Le gouverneur de la Banque centrale de Luxembourg (BCL), Gaston Reinesch, appelle le Luxembourg à prendre ses responsabilités. (Photo: Banque centrale de Luxembourg. Illustration: Maison Moderne)

Le gouverneur de la Banque centrale de Luxembourg (BCL), Gaston Reinesch, appelle le Luxembourg à prendre ses responsabilités. (Photo: Banque centrale de Luxembourg. Illustration: Maison Moderne)

Avec une hausse des prix de 9,7% depuis cinq ans, l’immobilier luxembourgeois a dépassé les taux de croissance similaires à la zone euro et a entraîné une augmentation de l’endettement des ménages. Gaston Reinesch (BCL) appelle le Luxembourg à prendre ses responsabilités.

Le Luxembourg, avec ses fortifications classées au patrimoine mondial de l’Unesco, ses vallées boisées et ses plateaux pastoraux, attire depuis longtemps les spéculateurs, les propriétaires et les primo-accédants qui espèrent obtenir une part de son marché immobilier en constante inflation. Le résultat est préoccupant. Un appartement dans le centre-ville coûte généralement 11.657 euros par mètre carré – plus d’un million d’euros pour un appartement de deux chambres à coucher (100 mètres carrés) selon l’Institut luxembourgeois de recherche socio-économique – et une maison familiale est hors de portée pour beaucoup.

Récemment, le problème s’est encore aggravé. Selon les chiffres de la Banque centrale européenne, la croissance des prix des logements au Luxembourg sur la période allant du quatrième trimestre 2019 au deuxième trimestre 2021 a été la plus élevée parmi les pays de la zone euro.

Pour Gaston Reinesch, le problème est structurel, et la solution se trouve fermement au Luxembourg.

«Il s’agit d’un problème très complexe qui ne peut être traité par des mesures politiques ponctuelles et uniques, mais qui nécessite une feuille de route d’action politique globale et coordonnée établie par le gouvernement dans son ensemble sur la base d’une analyse complète de tous les goulets d’étranglement, des variables pertinentes et des objectifs politiques», explique-t-il dans une interview à Delano.

Gaston Reinesch a beaucoup écrit sur les problèmes immobiliers du Luxembourg, notamment dans un récent article de blog . Il prévient que sans une forme d’intervention, le problème ne fera qu’empirer. «Ce déséquilibre structurel exerce une pression à la hausse sur les prix de l’immobilier (prix des terrains et des logements), contribuant ainsi à l’accumulation de toute une série de problèmes économiques, sociaux, de finances publiques et politiques, ainsi que de vulnérabilités sur le marché immobilier national», écrit-il dans le blog.

Il s’agit notamment d’une situation d’insider/outsider où les jeunes générations ne parviennent pas à prendre pied sur le marché du logement.

Cela crée également un risque pour les propriétaires. Selon les conclusions du blog, la mesure moyenne de surévaluation du risque systémique pour le Luxembourg, estimée par la BCE et le Comité européen, a augmenté depuis le quatrième trimestre de 2019 et s’est établie à 51,3% au deuxième trimestre de 2021. En termes simples, cela signifie que le Luxembourg présente un risque plus élevé que la plupart des pays européens d’une baisse des prix de l’immobilier. Une lecture difficile pour ceux qui ont économisé pour devenir propriétaires au Luxembourg.

De plus, les prix de l’immobilier gonflés sont synonymes d’hypothèques importantes: dans une comparaison entre pays de l’endettement des ménages effectuée par la BCE, le Luxembourg se situe dans le quadrant supérieur droit, ce qui correspond au niveau de croissance annuelle nominale des prix les plus élevés, ainsi qu’au taux de croissance annuel nominal des hypothèques le plus élevé de tous les pays de la zone euro.

Le Luxembourg peut-il faire plus?

