Paul Hammelmann assume la répression routière, seule solution à même, selon lui, de maintenir la vigilance et la prudence des conducteurs. (Photo: Marc Blasius/Maison Moderne)

Paul Hammelmann assume la répression routière, seule solution à même, selon lui, de maintenir la vigilance et la prudence des conducteurs. (Photo: Marc Blasius/Maison Moderne)

Le président de la Sécurité routière depuis 21 ans a rejoint, vendredi, la rédaction de Paperjam pour un petit-déjeuner où il a été question de ses différents combats.

Paul Hammelmann multiplie les casquettes – président de la Sécurité routière, vice-président de l’Institut pour le droit européen de la circulation, président du conseil d’administration du Domaine thermal de Mondorf, professeur à l’Uni, consul honoraire du Togo, et administrateur délégué de l’Association des compagnies d’assurances pendant 33 ans. Juriste de formation, il a fait ses classes dans l’étude d’un certain Gaston Vogel et y a découvert son appétence pour le droit de la responsabilité civile, qu’il enseigne de nouveau aujourd’hui à l’Uni.

«Je n’ai jamais pu supporter l’idée d’une mort non naturelle», confie-t-il en préambule, comme le leitmotiv de l’avocat devenu commissaire aux comptes de la Sécurité routière via l’Aca, avant d’en prendre la présidence. «Les assureurs privés financent en grande partie la Sécurité routière», rappelle-t-il.

La mission de la Sécurité routière relève, selon lui, autant de la prévention que du lobbying. «À mes débuts, il y avait beaucoup moins de trafic, mais presque 200 morts sur les routes», souligne-t-il. La mortalité a nettement baissé depuis, un «certain succès» de l’asbl. «Il y a 10 ans, l’installation de radars n’aurait pas été acceptée. Elle a finalement été adoptée à l’unanimité par la Chambre des députés et elle est acceptée par une majorité des gens. Les mentalités ont changé.»

 Pendant longtemps, il était bien vu de transgresser les règles du Code de la route.

Paul HammelmannprésidentSécurité routière

Il faut du temps pour cela. «Il y a 15 ans, il était difficile de rentrer chez soi sans voiture si on avait bu trop d’alcool», se souvient Paul Hammelmann. «Et pendant longtemps, il était bien vu de transgresser les règles du Code de la route.»

Pour autant, M. Hammelmann ne prône pas le zéro alcool au volant ni l’abstinence. «On peut rester dans la légalité en ne buvant pas sans manger, en buvant de manière civilisée – pas cinq digestifs! La vie sociale reste possible.» Sachant que le contrôle est un passage obligé pour maintenir la vigilance des conducteurs, qui craignent davantage de se faire contrôler positif que d’avoir eux-mêmes un accident. «Nous défendons une certaine répression parce que la prévention sans répression ne fonctionne pas. Il y a 15 ans, la police ne pouvait contrôler un conducteur que s’il présentait des signes manifestes d’ivresse. Depuis, le Parquet peut ordonner des contrôles systématiques.» Un principe appliqué avec zèle par la police grand-ducale.

Au-delà de la peur du policier, les jeunes ont fini par prendre conscience des risques encourus: «Il est de moins en moins chic de sortir et de rentrer alcoolisé au volant», les Raoul se multiplient, les bus de nuit aussi.

Paul Hammelmann déplore que les stations-service puissent vendre alcools forts et mignonnettes. (Photo: Marc Blasius/Maison Moderne)

Paul Hammelmann déplore que les stations-service puissent vendre alcools forts et mignonnettes. (Photo: Marc Blasius/Maison Moderne)

Évitant d’affronter un lobbying de l’alcool sensible au Luxembourg, la Sécurité routière privilégie la responsabilisation. Tout en regrettant certains combats perdus d’avance. «Ce qui me gêne, ce sont les stations-service qui vendent des alcools forts et des mignonnettes. Mais cela touche trop les accises. Le Luxembourg étant un pays très matérialiste… Alors que le coût des accidents graves dépasse largement les recettes des accises!»

