«En travaillant avec les entreprises, on constate en effet que certaines activités reposent encore sur de nombreux processus manuels qui, à l’évidence, montrent aujourd’hui leurs limites», relève Stanislas Chambourdon. (Photo: KPMG)

«En travaillant avec les entreprises, on constate en effet que certaines activités reposent encore sur de nombreux processus manuels qui, à l’évidence, montrent aujourd’hui leurs limites», relève Stanislas Chambourdon. (Photo: KPMG)

Quels seront, en 2021, les principaux enjeux des suites de la crise pour la place financière? Sur invitation de Paperjam, plusieurs experts répondent à cette question. Stanislas Chambourdon, head of sales & markets de KPMG Luxembourg, estime que le maintien de la compétitivité du Luxembourg passera par une accélération de la transformation digitale et une nouvelle conception du travail, devenu plus modulaire. 

On ne peut pas encore garantir que 2021 sera l’année au cours de laquelle nous mettrons un terme à l’épisode du Covid-19. Mais s’il y a une chose que l’on peut constater en regardant dans le rétroviseur, c’est bien que le Luxembourg a toujours été capable de se réinventer et de rester compétitif, quelles que soient les crises ou les attaques que le pays subissait.

L’année 2020 a, à nouveau, été l’occasion de voir à l’œuvre cette capacité d’adaptation rapide du Grand-Duché. Les acteurs de l’économie luxembourgeoise ont en effet, pour la plupart, témoigné d’une grande maturité technologique. Ils ont par ailleurs adopté le télétravail avec une célérité et une efficacité incontestables. Cette attitude résiliente a permis de maintenir l’activité économique à flot, au cœur de la tourmente.

Une réflexion sur le «core» et le «non core»

Mais si le pays veut maintenir sa compétitivité, dans un contexte où la compétition entre places financières est amenée à devenir de plus en plus féroce, il faudra parvenir à accélérer cette transformation digitale au cours des prochaines années. En travaillant avec les entreprises, on constate en effet que certaines activités reposent encore sur de nombreux processus manuels qui, à l’évidence, montrent aujourd’hui leurs limites. Plutôt que d’imaginer tout digitaliser en interne, il est peut-être plus judicieux, dans ce contexte, de mener une réflexion poussée sur ce qui fait la valeur, le cœur de métier, de chaque entreprise. Ce qui est défini comme le «core business» devra être conservé et digitalisé si nécessaire, tandis que le «non core» pourra être externalisé.

Un autre enjeu, lié à la digitalisation, sera de mieux partager les données entre acteurs qui sont amenés à travailler ensemble. Assureurs, banque dépositaire, banquier privé et les régulateurs, par exemple, gagneraient à s’accorder sur un référentiel commun de partage des données, afin d’en réduire le coût opérationnel et d’améliorer leur efficacité.

Si certains imaginent qu’ils perdraient en compétitivité en agissant de la sorte, qu’ils se détrompent: cette pratique serait au contraire créatrice de valeur pour tous. Une meilleure gestion des données permettrait par ailleurs de mieux connaître ses clients et de communiquer proactivement à travers des canaux digitaux avec eux. Dans une démarche centrée sur le client, cette attention portée à la donnée est une réelle plus-value.

Une culture du digital, grâce à l’éducation

Mais pour accélérer la transformation digitale des organisations, il faudra inculquer la culture de l’innovation dans les esprits non seulement des collaborateurs, mais aussi du management. Pour cela, il est essentiel de former les nouvelles générations, dès l’école, à la technologie et à l’innovation.

Pourquoi, par exemple, ne pas créer des filières entièrement dédiées à la technologie dans les écoles et universités luxembourgeoises? Grâce à sa position centrale en Europe et à ses autres atouts, le Grand-Duché pourrait, toutes proportions gardées, devenir un équivalent européen du fameux Massachusetts Institute of Technology.
Stanislas Chambourdon

Stanislas Chambourdonhead of sales & marketsKPMG Luxembourg

Demain, la plupart des métiers auront un lien avec les technologies, l’intelligence artificielle, la gestion de la donnée, etc. À cet égard, je pense que des opportunités existent au Luxembourg. Pourquoi, par exemple, ne pas créer des filières entièrement dédiées à la technologie dans les écoles et universités luxembourgeoises? Grâce à sa position centrale en Europe et à ses autres atouts, le Grand-Duché pourrait, toutes proportions gardées, devenir un équivalent européen du fameux MIT (Massachusetts Institute of Technology).

L’éducation ne suffira toutefois pas. Les investissements consentis par les acteurs économiques par rapport aux nouvelles technologies doivent également croître. C’est en réalité un écosystème technologique complet qui doit être créé au Luxembourg, auquel l’État peut aussi participer. Le but est en effet de bien positionner le pays sur des axes forts, avec des services à la pointe qui dépassent le simple back-office, et de permettre au Luxembourg de devenir un «hub» européen technologique.

L’humain, la force de la place financière

Si les outils digitaux se sont montrés précieux au cours des mois qui viennent de s’écouler, l’humain ne doit pas être oublié, surtout dans une perspective d’accélération de la transformation digitale. Les ressources humaines constituent en effet l’une des principales forces de la place financière luxembourgeoise.

Le Covid a toutefois complètement bousculé nos habitudes de travail, et de nouveaux modèles sont amenés à émerger. On a constaté qu’il était possible de gérer des équipes à distance, d’éviter des heures perdues dans les bouchons et, éventuellement, d’entrevoir une solution au manque de logements à certains endroits du pays. Demain, il sera impossible de faire l’économie d’une réflexion sur le lieu de travail, sur les horaires, sur la mobilité. Pour fidéliser et attirer les collaborateurs, une plus grande modularité devrait devenir la règle.

Certes, des défis se présentent donc pour le pays au cours des prochaines années. Mais de nombreuses opportunités résulteront également de la crise, par exemple celle de la finance verte, que le Luxembourg a déjà commencé à saisir. Un écosystème dédié à la finance durable est en effet déjà en place dans le pays, notamment le Luxembourg Green Exchange, et le fait d’être l’une des premières Places à se positionner sur le sujet nous apporte un réel avantage compétitif.

L’optimisme est donc de mise pour le futur de la place financière luxembourgeoise. Le Covid a certes été et reste un moment difficile à vivre, mais il a aussi permis de remettre en cause de nombreux statu quo, notamment concernant nos façons de travailler. Grâce à sa capacité de réaction hors norme, le Luxembourg devrait sortir plus fort de la crise.