient se prolonger et pourraient être amplifiés si nécessaire.