«On a l’impression que l’on ne veut pas des prestataires étrangers, que l’on ne veut pas des ressortissants des pays tiers, c’est un sentiment général ressenti par les entreprise», ajoute Marc Kieffer. (Photo: Fedil)

«On a l’impression que l’on ne veut pas des prestataires étrangers, que l’on ne veut pas des ressortissants des pays tiers, c’est un sentiment général ressenti par les entreprise», ajoute Marc Kieffer. (Photo: Fedil)

Le Luxembourg connaît aujourd’hui une pénurie de talents et le vivier présent dans la Grande Région n’est plus suffisant pour satisfaire les postes à pourvoir. Mais pour une entreprise, recruter un ressortissant des pays tiers est un parcours semé d’embûches.

«Dans un souci de maintenir l’attractivité du pays face aux difficultés accrues de recrutement de main d’œuvre qualifiée, le seuil actuel de rémunération minimale de 100.000 euros dans le cadre du régime d’impatriés sera abaissé à 75.000 euros». C’est ce qu’a annoncé la ministre des Finances (DP) lors de la présentation du , le 12 octobre dernier. Le Luxembourg connaît en effet une , et de nombreuses entreprises recrutent au-delà de l’Union européenne.

Mais abaisser ce seuil va-t-il réellement permettre aux entreprises d’embaucher plus de ressortissants des pays tiers? «Ce n’est certes pas une mauvaise chose, mais ce seuil avait dans un premier temps été relevé de 50.000 à 100.000 euros en 2020 sans que l’on ait réellement su pourquoi, donc on revient un peu en arrière. Deuxièmement, je crois que le problème pour les entreprises se situe ailleurs», analyse Marc Kieffer, secrétaire général de la Fédération des industriels luxembourgeois (Fedil).

Les impatriés, les cartes bleues européennes…

Quelques jours après la présentation du budget à la Chambre, la Fedil a publié sur son site une série de remarques sur ces démarches (lire ci-dessous) qu’elle qualifie de «barrières réelles à l’emploi». «Pour rendre cet avis, nous avons réalisé une réunion de travail en mai dernier avec une quinzaine de représentants d’entreprises, de tous secteurs: industriels, cabinet de consulting, Big Four ou avocats. Tous s’accordent pour confirmer les difficultés à recruter en dehors de la zone communautaire, tous les secteurs sont concernés. Notre bassin de recrutement, qui a toujours été la Grande Région, est en train de se vider, et même au-delà de la Grande Région, au niveau de la zone communautaire, il devient de plus en plus difficile de trouver les profils adéquats.»

Plusieurs mécanismes existent en effet au Luxembourg: le régime d’impatrié, évoqué par la ministre, où un salarié hautement qualifié se fait embaucher par une entreprise ou est détaché vers une entreprise située au Grand-Duché peut, sous certaines conditions et pendant une durée limitée, bénéficier d’une exonération d’impôt (partielle ou totale) des dépenses en nature ou en espèces directement liées à son expatriation. Il y a également le titre de séjour dit de «la carte bleue européenne» ou «blue card», prévu pour faciliter l’embauche des salariés hautement qualifiés hors UE. Il se présente sous la forme d’une carte à puce avec des données biométriques, et inclut l’autorisation de travail.

Tous les secteurs sont concernés

Mais des conditions de hautes qualifications sont requises pour l’obtenir. Il faut notamment présenter un contrat de travail d’une durée égale ou supérieure à un an pour un emploi hautement qualifié, se voir proposer une rémunération au moins équivalente à 1,5 fois le salaire brut moyen luxembourgeois (83.628 euros), ou au moins équivalente à 1,2 fois le salaire annuel brut moyen luxembourgeois (66.902,40 euros) pour une dizaine d’emplois pour lesquels un besoin particulier de travailleurs ressortissants de pays tiers est constaté par le gouvernement (mathématiciens, concepteurs de logiciels, spécialistes des bases de données, etc.).

