Selon le dernier Quality of Work Index, 16% des dirigeants d’entreprise présentent un risque considéré comme élevé ou très élevé en matière de consommation d’alcool. (Photo: Shutterstock)

Selon le dernier Quality of Work Index, 16% des dirigeants d’entreprise présentent un risque considéré comme élevé ou très élevé en matière de consommation d’alcool. (Photo: Shutterstock)

«Un premier pas important vers la prévention des addictions en entreprise consiste à intégrer l’évaluation des facteurs psychosociaux dans les évaluations des risques au travail existantes», indique le Centre national de prévention des addictions (Cnapa).

Addictions et entreprise, la problématique figurait en bonne place dans l’édition 2024 du Quality of Work Index, . Et pour cause, le risque associé à la consommation d’alcool touche environ un salarié sur deux (49%). Et plus spécialement les dirigeants (65%), 16% d’entre eux présentant un risque considéré comme élevé ou très élevé.

Ajoutons que près d’un salarié sur quatre (24%) ne renonce pas à la cigarette (proportion qui atteint les 36% chez les plus jeunes) et que cannabis (0,5%) et autres drogues (0,3%) apparaissent dans des proportions trop faibles pour traduire la réalité, et l’on comprendra pourquoi le Centre national de prévention des addictions (Cnapa), partenaire de l’étude menée pour le CSL l’an dernier, invite à davantage d’efforts. État des lieux avec Anna-Marie Herdtle, spécialiste en prévention des addictions et accompagnement en santé au Cnapa.

Quelles sont les obligations légales des entreprises luxembourgeoises en matière de prévention et de lutte contre les addictions selon le Code du travail?

Anna-Marie Herdtle. – «Au niveau législatif, il existe ici, au Luxembourg, une responsabilité partagée entre l’employeur et l’employé en matière de santé et de sécurité au travail, qui est rédigée dans différents textes de loi.

L’article L.312-1 du Code du travail impose à l’employeur d’assurer la sécurité et la santé de ses salariés dans tous les aspects de leur travail, incluant la prévention des risques professionnels – et la prévention des addictions fait partie de la gestion des risques liés au travail, en prenant des mesures de protection collective par priorité à des mesures de protection individuelle. L’employeur est également en droit d’interdire la consommation d’alcool par ses salariés sur leur lieu de travail.

L’article L.313-1 du Code du travail impose à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses missions au travail. En même temps, le salarié doit signaler toute situation de travail qui présente un danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé en s’adressant à l’employeur ou aux travailleurs désignés. En application de cet article, les salariés ont une fonction d’alerte en cas de consommation d’alcool ou de drogues sur le lieu de travail.

Les formations pour les cadres et les collaborateurs devraient s’intégrer dans une stratégie globale de prévention des addictions en entreprise.

Anna-Marie Herdtlespécialiste en prévention des addictions et accompagnement en santé au Cnapa

Quelles mesures concrètes les employeurs doivent-ils mettre en place pour prévenir les addictions en entreprise?

«Nous observons souvent que la prévention des addictions en entreprise est réduite à l’information et à la sensibilisation des collaborateurs. Mais ceci n’est pas suffisant, ni d’un point de vue législatif ni d’un point de vue scientifique. Ce sont plutôt des mesures structurelles/collectives qui sont nécessaires et que nous recommandons aux entreprises de mettre en place. Ces recommandations sont basées sur les standards de qualité de la prévention des addictions en entreprise développés dans nos pays voisins et qui se sont révélés efficaces.

Nos recommandations: évaluez les risques psychosociaux; introduisez un règlement interne avec un guide d’action/une procédure pour ancrer l’idée de l’intervention précoce et de la bienveillance dans votre entreprise; formez les personnes clés dans l’entreprise (travailleurs désignés, délégués à la sécurité et à la santé, personnel RH, managers, etc.); soutenez les collaborateurs qui reprennent le travail après une thérapie; participez à des actions publiques pour soutenir la déstigmatisation (par exemple: Semaine d’action alcool, Semaine de la santé mentale, Dry January, etc.).

