LuxConnect se retrouve au cœur du développement de cloud souverain qui concerne aujourd’hui le Luxembourg, mais qui, à terme, pourrait concerner d’autres États européens. (Photo: Maison Moderne/Archives)

LuxConnect se retrouve au cœur du développement de cloud souverain qui concerne aujourd’hui le Luxembourg, mais qui, à terme, pourrait concerner d’autres États européens. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Alors que LuxConnect et Proximus faisaient connaître leur partenariat autour d’un cloud souverain luxembourgeois, les deux CEO et le Premier ministre, Xavier Bettel, étaient chez Google, à Mountain View, pour peaufiner un dispositif auquel le géant est associé. Retour sur une annonce importante.

Associer «cloud souverain» et le nom d’un des géants technologiques américains (ou chinois) provoque invariablement des gloussements. Pour faire simple, au fur et à mesure de nos vies numériques, nous écrivons une sorte de «roman numérique» stocké dans «une bibliothèque» – un centre de données. Or le Patriot Act américain prévoit la possibilité et l’obligation pour les fournisseurs de technologie américains de transférer le contenu de ces datacenters, comme la nouvelle loi chinoise a «invité» les sociétés chinoises à participer à l’effort de guerre (économique) chinois.

Un cloud dit «souverain» sous-entend que les données restent sur le territoire de ceux qui les produisent, ici au Luxembourg. Alors lire que , aux ambitions sinon dans toute l’Europe du moins en partie au Benelux, a une nouvelle fois fait sourire.

Pour l’instant, nous avons les capacités pour réaliser ce projet près de chez nous.

Paul KonsbruckCEOLuxConnect

Sauf que pour LuxConnect et pour Proximus sont très clairs: les données resteront sur le territoire luxembourgeois, dans les datacenters de LuxConnect.

«LuxConnect dispose de quatre datacenters sur deux sites (Bettembourg et Bissen) et il s’agit d’infrastructures d’une qualité extraordinaire et des installations techniques des plus hauts standards existants dans le secteur. Il est évident que nous utiliserons notre réseau de fibre et nos datacenters pour ce projet. Pour l’instant, nous avons aussi les capacités disponibles pour réaliser ce projet près de chez nous», fait savoir Paul Konsbruck, par mail, sur le chemin du retour des États-Unis.

Un partenariat de cinq ans de Proximus avec Google

«Pour le lancement du produit, il n’y aura pas de question», renchérit Gérard Hoffmann. «La plateforme cloud souverain sera hébergée au Luxembourg. Après, il faudra évaluer les besoins en Belgique en effet pour des clients qui insisteraient sur une localisation en Belgique. Ceci dit, nous comptons sur la proximité géographique, économique et politique belgo-luxembourgeoise pour servir le marché à partir d’une seule plateforme pour ne pas perdre l’économie d’échelle pour les coûts.»


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Mais à quoi sert le partenariat de cinq ans de Proximus avec Google dans ce mariage au service d’un cloud souverain? «On peut être très clair et transparent sur ce point. Un utilisateur du produit peut être sûr et certain que la plateforme avec les données sera basée dans un datacenter de LuxConnect au Luxembourg et puisqu’il s’agit d’une solution “déconnectée”, il n’existe aucun lien vers Google», explique le CEO de Proximus Luxembourg. «C’est justement cela qui est totalement innovateur: toutes les solutions dites de “confidential computing” qui se qualifient également de “souveraines” restent connectées. Il y a donc lieu de distinguer différents niveaux de souveraineté, et le produit en question se situe donc dans la catégorie la plus élevée.»

Les trois piliers du cloud souverain façon Google

Google a déroulé une stratégie de cloud souverain en trois temps: 2020, le CEO de Google Cloud, Thomas Kurian, livre la vision de la société (); 2021, elle est développée par le vice-président de Google pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, Adaire Fox-Martin (), et la commercialisation a démarré au début 2022.

Elle s’appuie sur trois piliers:

– «la souveraineté des données (y compris le contrôle du cryptage et de l’accès aux données), 

– la souveraineté opérationnelle (visibilité et contrôle sur les opérations des fournisseurs)

– et la souveraineté logicielle (offrant la possibilité d’exécuter et de déplacer les charges de travail cloud sans être dépendant d’un fournisseur particulier, y compris dans des situations extraordinaires telles que des sorties stressées). 

Autrement dit: celui qui veut stocker des données a le choix de l’endroit où les données sont hébergées, sans qu’elles soient connectées à l’infrastructure fibrée reliée aux datacenters de Google; et un chiffrement à clés publique et privée, cette dernière restant entre les mains des autorités luxembourgeoises, ce qui signifie que même en cas de problème avec les données, personne ne pourrait les lire. «Personne» est une donnée relative dans le monde de la sécurité. Il existe de nombreux exemples de clouds mal configurés et les cybercriminels sont toujours de plus en plus «vifs» quand il s’agit d’accéder à nos données, notamment bancaires et de santé.