Selon les derniers chiffres de la Direction de l’immigration, 2.711 ressortissants des pays tiers détenaient un titre de séjour valide au 31 décembre 2021, au titre de la carte bleue européenne. Et en 2021, la Cellule «ressortissants des pays tiers» du ministère du Travail a été saisie de 3.957 demandes de certificats, donc une augmentation de 72,87% par rapport à 2020. 3.523 demandes ont été accordées (augmentation de 80,20% sur un an) et 434 demandes ont été refusées, soit une augmentation de 29,94% sur un an. Ces derniers chiffres concernent tous les ressortissants des pays tiers, non qualifiés comme hautement qualifiés.

En ce qui concerne les cartes bleues européennes délivrées pour la première fois en 2021, par catégorie CITP (Classification internationale type des professions), 47% concernaient les spécialistes en administration d’entreprises, 35,5% les spécialistes des Technologies de l’information et de la communication (TIC), 10% les directeurs de services administratifs et commerciaux, 3,5% les spécialistes des sciences techniques, 1,7% les spécialistes de la justice, des sciences sociales et de la culture et 2,3% d’autres secteurs.

«Le problème qui se pose, qu’il s’agisse des impatriés, des cartes bleues européennes ou des salariés qui ne sont pas “hautement qualifiés”, ce sont les délais de traitement des dossiers», pointe Marc Kieffer. Le délai de réponse du ministère des Affaires étrangères et européennes est en effet, en principe, de quatre mois maximum – il est de trois mois pour les cartes bleues européennes – pour les autorisations de travail, qui sont obligatoirement à demander avant l’arrivée du salarié potentiel au Luxembourg. «Un délai qui est censé être maximum, mais qui peut faire perdre à l’employeur sa ou ses recrues, très sollicitée(s) sur le marché mondial du travail, comme nous l’expliquent régulièrement nos membres.» La Fedil ne possède pas de délais moyens des procédures, et le ministère du Travail, contacté par Paperjam, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

On a l’impression que l’on ne veut pas des prestataires étrangers, que l’on ne veut pas des ressortissants des pays tiers, c’est un sentiment général ressenti par les entreprises.
Marc Kieffer

Marc KiefferSecrétaire généralFedil

«Mais le fait est que ce délai de quatre mois est beaucoup trop long, il faut changer la législation. Sans oublier qu’avant ce délai, il y a déjà un délai de trois semaines, après lequel l’Adem établit un certificat, sur demande de l’employeur, afin de prouver que les compétences recherchées par l’employeur pour le poste vacant ne sont pas disponibles sur le marché du travail national ou européen.» Un certificat remis en question par la Fedil, qui travaille actuellement, dans le cadre d’un partenariat avec l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) et l’Adem, sur la définition des métiers en pénurie. «Ainsi, on pourrait faire tomber l’obligation de ce certificat dès lors qu’il s’agit s’un métier en pénurie.»

L’Adem pointe un manque de transparence

Autre problème soulevé par la Fedil: le manque de transparence de la procédure, l’employeur et le salarié ne connaissent pas son avancement, «alors que cela pourrait aider les entreprises à garder l’intérêt des salariés. Certaines pièces sont également difficiles à réunir, comme l’extrait de casier judiciaire par exemple, qui est pour certains pays quasiment impossible à obtenir. On a l’impression que l’on ne veut pas des prestataires étrangers, que l’on ne veut pas des ressortissants des pays tiers, c’est un sentiment général ressenti par les entreprises», ajoute Marc Kieffer.

Un autre constat négatif opéré par la Fedil: le fait que la langue anglaise n’est pas du tout utilisée par les autorités publiques compétentes durant toute la procédure de délivrance des documents nécessaires pour l’activité salariée du ressortissant d’État tiers. «Même si la langue anglaise ne figure pas parmi les langues officielles du Luxembourg, on estime néanmoins que l’anglais devrait être utilisé davantage du fait que les ressortissants d’États tiers ne maîtrisent souvent pas le français et qu’ils sont en principe les premiers concernés par les procédures.»