«Nous avons pris une seule décision après ces conversations: les deux partenaires veulent absolument préserver le triple A et ne feront rien qui puisse remettre en question ce triple A. Pourquoi est-ce important? Parce que si l’État doit aller emprunter, qu’on puisse bénéficier d’un taux raisonnable.» Devant le château de Senningerberg, la plénière de négociation des deux partenaires, le CSV et le DP, termine sa première courte semaine. Le formateur, , explique pourquoi les deux partis ont décidé par-dessus tout de préserver le triple A du pays.
«Nous allons regarder les tendances de la dette. La dette ne doit pas continuellement augmenter, mais il faut aussi regarder la nature de la dette. Il y a une grosse différence entre la dette d’investissement pour le futur du pays et la dette qui finance les dépenses courantes. Nous étudierons aussi la capacité de remboursement de la dette», dit-il. Il n’y a plus que huit autres pays, en dehors du Luxembourg, à bénéficier du plus haut niveau de confiance des agences de notation.
Si la Trésorerie de l’État avait placé avec un succès, fin février, une émission obligataire de trois milliards d’euros (1,25 milliard d’euros à 10 ans et à 3% et 1,75 milliard d’euros à 20 ans et à 3,25%), l’État a aussi remboursé début juillet un emprunt de deux milliards de 2013. La dette publique atteignait 17,2 milliards d’euros au 30 septembre, selon le Trésor.
Emploi en baisse, retraités en hausse
À l’issue des discussions avec les grands argentiers de l’État, le formateur retient d’autres nouvelles plutôt négatives, qui vont encore rogner sur sa marge de manœuvre.
«La situation est très difficile, la situation macro-économique n’est pas bonne», explique-t-il. «Le Statec pense que les chiffres qu’ils ont présentés il y a quelques mois ne seront plus justes d’ici la fin de l’année et que nous arriverions dans une stagnation, voire une situation de régression. Cela reflète ce qui passe dans une série de pays autour de nous. Une situation très difficile qui se reflète au niveau des finances nationales. Nous avons un décalage. Mais même là, les spécialistes des finances disent que la situation en fin d’année pourrait être bien pire que celle qu’ils décrivaient au printemps. Il y a des influences extérieures, comme la guerre ou les prix de l’énergie, mais aussi une série de décisions qui ont été prises au niveau national, dans le contexte notamment de la tripartite qui vont peser sur le budget.»
«Pour l’année 2023, le déficit sera plus élevé qu’anticipé», conclut-il pour ce volet, avant d’en attaquer un autre, aussi peu réjouissant.
«Nous avons aussi écouté la Sécurité sociale et l’Adem. L’évolution de l’emploi est moins positive qu’elle a été dans les années précédentes, ce qui a d’autres répercussions. Le nombre des retraités et de ceux qui vont partir en retraite dans les années qui viennent va croître plus vite que celui des gens qui arrivent sur le marché du travail.» Cela percute une autre donnée, moins souvent mise en lumière: la dette «implicite» de l’État. Année après année, l’État prend des engagements qu’il doit tenir à terme, comme les retraites justement. Cette dette implicite, nous l’avions fait estimer par les économistes de PwC dans le cadre des débats que Paperjam a organisés en amont des élections législatives. Le résultat donne le tournis. Si la dette est aujourd’hui à 24% du PIB, la dette cachée est de 495% du PIB, nettement plus élevée que celle de nos voisins (274% pour la Belgique, 113% pour la France et 105% pour l’Allemagne).
En 2022, pour la première fois, il a fallu prélever 2,6 milliards d’euros dans la réserve pour financer les retraites, ce qui a fait baisser le coefficient de référence de 5,2 à 4,3 – ce chiffre étant le ratio entre la réserve et le besoin annuel exprimé en années de réserve. À 4,3, le Luxembourg reste très bien placé par rapport à ses voisins, mais les besoins vont s’accélérer…
La Place financière observée de près
Dès vendredi soir et ce samedi matin, des observateurs annonçaient déjà la fin de l’allègement fiscal pour tous promis par le Spetzenkandidat du CSV, Luc Frieden. Comme si cet amateur de chiffres n’avait pas déjà tenu compte des prévisions négatives du Statec, de la BCE et d’autres experts. Cette promesse-là devra être prioritisée par rapport à certains autres de ses engagements, comme revenir à un taux nominal de la fiscalité des entreprises plus près de la moyenne ou comme recommencer à faire les yeux doux à la Place financière.
De cela, il a parlé aussi vendredi soir devant le Château, où les réunions en petits groupes se poursuivent ce week-end. «Un budget provisoire sera présenté au Parlement, pour que le prochain gouvernement qui sera en fonction dans les prochaines semaines ou mois puisse présenter un nouveau budget qui soit appuyé sur des chiffres plus près de la réalité. Par exemple, qui permettent de voir l’influence des taxes sur le secteur financier. Il est encore trop tôt pour faire des prévisions pour 2024.»
L’influence des taxes sur le secteur financier. En pleine compétition avec Dublin, Paris ou Francfort, s’il veut continuer à s’appuyer sur ce secteur d’activité, le Luxembourg doit redonner du «mou», en général à tous les acteurs financiers et en particulier à ceux qui ont de la substance au pays et ont donc dû aussi supporter les indexations à répétition. Les finances publiques sont très dépendantes des recettes de la place financière. En 2021, selon les chiffres du Conseil économique et social, celle-ci payait 79,7% de l’impôt sur le revenu des collectivités, 85% de l’impôt sur la fortune et 74,5% de l’impôt commercial communal. Sans parler du milliard d’euros (par an sur les trois années 2018, 2019 et 2020) de la taxe d’abonnement.
«Je ne peux pas entendre de promesses d’allègements fiscaux si nous n’avons pas de marge de manœuvre budgétaire pour les assumer», avait indiqué , un soir de septembre dans un débat à la Chambre de commerce, au sujet des promesses de campagne de Luc Frieden, appelant à redresser la barre économique et financière avant d’imaginer ces «cadeaux» attendus dans un contexte de hausse des carburants, des charriots alimentaires dans les supermarchés et du coût du logement. L’homme de la rue n’a plus les moyens d’être patient…