Depuis les Émirats arabes unis, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn (au centre), a suivi avec attention le dossier ukrainien. (Photo: SIP/Jean-Christophe Verhaegen)

Depuis les Émirats arabes unis, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn (au centre), a suivi avec attention le dossier ukrainien. (Photo: SIP/Jean-Christophe Verhaegen)

En voyage aux Émirats arabes unis avec le Grand-Duc Henri, Jean Asselborn, le ministre des Affaires étrangères, a évidemment suivi de très près le dossier ukrainien. Il demande aux entreprises désireuses d’aider de se rapprocher de la Croix-Rouge et de Caritas.

Vous étiez durant trois jours aux Émirats arabes unis pour y accompagner le Grand-Duc Henri, mais vous avez beaucoup travaillé en parallèle sur le dossier ukrainien. Où en est-on au Luxembourg en ce qui concerne l’accueil des réfugiés?

. – «Nous avons enregistré  environ 3.600 demandes de protection temporaire, par mail, surtout des femmes et des enfants, ces derniers à eux seuls constituant 38% des arrivants. Cela en plus des 5.000 personnes qui constituent l’immigration ‘normale’. 

Qu’en est-il de l’hébergement, mesure à assurer en urgence?

«Heureusement que nous pouvons compter sur 600 lits à Luxexpo, dans le Hall 7. 180 personnes s’y trouvent pour le moment. C’est grand, les enfants ont de la place. Mais cela ne peut être que temporaire et nous devons penser à l’après. À Contern, nous avons 500 lits, mais qui ne seront disponibles, pour des raisons de sécurité, que dans six à huit semaines. On dispose d’autres solutions en 17 autres endroits, dans des hôtels, des campings… Mais quand la saison touristique va reprendre, il faudra à nouveau trouver d’autres solutions.

Combien de personnes ont reçu une protection temporaire?

«600 ont obtenu ce statut, valable un an et renouvelable une autre année. 70 à 80 dossiers sont traités par jour. 13 personnes y travaillent, mais aussi des traducteurs, la police judiciaire et d’autres encore.

Beaucoup de personnes se mobilisent, mais des entreprises aussi. Comment peuvent-elles le faire de manière efficace?

«Il faut s’adresser à la Croix-Rouge et Caritas, ou à Zesummen. Ce sont des opérateurs intégrés qui savent ce dont on a besoin. Je comprends l’élan spontané de générosité, mais il ne faut pas que cela finisse mal. On voit arriver à Luxexpo des familles accueillies dans des foyers un certain temps avant que cela se passe moins bien.

Cette guerre est un échec de la diplomatie.
Jean Asselborn

Jean Asselbornministre des Affaires étrangères

Êtes-vous inquiet par rapport à la situation géopolitique?

«Oui, je me pose des questions et je suis inquiet. Je connais bien la Moldavie, la Géorgie… J’ai des craintes.

Peut-on parler, avec cette guerre, d’un échec de la diplomatie européenne?

«Certainement, car les règles de la diplomatie ont été inopérantes. C’est en réalité un échec de la démocratie tout court. La diplomatie, c’est une histoire qui se joue entre des hommes et des femmes. Avec qui actuellement peut-on faire de la diplomatie en Russie?

Le ministre des Affaires étrangères expérimenté que vous êtes doit être très touché par cette situation…

«Tous ces mensonges… C’est une grande déception. Je suis écœuré. On a tout fait pour trouver une solution, on a discuté au sein du Conseil Otan-Russie, mais rien n’a fonctionné.

Quelles sont les issues pour sortir de ce conflit?

«Il est évident que l’Otan ne va pas intervenir militairement, ce n’est pas possible et ultrasensible. Par exemple, si l’on instaure une ‘no-fly zone’ en Ukraine, qui va la surveiller? Évidemment que ce sera l’Otan, mais avec quelles conséquences. Il faut que les sanctions opèrent.

L’Ukraine pose des gestes positifs et ne souhaite ainsi plus intégrer l’Otan?

«Mais il n’en était pas question. Cela a été évoqué en 2008, mais jamais mis en œuvre. Cette affaire d’Otan, c’est un prétexte pris par Poutine, c’est tout.

Vous avez rencontré Vladimir Poutine plusieurs fois…

«Deux fois, à Luxembourg et à Moscou, en 2008. Je me souviens qu’il y avait deux choses qui le blessaient. D’abord, nous disait-il, le fait que la Russie n’était pas reconnue sur la scène internationale comme elle l’aurait mérité. Ensuite, il se plaignait de Gorbatchev, disant que par sa faute des millions de Russes n’avaient plus de pension. Je crois que tout cela est resté en lui durant des années et, qu’avec l’âge, on assiste à cette guerre en Ukraine.

Les Émirats arabes unis ne sont pas du côté de Poutine.
Jean Asselborn

Jean Asselbornministre des Affaires étrangères

Quel regard portez-vous maintenant sur lui?

«Poutine est le pur produit d’un système qui n’est plus démocratique, où la liberté de la presse n’existe plus, ou la justice n’est plus indépendante… D’un réformateur, il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. J’ai la même impression avec Erdogan, rencontré une première fois en 2004 et qui a beaucoup changé. Chez Poutine, on peut deviner des moments de bascule. Le Kosovo en premier lieu, puis la guerre de Géorgie, la Crimée, enfin… Pour en arriver au conflit en Ukraine. Vladimir Poutine a en réalité peur de la démocratie, de l’état de droit et de ses valeurs, et il n’en veut pas près de la Russie.

Vous avez rencontré aux Émirats arabes unis le prince héritier d’Abu Dhabi et commandant suprême adjoint des forces armées, Mohammed ben Zayed Al Nahyane. La position ambiguë du pays – en faveur d’une condamnation de l’attaque russe lors de l’assemblée générale de l’Onu, mais une abstention au Conseil de sécurité – a-t-elle été évoquée?

«Le contexte de la rencontre était particulier, avec 300 personnes, dont huit ou neuf ministres. Mais j’ai en effet évoqué ce dossier ukrainien. Pour les Émirats, la situation est complexe. Le 17 janvier, Abu Dhabi a été touchée par des missiles dont les Émirats estiment qu’ils ont été tirés par les rebelles yéménites houthistes. Il y a eu trois morts, de gros dégâts. Le Prince nous a fait comprendre que la condamnation de cette attaque, notamment de la part des États-Unis, n’avait pas été à la hauteur. Il y a donc un contentieux à ce niveau, une grande déception pour les Émiratis. Dans ce dossier, c’est leur relation avec les Américains qui est déterminante.

Sont-ils du côté de Poutine?

«Non, ils ne le sont pas et l’ont bien dit.»