Manuel Maleki est économiste États-Unis et matières premières chez Edmond de Rothschild.    (Photo: Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki est économiste États-Unis et matières premières chez Edmond de Rothschild.  (Photo: Edmond de Rothschild)

La volonté politique de réduire les émissions de CO2 a poussé les décideurs publics à imaginer différents mécanismes pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Deux grandes approches ont émergé: la régulation par la taxation et la régulation par la mise en place de quotas d’émissions.

La plupart des rapports sur le climat pointent tous le rôle joué par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le réchauffement climatique. Face à ce phénomène, les pouvoirs publics tentent de réagir depuis plusieurs années. Toutefois, inciter ou obliger les agents à modifier leurs comportements n’est jamais chose aisée, et ce quelles que soient les réformes que l’on veut faire passer. 

Les émissions de CO2, si elles n’ont pas d’effets négatifs sur l’émetteur, peuvent toutefois poser des problèmes à d’autres agents économiques, qui subiront par exemple la pollution. Cette situation se caractérise par le fait que les émissions de CO2 ne sont pas prises en compte par le marché dans le sens où ni les prix ni les quantités ne tiennent compte de ces externalités. Dès lors, les économistes et décideurs publics ont réfléchi à différents mécanismes pour corriger ces externalités. La première approche est celle de modifier le prix en appliquant une taxe qui donnerait un prix à l’impact négatif non intégré par le marché. Cette taxe, dite «pigouvienne», du nom de l’économiste Arthur Pigou qui, dans les années 20, a posé les bases du concept de pollueur-payeur, augmente le prix des émissions de carbone. 

Appliquer une taxe n’est pas exempt de défauts.
Manuel Maleki

Manuel MalekiéconomisteEdmond de Rothschild

La taxe carbone est donc une écotaxe qui a pour but d’inciter les agents à consommer moins de carbone. Théoriquement, la taxe peut s’appliquer de deux manières, soit en «amont», soit en «aval». Cette dernière méthode se distingue par le fait que la taxe est calculée selon l’émission de CO2 de la production à la distribution. Toutefois, cette approche nécessite des calculs très complexes et n’est que très rarement appliquée. La méthode la plus populaire est celle de la taxe «en amont», qui tient compte du volume d’énergie fossile consommé et puisque le volume de CO2 rejeté par les énergies fossiles est connu, il est aisé d’appliquer la taxe. Cette dernière peut donc être intégrée au prix de l’essence, du fioul, etc.

Toutefois, appliquer une taxe n’est pas exempt de défauts. Une première difficulté est liée à la détermination du niveau optimal d’émissions carbone. La fixation d’une taxe ex ante implique que le décideur public estime ce que devrait être le niveau optimal en lien avec ses propres critères, qui peuvent être très loin de ce qui serait réellement optimal. Une autre difficulté est le manque de flexibilité de la taxe, la régulation qui entoure la mise en place d’une taxe peut ralentir l’adaptation du niveau de la taxe à un nouvel environnement. 

Une taxe carbone peu appliquée

Face à ces difficultés, il apparaît que très peu de pays appliquent la taxe carbone. Dès lors, dans la lutte contre les émissions de CO2, on ne peut pas s’exonérer d’un marché du carbone. Cette approche met l’accent sur une régulation par les acteurs du marché eux-mêmes, même si les décideurs publics y jouent un rôle actif.

La création d’un marché du carbone à travers l’attribution de quotas est une autre approche. Les Emissions Trading System (ETS) sont des instruments de marché qui ont pour objectif de réduire les émissions de CO2 à travers un marché où se rencontrent des offreurs et des demandeurs, permettant ainsi de donner un prix au carbone. Dans un premier temps, les autorités déterminent un volume total d’émissions de gaz. Ce volume est recalculé chaque année de manière à diminuer. En 2020, dans l’Union européenne, il était 21% plus faible qu’en 2005. La Commission européenne propose une réduction de 43% à horizon 2030. Dans un deuxième temps, les autorités distribuent aux entreprises un certain volume de droits à polluer.

Avec la crise de 2008, le prix du carbone avait très fortement chuté en lien avec la baisse de l’activité économique rendant inopérant ce type d’approche.

Manuel MalekiéconomisteEdmond de Rothschild

Le fait de limiter le volume des droits à polluer leur donne une valeur financière qui explique pourquoi un marché va s’organiser. Dès lors, dans un troisième temps, les entreprises qui souhaitent produire plus ou qui ont des technologies plus polluantes vont devoir acheter des droits à des entreprises qui ont décidé de moins produire ou qui possèdent des technologies moins polluantes. Dès lors, la loi de l’offre et de la demande détermine un prix d’équilibre.

Toutefois, les ETS ne sont pas exemptes de défauts. En effet, il peut y avoir un manque de liquidité sur le marché ou bien une importante volatilité qui peut réduire l’efficacité du signal-prix. Par exemple, avec la crise de 2008, le prix du carbone avait très fortement chuté en lien avec la baisse de l’activité économique rendant inopérant ce type d’approche.

Un mouvement irréversible

Dès 2005, l’Union européenne a mis en place un tel marché. Elle a été suivie par d’autres pays, comme la Nouvelle-Zélande, le Japon ou le Mexique. Il faut aussi souligner que certains États des États-Unis ou du Canada, comme la Californie ou le Québec, ont aussi mis en place ce type de mécanisme.

En conclusion, même si la problématique de la réduction des émissions de CO2 peut sembler simple, elle révèle en fait de nombreuses difficultés à propos de la manière de réduire les émissions. Les deux approches – la taxe et la mise en place d’un marché – offrent chacune des avantages et des inconvénients dont la balance penche d’un côté ou de l’autre selon les circonstances.

Au-delà de l’aspect conjoncturel, il semble que les politiques de diminution du volume de carbone soient un mouvement irréversible qui va peser de plus en plus sur les modes de production et de consommation. En outre, l’intégration d’un maximum d’acteurs dans la lutte contre le réchauffement climatique sera nécessaire, car la lutte contre les externalités négatives nécessite l’implication de tous. Dès lors, le développement du marché du carbone devrait connaître un essor croissant. Ainsi, les entreprises à la pointe de la technologie bénéficieront d’une prime non seulement en matière d’image auprès des consommateurs, mais aussi en matière de capacité de production. Les modes de production innovants dont l’objectif est de limiter les émissions de carbone et de le faire savoir devraient être des éléments de plus en plus importants dans la stratégie des entreprises.