La tendance des Luxembourgeois a été de rejeter la faute sur des facteurs externes, comme la politique monétaire de l’UE. Il est certain que la politique monétaire expansive de l’UE a exacerbé les difficultés du Luxembourg en matière de logement. Depuis le Covid-19 en particulier, les mesures de politique monétaire nécessaires et décisives pour maintenir un environnement de taux d’intérêt bas ont soutenu la capacité d’emprunt des ménages, ce qui a encore gonflé le marché du logement. Ces mêmes conditions de financement favorables ont également permis d’atténuer les risques liés aux prix des logements à court terme, les estimations de la BCE concernant les prix à risque des logements faisant apparaître une diminution des risques à court terme d’une importante correction à la baisse des prix.

Toutefois, le report du problème ne doit pas être considéré comme une solution, met en garde Gaston Reinesch dans le rapport. «La diminution des risques à court terme ne doit pas être interprétée à tort comme une amélioration du niveau global de vulnérabilité, car les risques de baisse restent élevés et vont probablement continuer à augmenter à moyen terme», écrit-il. Le rôle de la politique monétaire est également exagéré. «Si la politique monétaire était le principal déterminant des prix de l’immobilier résidentiel, on pourrait s’attendre à un schéma plus uniforme de la croissance des prix et des estimations de valeur dans tous les pays», ajoute-t-il dans le rapport. Au lieu de cela, le Luxembourg fait figure d’exception en Europe.

«La politique monétaire actuelle très accommodante a eu un effet de renforcement des évolutions récentes des prix, mais elle n’est pas la cause profonde ou le principal moteur de la dynamique inquiétante des prix des terrains et des maisons qui dure depuis plus de deux décennies», explique-t-il dans l’interview accordée à Delano.

Des problèmes structurels profondément enracinés

Selon Gaston Reinesch, les problèmes de logement au Luxembourg trouvent leurs racines bien plus loin dans le temps. «Entre 2001 et 2018, alors que la population a augmenté de près de 175.000 personnes, le nombre de logements construits était d’environ 53.000. Dans un environnement où l’offre de logements est contrainte, diverses mesures politiques axées sur le renforcement de la demande de biens immobiliers ont eu tendance à alimenter les prix des parcelles et des logements, puis, économiquement parlant, ont eu un effet de distribution négatif», écrit-il.

Heureusement, la solution est aussi entre les mains des décideurs luxembourgeois. Selon le rapport, l’augmentation de l’offre de terrains et de logements constructibles, y compris de logements sociaux et abordables, et la garantie d’un secteur de la construction compétitif contribueraient à atténuer les contraintes du marché et la pénurie de terrains et de logements à moyen terme. Ces actions seraient également essentielles pour garantir l’accès à la propriété pour l’ensemble de la population.

La révision de la politique d’aménagement du territoire pour permettre une utilisation plus efficace des terres et décourager la thésaurisation des terres en révisant la politique fiscale sur les terrains vacants et les logements inoccupés créerait également des incitations à la construction de logements.

En définitive, il est essentiel de favoriser l’offre de logements constructibles pour réduire les facteurs structurels à l’origine des problèmes économiques, sociaux, politiques et de finances publiques, ainsi que les vulnérabilités du logement au Luxembourg. En outre, les mesures visant à aligner l’offre et la demande de logements doivent faire partie intégrante d’une stratégie politique plus large en matière d’infrastructures aux niveaux national, régional et local (y compris l’éducation et les transports), en tenant compte également de considérations liées à la durabilité économique et environnementale, écrit Gaston Reinesch.

«Les actions de politique monétaire rapides et volumineuses de l’Eurosystème au début de la pandémie, en mars 2020, ont permis d’éviter que les crises économiques provoquées par la crise sanitaire ne se transforment en crise financière. Cela a été particulièrement bénéfique pour l’économie luxembourgeoise étant donné l’importance relative des activités financières dans l’économie luxembourgeoise», explique-t-il à Delano.

Il semble important de ne pas blâmer la politique monétaire, mais de prendre conscience des nombreuses façons dont le Luxembourg peut faire plus sur le plan social, économique, budgétaire et de la redistribution, poursuit le rapport.

Cet article a été rédigé par  en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.