Alexandre   Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam Luxembourg/Blitz Agency)

Alexandre   Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam Luxembourg/Blitz Agency)

À moyen-terme, le prix du gaz naturel pourrait s’établir à un niveau plus élevé que dans le passé en raison de la demande en Europe qui devrait rester robuste, analysent Alexandre Gauthy (PB Macro-Economiste Asset Allocation et Portfolio Construction Degroof Petercam) et Rémy Jacqmin (PB Analyst & Investment Manager).

Le marché du gaz en Europe a récemment connu une période de volatilité importante : depuis fin d’année dernière, le prix du gaz a été multiplié par 4! Cette hausse soudaine des prix peut s’expliquer par des facteurs géopolitiques mais également liés à l’offre et à la demande. 

Une production européenne en baisse

La demande de gaz naturel en Europe reste robuste malgré la volonté politique de s’éloigner des énergies fossiles. Cette solidité de la demande est imputable à l’utilisation du gaz naturel au lieu du charbon dans la production d’électricité, ce qui réduit l’empreinte carbone de la société sans toutefois la dé-carboniser à 100%. Un climat hivernal plus long en Europe a également soutenu la demande de gaz. Les vents faibles ont quant à eux limité la production d’énergie éolienne en Europe et ont ainsi contribué à l’augmentation de la demande pour d’autres sources d’énergie, dont le gaz.

Du côté de l’offre, le marché européen souffre d’une production locale en diminution structurelle. La production de gaz naturel en Europe a en effet diminué de 30% sur les 10 dernières années. Ce déclin de la production a été causé par des années de sous-investissement dans le développement de nouveaux champs en Europe. La production européenne devrait donc continuer à décliner dans le futur. Ainsi, la production du champ gazier de Groningue aux Pays-Bas, le plus grand champ pétrolier d’Europe, devrait s’arrêter avant 2030. Les autorités néerlandaises ont en effet pris la décision d’arrêter la production dans ce gisement gazier après la survenance de tremblements de terre dans la région causés par l’extraction du gaz naturel. Par conséquent, le marché européen du gaz est de plus en plus dépendant des importations.

Des exportations russes inférieures à leurs niveaux d’avant-crise

Le gaz peut être importé par deux canaux : via pipeline ou par cargo de gaz naturel liquéfié. La majorité des importations par pipeline vient de Russie. Les exportations de gaz russe restent inférieures à leurs niveaux d’avant-crise, alors que la production de gaz naturel russe a atteint un niveau historiquement élevé. La réticence des russes à augmenter les exportations vers le vieux continent peut être due à des raisons géostratégiques, telles que la volonté des russes de ne pas accroître leurs exportations passant par l’Ukraine et d’accélérer l’avancement du projet nord stream 2, qui ouvrira une nouvelle voie d’exportation du gaz russe vers l’Europe à travers la mer baltique. Enfin, la Russie privilégie également la reconstitution de ses inventaires de gaz à l’approche de l’hiver, au détriment des exportations vers l’Europe.

Le gaz naturel liquéfié (qui provient principalement des pays du Golfe) constitue la troisième source d’alimentation en gaz naturel, à côté de la production domestique et des importations par pipeline. Cette méthode d’approvisionnement aurait pu combler le trou laissé par les importations via pipeline. Cependant, les importations européennes de gaz naturel liquéfié souffrent de la concurrence accrue des pays asiatiques, où la demande en gaz reste soutenue.  Par ailleurs, l’offre de gaz liquéfié a également été contrainte par des arrêts de production, des activités de maintenance et le déclin naturel de certains champs gaziers. La restriction de l’offre de gaz liquéfié et la concurrence féroce asiatique ont  joué en faveur d’un prix du gaz plus élevé en Europe.

La possibilité d’autres chocs du prix des énergies fossiles

Le prix du gaz a atteint un niveau anormalement élevé et devrait se normaliser dans les prochains mois. Cependant, à moyen-terme, le prix du gaz naturel pourrait s’établir à un niveau plus élevé que dans le passé en raison de la demande en Europe qui devrait rester robuste. De fait,  la hausse des prix du carbone favorise l’utilisation du gaz naturel à la place du charbon dans le mix énergétique européen.

Pour conclure, il est fort probable que la transition énergétique conduise à d’autres chocs du prix des énergies fossiles traditionnelles. D’une part, l’offre d’énergies vertes est beaucoup plus volatile que celle des énergies traditionnelles. Comme on a pu l‘observer cet été, le manque de vent ou de soleil peut provoquer une diminution de l’offre. Dans une telle situation, afin de satisfaire la demande en électricité, l’alternative est le recours aux énergies fossiles, dont les gouvernements tentent d’en réduire la dépendance. D’autre part, la volonté politique de dé-carbonisation de la société ainsi que les nouvelles directives en matière d’investissement contribuent à un sous-investissement dans des capacités de production de pétrole et de gaz. De fait, les dépenses en investissement des sociétés pétrolières mondiales sont en baisse de plus de 50% depuis 2014. Or, on sait que la production d’un champs pétrolier décline avec le temps.

Ce déclin des investissements réduit l’offre future provenant de nouveaux champs  de pétrole (et de gaz). Les tensions sur les prix des énergies polluantes sont donc une des conséquences de la transition énergétique. Cette politique verte a rendu nos économies plus sujettes à des chocs de prix temporaires des énergies traditionnelles. Mais d’un autre côté, cet ajustement haussier du prix des énergies polluantes pourrait pousser les consommateurs à se détourner plus rapidement des énergies fossiles.