Située au 57 Grand-Rue, Cop Copine a fermé ses portes au début de cette année suite à un redressement judiciaire de l’enseigne française. (Photo: Maison Moderne)

Située au 57 Grand-Rue, Cop Copine a fermé ses portes au début de cette année suite à un redressement judiciaire de l’enseigne française. (Photo: Maison Moderne)

De Camaïeu à Cop Copine en passant par Go Sport, de nombreuses enseignes de prêt-à-porter disparaissent du paysage commercial. Éclairage sur les raisons de cette déroute.

«Chères clientes, c’est avec une grande tristesse que nous vous annonçons la fin de l’aventure Cop Copine, après 37 ans de création placée sous le signe de l’originalité et du savoir-faire à la française»: le volet est tombé sur le 57 Grand-Rue à Luxembourg qui accueillait jusqu’au début de cette année 2023 la boutique Cop Copine.

L’enseigne placée en redressement judiciaire depuis novembre 2022 n’a trouvé qu’une offre partielle de reprise, condamnant au moins 25 des 48 succursales du groupe spécialisé dans le prêt-à-porter féminin. Celle de Luxembourg en fait les frais.

En 2020, une autre enseigne de ce segment a disparu au Grand-Duché: , faute là aussi de repreneur. , la chaîne présente en France, a elle été placée en redressement judiciaire.

Une polarisation du marché

Ces marques sont toutes situées au milieu de la gamme, dans un marché en voie de polarisation entre d’un côté les géants de la fast fashion et de l’autre les enseignes de luxe.

D’un côté, les boutiques H & M (sept points de vente au Grand-Duché), Zara (trois points de vente) et Primark (présent à Metz, Saarbrücken et bientôt Longwy) parviennent à renouveler rapidement leurs collections. Sans oublier les géants de l’e-commerce comme Shein qui est particulièrement agressif sur les prix.

Il y a trop d’enseignes et trop de points de vente.

Vincent Chabaultsociologue

De l’autre côté de la pyramide, une clientèle plus large – en témoignent les files observées devant de nombreuses boutiques lors du déconfinement – mais qui attire aussi l’appétence des consommateurs pour des pièces réputées iconiques et intemporelles, pouvant donc traverser les époques sans risquer d’être démodées. Cette volonté de consommer autrement, les enseignes milieu de gamme en pâtissent, elles qui avaient déjà été très malmenées ces dernières années.

«Il y a trop d’enseignes et trop de points de vente. En 2000, il y avait à peu près 5.000 points de vente pour les 20 premières enseignes de prêt-à-porter, quand en 2020 on en comptait 8.500», observe Vincent Chabault, le sociologue et auteur du livre «Éloge du magasin», dans les colonnes de l’hebdomadaire Marianne.

L’épineuse question des loyers

En investissant pour démultiplier les points de vente, ces enseignes milieu de gamme ont vraisemblablement voulu aller à la rencontre des clients, alors que ceux-ci ont de toute évidence changé leur façon de consommer. Les ventes en ligne sont une réalité, mais à double tranchant pour les enseignes, car celles qui s’y font une place rencontrent des coûts de retours élevés tandis que celles qui tournent le dos au web perdent en visibilité.

Les grands acteurs de la fast fashion peuvent faire le poids, car ils ont les capacités humaines, financières et techniques de se digitaliser et de continuer à être attractifs.
David Angel

David Angelsecrétaire centralOGBL Commerce

«Les grands acteurs de la fast fashion peuvent faire le poids, car ils ont les capacités humaines, financières et techniques de se digitaliser et de continuer à être attractifs. C’est en revanche beaucoup plus compliqué pour les marques milieu de gamme», observe David Angel, secrétaire central au syndicat Commerce de l’OGBL. Ce dernier dit suivre de près ces évolutions du marché, qui mènent à des suppressions de postes. Toutefois, la demande en main d’œuvre reste prononcée pour l’ensemble du secteur, précise-t-il.

Et d’ajouter que «le milieu de gamme a davantage de difficultés, notamment face au niveau élevé des loyers au Luxembourg». Dans son dernier rapport, l’agent immobilier d’entreprise CBRE souligne que «les nouvelles enseignes éprouvent des difficultés à pénétrer le marché luxembourgeois à cause du manque de surfaces commerciales de qualité»; entendez par-là qui répondent à leurs critères. Les surfaces en Ville-Haute sont exigües, ce qui pousse certaines enseignes à se rabattre sur des localisations secondaires. «Le vent tourne pour des localisations telles que l’avenue de la Gare dans le quartier de la Gare», avance CBRE. L’an dernier a vu l’arrivée de l’enseigne sur l’artère, avant l’inauguration de projets d’envergure dans le quartier comme et le .

La consommation a évolué

La conscientisation environnementale couplée à la pression inflationniste font en revanche les affaires des plateformes de vente de , qui raflent aujourd’hui un marché pourtant de l’ordre de la niche avant le Covid.

Des voix s’élèvent aussi pour évoquer l’impact du télétravail – pourvoyeur de tenues d’intérieur au détriment des tenues de ville – mais aussi de la standardisation des tissus commerciaux à cause du maillage toujours plus fort de certaines enseignes, sans oublier les nouvelles habitudes de consommation prises dans la foulée de la crise sanitaire.


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Place au «retail apocalypse»

Le contre-coup est aussi violent. Le géant de la vente en ligne d’articles de prêt-à-porter Zalando a annoncé à son personnel, en ce mois de février 2023, son intention de supprimer des centaines d’emplois après le pic des ventes observé pendant la pandémie.

Pouyuen Vietnam, un sous-traitant de Nike et Adidas, s’apprête lui à licencier 6.000 de ses 50.000 travailleurs d’ici à la fin du mois de février face à «un carnet de commandes très faible en 2023», évoquent plusieurs médias. 

Bref, il semble que cet amenuisement de la demande pour le milieu de gamme soit parti pour durer. Aux États-Unis, ce phénomène s’appelle même «retail apocalypse» et est en cours depuis une dizaine d’années, selon Vincent Chabault.