L’année 2018 a justement été marquée par un . Il y a toujours les biais statistiques – deux accidents ont à eux seuls tué huit personnes –, les causes incertaines (malaise, etc.). «Je n’en déduis rien. La stratégie reste ‘Vision zéro’. Nous ne pouvons pas revendiquer autre chose!»

 L’Allemagne ne donne aucune statistique d’accidents sur les autoroutes où la vitesse est illimitée.

Paul Hammelmannprésident Sécurité routière

Côté prévention, la Sécurité routière cherche le meilleur moyen de sensibiliser les conducteurs, en particulier les jeunes, au-delà du travail assuré par le centre de formation dont le Hall of Consequences interpelle sur les conséquences d’une conduite mal maîtrisée.

«L’Association des victimes de la route va dans les écoles, nous avons discuté de sanctions alternatives avec le ministre des Transports. Il était question d’emmener les jeunes au Rehazenter, mais cela ne nous paraît pas approprié.» L’asbl tente de toucher le plus de monde avec sa coupe scolaire annuelle, un concours de sécurité visant à promouvoir l’éducation routière des jeunes cyclistes.

«Nous avons initié l’organisation de stages alternatifs» de récupération de points, s’inspirant de ceux mis en place en France en 1992. «Cela fonctionne», assure M. Hammelmann, qui salue la prise de conscience des conducteurs des infractions commises et de leurs conséquences possibles par la discussion avec un psychologue et d’autres délinquants de la route.

De fait, la prévention serait plus efficace si harmonisée au niveau européen. En particulier au niveau des critères de sécurité à respecter par les poids lourds. «80% ne sont pas en ordre lorsqu’ils sont contrôlés», s’effare M. Hammelmann, que ce soit en termes de charge utile ou de durée de conduite. «C’est un problème partout en Europe. Il faut cesser avec le ‘just in time’.»

Le président de la Sécurité routière soutient la modification des infrastructures pour qu’une chute à moto ne soit pas synonyme de mort. (Photo: Marc Blasius/Maison Moderne)

Le président de la Sécurité routière soutient la modification des infrastructures pour qu’une chute à moto ne soit pas synonyme de mort. (Photo: Marc Blasius/Maison Moderne)

Idem pour le taux d’alcoolémie ou la vitesse, qu’il faudrait uniformiser. «J’entends souvent l’argument que l’Allemagne ne compte pas plus de morts sur les routes malgré la vitesse illimitée sur autoroute. J’en ai parlé à un responsable de la Commission européenne qui m’a répondu que seuls 10% des autoroutes étaient effectivement concernées, mais que l’Allemagne ne donnait aucune statistique d’accidents sur ces tronçons.» Autant dire que le rétropédalage français sur la limitation de vitesse à 80 km/h sur les petites routes l’exaspère – «une mesure purement populiste en réaction au mouvement des gilets jaunes».

Paul Hammelmann se languit aussi d’une action politique plus rapide. Depuis le temps que les arbres bordant les routes sont pointés du doigt par les associations de prévention routière et de victimes de la route… «Nous avons assisté à un abattage avec le ministre, mais cela prend beaucoup trop de temps d’identifier ceux qui représentent un réel obstacle», déplore-t-il. «L’écologie a pris le dessus.» Alors que des haies aideraient tout autant à la vision de la route sans représenter un danger mortel.

Sus aux distractions au volant

«Je suis en général pour des infrastructures clémentes, qui pardonnent l’erreur humaine», dit-il en référence aux rails de sécurité souvent fatals pour un motard qui tombe à terre. «D’ailleurs, nous avions récemment un groupe de journalistes en visite touristique à moto, ils ont trouvé que le Luxembourg comptait pas mal de doubles rails par rapport à d’autres pays.»

Messager inlassable, Paul Hammelmann poursuit son «lobbying», comme il l’appelle. La prochaine campagne de la Sécurité routière, rejoignant le ciblera les smartphones et autres appareils électroniques intelligents, mais redoutables pour l’attention du conducteur.