Non, nous ne voulons pas d’un superviseur UE unique des marchés financiers. Le ministre des Finances, (CSV), a réitéré la position du Luxembourg à l’occasion de la réunion de l’Eurogroupe, le 13 mai. D’autres États membres ont fait valoir un point de vue similaire, en réponse à .
Ce dialogue de sourds a pour toile de fond les discussions sur les efforts à fournir pour intégrer les marchés de capitaux européens, avec l’objectif de libérer leur potentiel pour financer les entreprises et l’économie. Parmi ces efforts, on évoque la progression vers une surveillance plus intégrée dans le domaine des valeurs mobilières. En clair, après avoir centralisé la surveillance des banques, l’UE envisage de faire de même pour les bourses ou les gestionnaires d’actifs.
Concrètement, cela implique de renforcer les pouvoirs de surveillance directe de l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma). Pour l’heure, son rôle de supervision directe se limite à une poignée d’agences de notation. L’instance basée à Paris joue principalement un rôle, d’une part, de coordination entre les différentes autorités nationales, et d’autre part, de production réglementaire – en vue de standardiser et d’harmoniser les pratiques au sein de l’UE.
«Un équilibre délicat»
Au Luxembourg, la principale concernée par cette possible réorganisation des pouvoirs, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), ne prend pas position. «De manière générale, la CSSF ne commente pas des annonces faites par des institutions européennes ou par des chefs d’État d’autres États membres de l’UE», fait savoir le gendarme.
Le message-clé est donné par le ministère des Finances: le système actuel fonctionne. «Même en l’absence de surveillance centralisée, l’UE a déjà mis en place, avec les Autorités de surveillance européennes (les Esa), une architecture de surveillance extrêmement intégrée, qui va bien au-delà du système en place pour d’autres secteurs du marché intérieur», argumentent les services de Gilles Roth.
Même si la surveillance quotidienne est laissée aux autorités nationales, l’Esma exerce une influence réelle, selon le ministère: «Les Esa sont dotées de pouvoirs de convergence très puissants, qui leur permettent d’évaluer les travaux des autorités de surveillance, de trancher des différends et de sanctionner des cas de non-respect du cadre réglementaire applicable. S’appuyant sur les expériences et l’expertise des autorités de surveillance nationales, ce système est basé sur un équilibre délicat entre pouvoirs de contrôle et inclusivité. Il permet d’assurer une interprétation uniforme du cadre réglementaire applicable, tenant compte des spécificités des marchés et des différents contextes locaux qui existent au sein de l’UE.»
Un superviseur supranational ne garantit pas une meilleure gestion des risques.
«Veillons à ne pas complexifier inutilement le système de supervision déjà en place», renchérit l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL), par la voix de son CEO, . «Bien que nous soutenions l’idée d’une union des marchés de capitaux, nous devons discuter encore de la manière dont celle-ci devrait être structurée. Le principal risque, avec un superviseur UE unique des marchés financiers, c’est d’ajouter une couche supplémentaire de supervision – donc d’engendrer des frais supplémentaires – sans améliorer cette supervision. La CSSF démontre déjà une grande compétence. Ajouter un superviseur supranational ne garantit pas une meilleure gestion des risques.»
Mais pourquoi ne pas soumettre les acteurs des marchés financiers à une centralisation déjà effective pour les grandes banques? «La centralisation de la supervision a tout son sens pour les banques systémiques car elles jouent un rôle de transformation de l’épargne publique. Le gestionnaire d’actifs, lui, joue un rôle fiduciaire: mettre en relation investisseurs et actifs. On n’est pas du tout en présence des mêmes risques», fait valoir le CEO de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi), .
Pour le représentant de l’industrie des fonds, cette question d’un superviseur unique ne répond pas au véritable enjeu: la mobilisation de l’épargne dormante (plus de 10.000 milliards d’euros en comptes courants et comptes d’épargne) sur les marchés de capitaux européens.
Les gestionnaires d’actifs font face à des réglementations protectionnistes.
Serge Weyland prend l’exemple des gestionnaires d’actifs européens: «Ils font face à des réglementations nationales protectionnistes. Lorsqu’un gestionnaire lance un fonds de private equity visant les PME européennes, il doit créer un fonds luxembourgeois, mais aussi un fonds de droit français pour être éligible à l’assurance-vie en France, un fonds de droit espagnol pour bénéficier d’avantages fiscaux… Cela engendre des coûts supplémentaires et une complexité qui nuisent à la compétitivité. Un régulateur unique ne changerait pas cette situation car il n’aurait pas l’autorité pour modifier les législations nationales, comme le code des assurances en France ou les politiques fiscales en Espagne.»
Des critiques qui n’ébranlent pas les Français. «Nous sommes dans une phase d’explication de notre approche. Nous voulons avancer avec les Luxembourgeois dans ce dossier», dit-on au cabinet du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Où l’on cite un objectif partagé: que l’union des marchés de capitaux figure en tête du programme de travail de la prochaine Commission européenne.
Sur le fond, Bercy ne lâche rien: «L’UE doit se doter d’une supervision plus unifiée, comme aux États-Unis. On a consenti un très gros effort sur la réglementation, qui est davantage harmonisée aujourd’hui au niveau européen. Mais on est confronté à des modes de supervision très différents d’un pays à l’autre.»
Seulement pour les grands acteurs
Pas question de créer «le Moscou de la supervision», insiste l’entourage de Bruno Le Maire. «Primo, il ne s’agit pas de centraliser toute la supervision, mais seulement celle des grands fonds et infrastructures de marché qui opèrent à l’échelle transnationale. Deuxio, il ne s’agit pas d’écraser les autorités nationales: nous souhaitons suivre le modèle de l’union bancaire, où des équipes communes de superviseurs nationaux et européens collaborent. Tertio, il ne s’agit que de supervision, pas d’amoindrir la concurrence entre centres financiers.»
Et pourquoi mettre les gestionnaires d’actifs au même régime que les banques? À Bercy, on en convient: les risques ne sont pas identiques. «Néanmoins, les fonds d’investissement, par exemple, présentent des risques de liquidité qui peuvent être systémiques. Et c’est aussi une question de fluidité du marché: aujourd’hui, pour pouvoir distribuer un fonds à travers l’UE, vous devez obtenir le tampon de chaque superviseur national et vous adapter à sa réglementation de commercialisation. D’où l’intérêt d’une supervision centralisée.»