«Initialement, le crédit-relais n’est pas un instrument de spéculation. Mais compte tenu de l’augmentation très importante des prix, il en était, de fait, devenu un. Et évidemment, en 2022-2023, cette stratégie s’est effondrée parce que les prix n’ont plus continué à augmenter, mais ont, au contraire, baissé assez significativement et là, la situation s’est dégradée.» C’est ainsi que le chercheur du Liser, Julien Licheron, analyse la dernière réponse parlementaire consacrée aux prêts-relais, publiée ce jeudi 10 avril.
Interrogé par le député (Pirate Partei), le ministre des Finances (CSV) explique qu’«en termes de nouveaux prêts hypothécaires, le flux de nouveaux prêts-relais a atteint un pic au second semestre 2022 à 593 millions d'euros. Ils ont ensuite chuté jusqu'au deuxième semestre 2023, où ils ont atteint un point bas à 170 millions d'euros. Au premier semestre 2024, ils ont recommencé à grimper pour atteindre 186 millions d'euros. Leur volume reste donc inférieur à leurs valeurs historiques.» La baisse entre 2022 et 2023, a donc été d’environ 70%.
Instrument de spéculation
Mais comment le pays avait-il pu atteindre des volumes si élevés de prêts-relais? «C’était devenu un instrument de financement, un peu classique au Luxembourg, pour l’achat d’un nouveau bien immobilier, en pariant sur l’augmentation des prix. En clair, cela voulait dire acheter un bien à une date ‘t’ et vendre l’autre bien, celui que l’on détient déjà, à une date ‘t+1’ par exemple au bout d’un an. L’idée était donc d’anticiper une hausse de prix pendant un an, et couvrir ou amortir un peu le supplément de prix du nouveau logement», répond Julien Licheron. «L'avantage induit était d’avoir un instrument qui permettait un peu de spéculer quand on avait un marché sur lequel les prix augmentaient de 10% par an.»
Le crédit-relais est en général utilisé dans deux cas: soit lors de l’achat d’un logement plus cher quand on est déjà propriétaire, soit lors d’une vente en l’état futur d’achèvement (Vefa). «Lorsqu’on achète sur plan, par définition on n’est pas immédiatement propriétaire ou en tout cas détenteur des clefs du nouveau logement. Donc à moins d’être locataire en attendant, l’octroi d’un prêt-relais est quasi indispensable parce qu’on va rester dans le logement qu’on occupe actuellement en attendant la livraison du nouveau. C’était devenu un standard dans le pays. Cela avait le double avantage de permettre d’une, l’achat en Vefa sans avoir à déménager, et pouvoir bénéficier d’une augmentation de prix qui pouvait faire un peu tampon et diminuer le surcoût lié à l’achat du nouveau logement», précise le chercheur du Liser.
Une chute de 20% pour l’ancien
La réponse parlementaire de Gilles Roth montre la chute flagrante des nouveaux prêts-relais à partir du deuxième semestre 2023. «Il n’y en avait quasiment plus qui étaient octroyés. Les gens n'avaient plus de certitude sur l'évolution future des prix donc acheter aujourd'hui et revendre l'autre bien demain était risqué parce que cela voulait dire éventuellement une perte sur le bien que l'on va revendre. Les Vefa se sont aussi effondrées, entraînant la chute des nouveaux prêts-relais, tout est lié. Sur la question de la Vefa on avait un problème de prix également, parce que c’était un marché qui avait besoin d’une correction. Les prix étaient sans doute trop élevés par rapport au nouveau pouvoir d'achat généré par la hausse des taux. Sans oublier un problème de confiance dans le marché et dans les acteurs, avec l’inquiétude de savoir si le promoteur allait être capable de livrer, de livrer dans les délais, et de tenir les coûts. Tout cela générait une incertitude importante», ajoute Julien Licheron.
Ces derniers mois, la tendance s’inverse, avec un rebond remarquable au quatrième trimestre 2024 du marché immobilier, porté par la baisse des taux hypothécaires et un soutien gouvernemental renforcé. Pour preuve, le volume total des prêts immobiliers décaissés au quatrième trimestre 2024 a atteint 1,6 milliard d’euros, enregistrant une hausse de 31% par rapport au troisième trimestre. «On pourrait l’expliquer de deux manières. Il y a d'abord l'effet volume sur l'ensemble des crédits et ensuite il y a le cas spécifique des crédits-relais. Il y a moins d'incertitude sur l'évolution future des taux d’intérêt. Et ensuite, il ne faut pas oublier que les prix ont baissé assez nettement dans l’ancien, de l’ordre de 15% pour les appartements et de 20% pour les maisons. Les ménages ont donc retrouvé du pouvoir d'achat du fait de la baisse des prix.»
Nous retrouverons une hausse de prix mais plutôt de l'ordre de 3-4% par an, et non plus de 10 ou 15% comme ce fut le cas au plus fort de la hausse des prix.
En ce qui concerne les crédits-relais spécifiquement, l'achat en Vefa retrouve des couleurs, et il y a moins d'incertitude sur l'évolution des prix. «Actuellement, cela fait quatre trimestres de suite qu’il n’y a plus de baisse de prix significative, donc il semble que l'on sort un peu de la crise. Il ne faut pas oublier que l’on a assisté, jusqu’en 2022, à une augmentation considérable des prix. La valeur du premier trimestre 2024 c'est la valeur de mi-2020. Après une très forte envolée des prix, la baisse qui a suivi n'a fait qu'effacer cette augmentation très forte. Ceux qui avaient acheté en 2019-2020, ne sont pas perdants. Ceux qui avaient acheté au plus fort de la crise, en 2022, avec des taux bas mais variables, sont malheureusement vraiment perdants», poursuit Julien Licheron.
Pourrait-on retrouver les niveaux de nouveaux crédits-relais de 2022? «Je pense que oui, mais il faudra du temps, la Vefa n'ayant pas encore repris suffisamment. Sur la question des prix dans l’immobilier, je pense que cette crise a illustré les limites de la capacité d'achat. Nous retrouverons une hausse de prix mais plutôt de l'ordre de 3-4% par an, et non plus de 10 ou 15% comme ce fut le cas au plus fort de la hausse des prix.»
Et plus forte avait été la hausse, plus forte a été la baisse, car selon Eurostat, le Luxembourg a connu la plus forte baisse des prix de l’immobilier au deuxième trimestre 2024 de tous les pays de l’UE.