Me André Lutgen est poursuivi pour tentative d’intimidation envers un magistrat et outrage. Son procès ne cesse de prendre des directions inattendues. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Me André Lutgen est poursuivi pour tentative d’intimidation envers un magistrat et outrage. Son procès ne cesse de prendre des directions inattendues. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le procès de l’avocat André Lutgen, dont la première audience a eu lieu mardi, et qui s’est en partie poursuivi ce jeudi, est suspendu sine die. Fait rarissime: la partie civile a déposé une requête en récusation à l’égard du président de la Chambre correctionnelle.

Le procès de Me André Lutgen a été suspendu sine die ce jeudi vers 11h. Une décision du président de la Chambre correctionnelle, Stéphane Maas, qui fait suite au dépôt d’une requête en récusation le visant, déposée – fait extrêmement rare – par la partie civile.

L’audience de mardi, la première, avait été, il est vrai, parfois tendue entre un président de Chambre (et ex-juge d’instruction) voulant mener son instruction d’audience de manière méticuleuse et un témoin qui se constituera partie civile ensuite (lui-même juge d’instruction en fonction), qui ne s’en laisse pas compter. Et qui dira plusieurs fois, de par ses fonctions, ne pas avoir à justifier des actes posés dans le cadre d’une instruction suite à et se réfugiera derrière le secret de l’instruction.


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La pugnacité du président a en tout cas laissé un mauvais souvenir à cette partie civile. Dont l’avocat devait plaider en premier ce jeudi, avant le réquisitoire du ministère public et la prise de parole de la défense d’André Lutgen. Me Daniel Cravatte dira d’entrée avoir été «choqué» par l’audition de son client, «qui est une victime, mais qu’on aurait pu croire être le prévenu». Le sentiment d’un «règlement de compte a été réel». Et de demander au greffier d’audience de prendre note qu’il y a «un doute sur l’objectivité et l’impartialité du tribunal».

Pas question à ce moment de déposer une requête en récusation, indique cependant l’avocat au président. Il entame donc sa plaidoirie, revenant sur la chronologie des faits, les divers envois de mails, pour démontrer que la prévention de tentative d’intimidation est bel et bien fondée, tout comme celle d’outrage.

C’est à l’issue de cette plaidoirie seulement que le juge d’instruction se lève pour annoncer déposer une requête en récusation. Un certain malaise s’installe. L’audience est suspendue. Le magistrat instructeur s’en va immédiatement déposer sa requête, évidemment préparée en amont, au greffe.

Une demi-heure plus tard, l’audience reprend. Le ministère public confirme qu’une requête a bien été déposée, respectant les formes. Le juge Maas aurait pu alors décider de se déporter volontairement, ce qui aurait été un camouflet: il ne l’a donc pas fait. Personne parmi les magistrats et les avocats ne savaient s’il aurait pu ordonner la poursuite de l’audience malgré le dépôt de la requête, à l’issue incertaine: il ne l’a donc pas fait.

La seule option restante était de suspendre sine die, dans l’attente que la requête soit vidée.

Des conclusions du ministère public, puis un jugement du président

Que va-t-il se passer maintenant? Le ministère public va rédiger des conclusions écrites pour se positionner quant à la recevabilité de la requête, qui est une procédure civile. S’il l’estime recevable, il prendra aussi attitude sur le fond. Ces conclusions vont être déposées auprès du président du tribunal, qui peut se baser exclusivement dessus pour se forger son opinion et argumenter sa décision, soit demander des devoirs en plus: auditions de témoins, avis divers…

Son jugement pourra soit estimer la requête en récusation légitime – et il faudra alors refixer l’affaire devant une autre Chambre et reprendre les débats ab initio, depuis le début –, soit estimer qu’elle est non fondée, et le procès pourra reprendre là où on l’a laissé, mais cela ouvrant une voie royale à des recours et à des pourvois jusqu’en Cassation.

Dans quel délai tout cela sera-t-il fait? «On ne peut se prononcer sur ce plan. Mais il est évident que le président du tribunal ne se prononcera pas en 15 minutes», commente un observateur.

Nous considérons qu’il s’agit là d’un acte agressif de la part de la partie civile.
Me François Prum

Me François Prumavocat d’André Lutgen

La défense d’André Lutgen fulmine. «Le juge d’instruction a témoigné mardi, avec une obligation de le faire loyalement, ce dont on doute. Devenu partie civile, il a des droits. Mais finalement, il veut se soustraire devant ce président de Chambre qui pencherait selon lui du côté de l’inculpé. Via une requête en récusation, c’est un comble! Tout cela était évidemment préparé. Nous considérons qu’il s’agit là d’un acte agressif de la part de la partie civile», commente .