Amener de l’expertise au Luxembourg

«Luxembourg dispose de compétences significatives dans les domaines visés et a une excellente réputation mais cela ne suffit pas pour combler la demande de talents. L’arrivée de la marque Google permettra d’attirer des experts du monde entier vers Luxembourg – à l’instar de ce qu’Amazon fait déjà – et cela devrait renforcer l’écosystème», commente encore Gérard Hoffmann, tandis que Paul Konsbruck ajoute que «l’annonce d’une présence physique au Luxembourg avec une équipe pour le “go-to-market” de solution cloud est très importante pour nous parce qu’ainsi, nous disposerons des experts très proches de la technologie et des interlocuteurs directs pour le lancement du produit qui sera opéré par les équipes spécialisées de Proximus/Telindus Luxembourg».

C’est une plateforme qui n’existe pas encore ailleurs, donc nous espérons attirer de l’intérêt de partout.

Gérard HoffmannCEOProximus Luxembourg

«Il s’agit d’un projet européen, note Gérard Hoffmann. Proximus est une entreprise avec une très longue histoire en Belgique et aussi au Luxembourg. Il s’agit d’un cloud souverain belgo-luxembourgeois. La plateforme, les serveurs seront hébergés dans les datacenters de LuxConnect au Luxembourg et les équipes Proximus en charge de l’opération seront aussi basées ici. Par contre, l’offre s’adresse à tous les clients concernés du groupe Proximus et au-delà à travers LuxConnect, au Benelux et ailleurs. C’est une plateforme qui n’existe pas encore ailleurs donc nous espérons attirer de l’intérêt de partout.»

«LuxConnect a été chargée l’an dernier par le gouvernement de mener des études sur le potentiel et les besoins concrets dans le domaine du cloud au Luxembourg et plus précisément encore sur la faisabilité technique et commerciale d’un cloud souverain», se souvient le CEO de LuxConnect. «Des entretiens avec une multitude d’acteurs et d’utilisateurs potentiels de plusieurs secteurs ont été réalisés et nous sommes convaincus aujourd’hui qu’il existe un véritable besoin pour une solution comme nous la proposerons maintenant. Il était clair dès le début qu’il faudrait une technologie ultra-performante et que nous aurons besoin d’avoir recours à un opérateur européen avec des équipes locales. Proximus répond à ces critères et nous sommes très fiers de cette coopération belgo-luxembourgeoise. Nous avons un accord sur la création d’une nouvelle entreprise qui sera basée au Luxembourg. Cette joint-venture sera en charge de l’opération et de la commercialisation du produit.»

«Le projet du cloud souverain sera opérationnel en fin d’année 2023. En ce qui concerne l’implémentation d’un centre d’excellence, des entretiens avec le secteur de la recherche et d’autres interlocuteurs auront lieu dans les prochaines semaines afin de concrétiser des projets de coopération», a commenté la porte-parole du Premier ministre, Céline Derveaux.

La technologie évolue, l’acceptation de Google peut-être aussi

L’opération est aussi un moyen de faire passer la pilule d’un gel du développement du datacenter de Bissen. Chez Google, on indique ne pas avoir de nouvelles à partager et, sur RTL, le Premier ministre, (DP), a . Que deviendront les 33,7 hectares de terrain dans la commune de Bissen? L’État a-t-il envie de les voir bloqués?

C’est encore difficile à dire. Si le dossier a trainé, c’est en raison des craintes des écologistes, d’abord sur la consommation énergétique et désormais plutôt sur la consommation d’eau. Dans les deux cas, la technologie progresse et Google, déjà engagé dans une démarche de transparence sur la consommation énergétique, a entamé la même démarche avec l’eau et .

«La situation autour des terrains à Bissen reste inchangée à ce stade. Toutes les étapes nécessaires sont terminées et le projet pourrait être entamé. Par contre, Google nous a fait savoir que le contexte économique, l’inflation et surtout la pression sur les prix de l’énergie en Europe font que des projets d’investissement d’une certaine ampleur ne sont pas prioritaires pour l’instant», répond Céline Derveaux.

Le temps permettra peut-être de réunir les deux points de vue dans un contexte où l’on fabrique de plus en plus de données et que l’on est encore loin d’arriver à des sommets. Or pour ranger les «romans numériques», il faudra de plus en plus de «bibliothèques». Si elles ne sont pas physiquement au Luxembourg, les autorités devront non seulement se passer des entrées d’argent générées par ces entreprises, des créations d’emplois, même peu spectaculaires, une fois que le datacenter est construit. Mais surtout trouver des accords d’extraterritorialité avec ses voisins, notamment comme la Belgique.

Il serait alors ubuesque d’accueillir les données de la Commission européenne, de l’Estonie ou de Monaco et de devoir aller héberger nos données ailleurs.