Pierre Leininger, Avocat au sein du cabinet CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg) 

Pierre Leininger, Avocat au sein du cabinet CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg) 

Un décompte d’heures établi à partir d’un système mis en place par l’employeur, dans lequel un salarié y enregistre les heures qu’il a prestées, afin de facturer les projets aux clients, suffit-il à prouver l’accord de l’employeur, et partant, les heures supplémentaires prestées par un salarié?

Un arrêt de la Cour d’appel du 1er juillet 2021 a fourni de précieux enseignements à cet égard.

Tout d’abord, à titre de rappel :

-       le Code du travail définit les heures supplémentaires comme tout travail effectué au-delà des limites journalières et hebdomadaires de la durée normale de travail déterminée par la loi ou les parties ;

-       la qualification d’heures supplémentaires requiert que les heures supplémentaires soient prestées sur demande de l’employeur, et il n’y a donc aucune difficulté en cas d’accord exprès de ce dernier. Mais lorsqu’un salarié prétend avoir presté des heures excédant la durée journalière respectivement hebdomadaire de travail, et que cela est contesté par l’employeur, la charge de la preuve pèse sur le salarié. Ce dernier devra non seulement établir qu'il a effectivement presté ces heures supplémentaires, mais qu'il les a prestées avec l'accord de l'employeur, qui peut être exprès ou tacite.

Dans l’affaire commentée, une salariée soutenait que les heures supplémentaires qu’elle affirmait avoir prestées, étaient recensées dans un système officiel de pointage utilisé par l'employeur pour le comptage des heures prestées dans le cadre des différents projets. L'employeur aurait toléré la prestation d'heures supplémentaires pendant une période de sept mois. La pratique d'encodage par la salariée dans le programme des heures prestées aurait duré pendant toute la relation de travail et l'employeur n'aurait jamais enjoint à la salariée d'arrêter de prester des heures supplémentaires, respectivement informé celle-ci que les heures prestées n'étaient pas à considérer comme des heures supplémentaires.

Afin d’établir une acceptation tacite des heures supplémentaires par l’employeur, la salariée avait versé un relevé d’heures supplémentaires établi sur base de données qu'elle reconnaissait avoir elle-même encodées dans le système de l’employeur consacré aux projets.

L’employeur avait produit le même relevé d’heures que celui produit par la salariée, mais il l’avait versé « pour illustrer à quoi ressemblerait le programme » litigieux.

Afin de contester l'existence d'un prétendu accord tacite au sujet de la prestation d'heures supplémentaires, l’employeur a affirmé que :

i)               il ne dispose pas d’un système de pointage des heures prestées par les salariés pour l’établissement des fiches de salaire ;

ii)             le système à partir duquel la salariée avait établi le relevé d’heures qu’elle a versé à la Cour n'était pas un système de pointage d'heures prestées ;

iii)             le système était un programme ayant pour finalité le contrôle et la facturation de projets aux clients. Il n'a donc jamais exigé de ses salariés qu’ils encodent les tâches administratives dans le système, et les heures non explicitement attribuées à des projets n’auraient pas été évaluées par le management dans le cadre de la facturation. Le raisonnement de la salariée aboutirait à discriminer les salariés n’ayant pas encodé les tâches administratives, justement parce que l’employeur ne l’exigeait pas ;

iv)            il n’a jamais effectué le moindre contrôle du fichier issu du système ;

v)              la salariée disposait des codes d’accès au système, ceci lui permettant à tout moment et à son gré d’encoder dans le système, respectivement de modifier les données du système : il n’existerait donc aucune garantie quant aux dates précises d’encodage dans le système ;

vi)            le relevé d’heures unilatéral versé par la salariée n’avait pas de valeur probante.

 

L’un des apports de cette décision, est que la Cour d’appel a clairement expliqué les différences entre une pointeuse, et un système servant à la facturation des clients :

·       Pointeuse : « lorsque les heures de travail des salariés sont enregistrées par des pointeuses, un employeur vérifie nécessairement régulièrement à la fin de chaque mois les fiches de pointeuses des employés afin de vérifier si le nombre d'heures de travail obligatoire a été presté. Dans ce cadre, il constate nécessairement la prestation d'heures au-delà du travail normal et peut, le cas échéant, être amené à avertir un salarié que de telles heures, prestées de l'initiative du salarié, ne seront pas rémunérées et que le salarié ne doit pas dépasser les heures de travail prévues dans le contrat de travail ». 

·       Système de facturation des clients : « Si, comme l'employeur l'affirme en l'espèce, le système SY.1.) était destiné à la facturation de projets uniquement, il n'a pas nécessairement vérifié de manière régulière le nombre d'heures presté par la salariée, mais uniquement le nombre d'heures que celle-ci a consacré à tel ou tel projet en particulier ».

 

La Cour d’appel a relevé que la salariée ne rapportait pas la preuve que :  

i)               le système litigieux était un système de pointage des heures prestées par les salariés ;

ii)             chaque jour, elle avait soumis le relevé d'heures prestées à l'employeur ;

iii)            l’employeur était tenu de contrôler à échéances régulières le relevé des heures encodées dans sa globalité, ce dans l'optique d'une véritable vérification du nombre d'heures prestées par la salariée.

 

Le relevé d’heures litigieux ne constituait donc pas une preuve des heures supplémentaires alléguées.

 

Partant, la Cour d’appel a considéré que la salariée ne prouvait pas que l'employeur avait connaissance de ce qu'elle avait presté des heures supplémentaires, et en quel nombre, et que la salariée était mal fondée à invoquer une acceptation tacite par l’employeur des heures supplémentaires qu'elle affirmait avoir prestées.

La Cour a donc décidé que la demande de la salariée en paiement des heures supplémentaires qu’elle prétendait avoir prestées avec l’accord tacite de l’employeur, était non fondée.

 

En conclusion, cet arrêt confirme la jurisprudence constante en la matière, en vertu de laquelle le salarié supporte la charge de la preuve des prétendues heures supplémentaires, en cas de contestation par l’employeur.

Il est rappelé que l’employeur est tenu d’inscrire sur un registre spécial ou sur un fichier le début, la fin et la durée du travail journalier ainsi que toutes les prolongations de la durée normale du travail, les heures prestées les dimanches, les jours fériés légaux ou la nuit ainsi que les rétributions payées de l’un ou de l’autre de ces chefs. Ce registre ou fichier est à présenter à toute demande de la part des agents de l’Inspection du travail et des mines.

En dernier lieu, il convient de rappeler que les problématiques afférentes à la durée du travail ne concernent en principe pas les cadres supérieurs.

Cour d’appel, 1er juillet 2021, n°CAL-2019-00797 du rôle.

Article L.211-22 du Code du travail.

Article L. 211-29 du Code du travail.

Voir notamment : article L. 211-3 point 6 du Code du travail (concernant la durée du travail), article L. 211-27 (5) du Code du travail (concernant les heures supplémentaires), et article L. 231-1 al.2 du Code du travail (concernant le travail dominical).