Manuel Maleki est Ph.D. Economist au sein du Groupe Edmond de Rothschild. (Photo: Groupe Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki est Ph.D. Economist au sein du Groupe Edmond de Rothschild. (Photo: Groupe Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki se penche sur le secteur de la production de pétrole aux États-Unis. Un pilier singulier de l’économie américaine qui a trouvé un deuxième souffle avec le pétrole de schiste.

En trois films seulement, l’acteur américain James Dean a incarné de nombreuses facettes de la société américaine. Bien que la plus connue soit sans doute celle de cet adolescent rebelle qui rêve de liberté et de se défaire des normes sociales, on ne peut pas oublier celle de ce chercheur de pétrole dans le film «Géant» où sa quête d’or noir devient obsessionnelle et montre l’importance du pétrole dans l’imaginaire et l’économie du pays. Aujourd’hui encore, le secteur pétrolier américain représente une part importante de l’économie nationale et le pays est le premier producteur mondial. Cette étroite relation entre l’or noir et les États-Unis a connu une nouvelle accélération au cours du début du XXIe siècle grâce à l’exploitation du pétrole de schiste. 

Le pétrole de schiste a signé la renaissance du pétrole américain

 L’utilisation du pétrole de schiste a donné à l’industrie pétrolière américaine un second souffle. En effet, depuis les années 80, le pays produit autour de quatre millions de barils par jour de pétrole conventionnel, c’est-à-dire un pétrole extrait de manière classique et dont les puits ont des durées d’exploitation de plusieurs années. Au cours de la décennie 2000, pour augmenter la production, un pétrole dit «non conventionnel» a commencé à être exploité, il se caractérise par des techniques d’extraction plus complexes. Par exemple, le pic de production de ce type de puits se trouve autour d’une année après la mise en service, contrairement aux puits traditionnels où le pic de production apparaît après plusieurs années d’exploitation. De plus, les puits non conventionnels ont une production moins forte et une durée de vie plus courte.

Le pétrole non conventionnel a connu une forte croissance et représente aujourd’hui une production d’environ 7Mbj, les deux autres Mbj provenant du forage en mer en particulier du golfe du Mexique. Dès lors, sur les 13Mbj produits par les États-Unis plus de 50% proviennent du non conventionnel. Ainsi, rapidement, les États-Unis sont redevenus les premiers producteurs de pétrole au monde devant la Russie et l’Arabie saoudite.

Une structure de production atomisée: une singularité dans le secteur

 Une spécificité du pétrole américain est qu’il n’est pas construit autour d’une compagnie nationale comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays où l’exploitation du pétrole s’appuie sur une entreprise publique ou quasi publique et qui passe des partenariats avec des compagnies privées. L’écosystème pétrolier américain, bien qu’il existe des majors comme Exxon, s’appuie sur une multitude de petites entreprises, ceci rend leur évolution beaucoup plus sensible au prix de la matière première aux conditions de crédit et économiques. De plus, cela empêche la mise en place d’une politique de cartel comme peuvent le faire les pays de l’OPEP+. Ces entreprises sont donc «preneuses de prix» et non pas «faiseuses de prix». En un mot, elles subissent les aléas des marchés sans pouvoir agir comme peuvent le faire les pays de l’OPEP+, Arabie saoudite en tête. 

Cette structure de marché différente a des conséquences pour les entreprises du secteur. En particulier, ils doivent considérer avec une attention toute particulière l’évolution des cours qui peut mettre à mal la pérennité de l’entreprise.

Une dépendance forte aux crédits des points morts élevés

 Le marché du crédit aux entreprises pétrolières est structuré autour de deux grandes réunions qui ont lieu à Houston, au Texas, au printemps et à l’automne. Elles réunissent les entreprises et les banques du secteur et déterminent le niveau de prêts accordés par les banques. Dans le même temps, la Fed de Dallas mène des enquêtes régulières sur le secteur et les dernières données montrent que les entreprises s’attendent à un resserrement assez fort des conditions de crédit qui devrait avoir un impact pour 62% des répondants et une hausse significative de leurs coûts. 

Une autre singularité du marché américain est l’hétérogénéité des points morts de fonctionnement. En effet, il existe plusieurs grands bassins de production de pétrole aux États-Unis, le principal est celui du Bakken qui se situe principalement au Texas et qui produit environ 5Mbj. Dans cette zone le prix du baril nécessaire pour que les puits continuent de fonctionner est d’environ 30 dollars par baril contre un peu plus de 50 dollars il y a une dizaine année. À titre de comparaison, le coût de revient d’un baril saoudien est d’environ 5 dollars. À noter que l’off-shore américain qui produit près de 1.8Mbj par jour a un point mort à 45 dollars par baril. Si l’on regarde du côté des investissements, à la fin du premier semestre 2023, les points morts pour activer de nouveaux puits augmentent significativement et atteignent les 60 dollars par baril. Dès lors, les cours actuels qui évoluent entre 70 et 80 dollars le baril assurent aux firmes américaines une capacité à couvrir leurs frais de fonctionnement, mais aussi à investir. Toutefois, ces niveaux de cours ne sont pas loin des points morts de l’investissement dans les nouveaux puits.

Une production en croissance jusqu’en 2024

 En conclusion, comment ne pas évoquer le pétrole américain sans nommer la série Dallas qui pendant 357 épisodes nous raconte les aventures d’une famille de producteurs d’or noir indépendants et qui montre bien en quoi les États-Unis sont dans le paysage des pays producteurs de pétrole un cas particulier, car ils sont le premier producteur au monde? De plus, ils possèdent une structure de marché très particulière puisque la concurrence entre producteurs est le maître mot alors que les autres pays sont souvent bâtis autour d’une entreprise publique. Ceci a pour conséquence de faire des entreprises des «preneurs de prix» qui subissent les prix et leur environnement macroéconomique comme la hausse des coûts de financement. Or, les niveaux de ces derniers sont vitaux pour les producteurs, un prix trop faible mettrait en péril les firmes du secteur à travers une baisse de leurs revenus et un moindre appétit de la part des banques pour leur prêter.

Actuellement, avec un prix entre 70 et 80 dollars le baril, les entreprises couvrent leur coût de fonctionnement et aussi les coûts d’investissement dans de nouveaux puits. Sur cette base, il est probable que la production américaine continue de croître au second semestre 2023 et en 2024, mais à un rythme moins soutenu qu’avant la crise du Covid. Cette hausse de la production devrait être un élément de freinage de la hausse des cours.