Existe-t-il des obligations ou recommandations spécifiques concernant la formation des managers et des employés sur les risques liés aux addictions?

«Les formations pour les cadres et les collaborateurs devraient s’intégrer dans une stratégie globale de prévention des addictions en entreprise. Il est important que des conditions structurelles aient déjà été créées, comme un règlement interne avec un guide d’action sur lequel se basent toutes les offres de formation.

Les entreprises ont-elles le droit de procéder à des tests de dépistage de substances addictives sur leurs employés? Si oui, sous quelles conditions?

«Si des tests de dépistage d’alcool et de drogues doivent être effectués, ils doivent également être prévus et publiés dans le règlement interne.

Quelle est la responsabilité d’un employeur s’il constate qu’un salarié souffre d’une addiction impactant son travail?

«Sécuriser la personne concernée et contacter un médecin si nécessaire: service d’urgence, médecin traitant, médecin du travail.

En tant que collègue: informer son responsable supérieur.

En tant que responsable supérieur: réaliser un entretien court et prendre note des observations avec constatation d’une tierce personne. Recueil des témoignages.

Si le salarié nie les faits, il peut avoir recours à un examen médical, mais seulement sur sa propre demande.

Faire raccompagner le salarié ou appeler un proche. En aucun cas, l’employeur ne doit laisser le salarié reprendre son véhicule.

Prévoir le premier entretien avec le salarié avant la reprise de poste, ce dernier devant être sobre.

Nous recommandons que la procédure doit également figurer dans le règlement interne.

Les entreprises jouent un rôle important dans le domaine de la détection précoce.

Anna-Marie Herdtlespécialiste en prévention des addictions et accompagnement en santé au Cnapa

Quelles solutions existent pour aider un salarié en difficulté? L’entreprise a-t-elle un rôle à jouer dans son accompagnement?

«Les entreprises jouent un rôle important dans le domaine de la détection précoce des personnes concernées et de leur orientation vers une aide professionnelle adéquate. Les entreprises sont soutenues dans cette démarche par leur service de médecine du travail compétent. En outre, les entreprises peuvent également mettre à la disposition de leurs collaborateurs des informations sur les centres de consultation spécialisés. Le Cnapa met à disposition des informations collectées à cet effet.

Avez-vous observé une évolution des addictions en milieu professionnel (alcool, drogues, jeux d’argent, écrans, etc.) ces dernières années?

«Malheureusement, il n’existe actuellement aucune collecte systématique de chiffres publique dans le cadre de l’entreprise, ce que nous regrettons vivement. Nous souhaiterions que l’initiative prise l’année dernière par la CSL de collecter des chiffres pour le contexte de l’entreprise soit reprise et poursuivie de manière systématique.

Certains secteurs ou types d’entreprises sont-ils plus concernés par la problématique des addictions au Luxembourg ?

«Le Quality of Work Index 2024, une enquête représentative auprès des salariés au Luxembourg, a montré qu'en matière de consommation d'alcool à risque et dépendante, les secteurs suivants sont les plus touchés : les activités financières et d'assurance, la construction et l’industrie. Parallèlement, les chiffres montrent également que les personnes occupant des postes de direction sont particulièrement concernées par la consommation problématique d’alcool. Dans l'ensemble, les chiffres du Quality of Work Index 2024 montrent que la charge mentale des salariés a nettement augmenté.

Quelles évolutions réglementaires ou initiatives pourraient être mises en place pour renforcer la lutte contre les addictions en entreprise?

«Un premier pas important vers la prévention des addictions en entreprise consiste à intégrer l’évaluation des facteurs psychosociaux dans les évaluations des risques au travail existantes. Dans ce domaine, nous ne sommes pas encore suffisamment actifs au Grand-Duché de Luxembourg, bien que la santé mentale joue un rôle important dans le contexte du travail. Nous travaillons à ce que les questions de santé psychosociale soient davantage prises en compte et que des solutions pragmatiques puissent être mises à la disposition des entreprises pour l’évaluation des facteurs psychosociaux et la mise en œuvre de mesures appropriées.»