Gwladys Costant et Nicolas Hurlin, de la Federation for Recruitment, Search & Selection (fr2s) évoquent les enjeux de la diversité et de l’inclusion. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Gwladys Costant et Nicolas Hurlin, de la Federation for Recruitment, Search & Selection (fr2s) évoquent les enjeux de la diversité et de l’inclusion. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Gwladys Costant et Nicolas Hurlin, de la Federation for Recruitment, Search & Selection (fr2s) évoquent les enjeux de la diversité et de l’inclusion.

La population professionnelle apparaît comme fortement diversifiée. Le pays est considéré comme cosmopolite. Les entreprises peuvent-elles pour autant être considérées comme de bonnes élèves sur les enjeux de diversité et d’inclusion?

Nicolas Hurlin (N. H.)– «Le Grand-Duché est un pays bien plus multiculturel que d’autres en raison de sa taille, mais aussi de la dynamique économique qui l’anime. 50% de la population résidente n’est pas luxembourgeoise. Près de la moitié des personnes actives sont des travailleurs frontaliers. Ce n’est pas une situation nouvelle. Si, effectivement, on trouve au Luxembourg des personnes venant de divers horizons, les questions de diversité et d’inclusion constituent toujours un enjeu fort pour les entreprises. Il est beaucoup plus prégnant aujourd’hui qu’il y a quelques années.

Or, on constate que, dans beaucoup d’entreprises, la culture est empreinte de l’origine de ses dirigeants. Dans une entreprise italienne, par exemple, il est rare de trouver des dirigeants qui émanent d’un autre pays. De telles situations peuvent être constatées à bien des égards, pas uniquement sur des critères linguistiques.

(G. C.)– «Au premier abord, on pourrait, en effet, penser que le Luxembourg est un bon élève. Cependant, le fait de travailler avec différentes nationalités ne signifie pas que l’entreprise mène une politique affirmée d’intégration et d’inclusion culturelle correspondant aux attentes aujourd’hui exprimées par la nouvelle génération de travailleurs. La diversité, c’est d’être invité à la fête. L’inclusion, c’est d’être invité à danser à la fête.

Pourquoi ces sujets sont-ils devenus plus importants pour les entreprises?

N. H. –«D’abord, une bonne appréhension de ces enjeux à l’échelle de l’entreprise constitue une des réponses à la pénurie de talents à laquelle la plupart des acteurs font actuellement face. D’une part, il est nécessaire d’aller chercher ces talents au-delà des viviers habituels et donc d’aller à la rencontre de populations plus diversifiées. Dès lors, il devient nécessaire de mettre en place des politiques d’inclusion et d’intégration garantissant la cohésion des équipes.

G. C. –«Celles-ci, pour fonctionner, doivent s’inscrire au cœur de l’ADN de l’entreprise. Il faut un alignement entre le discours que l’on porte à ce sujet et les engagements effectivement pris en la matière. On voit d’ailleurs que les acteurs sont désormais évalués, tant au niveau interne qu’externe, par les clients, par exemple, sur ces sujets.

Ces enjeux de diversité et d’inclusion ont aussi beaucoup avancé ces dernières années en réponse aux directives européennes luttant contre la discrimination dans les milieux professionnels. Les cadres et les pratiques évoluent. À titre d’exemple, 7.800 hommes ont pris leur congé parental en 2023 à Luxembourg contre 5.400 femmes.

Comment les entreprises évaluent-elles leur performance en matière de diversité et d’inclusion?

N. H. –«Les entreprises ne peuvent avancer dans cette voie que si elles développent une connaissance en interne de la situation à l’échelle de leur organisation. Elles doivent pouvoir évaluer comment ces enjeux de diversité et d’inclusion sont vécus, l’image que leur politique en la matière renvoie à leurs collaborateurs. Il est donc nécessaire de pouvoir établir des tableaux de bord relatifs à ces sujets, de mesurer leur diversité, qu’elle soit culturelle, religieuse, sexuelle ou autre. Bien que ces données relatives soient sensibles, les acteurs économiques les collectent de manière anonyme afin de pouvoir agir sur ces sujets.

Si le recrutement est un levier de diversification, il faut rester vigilant.
Nicolas Hurlin

Nicolas Hurlin

Parmi les leviers permettant de renforcer la diversité, le recrutement est un enjeu majeur. En tant que recruteurs, de quelle manière êtes-vous mobilisés vis-à-vis de ces enjeux?

N. H. –«L’entreprise qui souhaite féminiser ou masculiniser (cela va dans les deux sens) une fonction ou un département aura en effet tendance à solliciter son recruteur, lui demandant d’intégrer ces critères au cœur de sa recherche. Si le recrutement est un levier de diversification, il faut rester vigilant. Bien que partant d’une bonne intention, une telle démarche peut aussi conduire à des formes de discrimination si elle est poussée à l’extrême.

Pour certaines fonctions, il y a des limites héritées du système éducatif dont il faut tenir compte. Les profils RH ou dans le domaine de la communication seront davantage féminins. Ceux actifs dans l’IT auront plus tendance à être masculins.

G. C. –«Cela dépend souvent du niveau de la maturité des entreprises vis-à-vis de ces sujets. Les grands groupes internationaux, qui travaillent sur ces questions depuis près de dix ans, vont, par exemple, nous demander que la short list des candidats présentés soit équilibrée, notamment au niveau des genres. C’est d’ailleurs essentiellement sur ce critère que les demandes portent.

On constate que les entreprises moins matures sur ces sujets, de plus petite taille, ont tendance à continuer à chercher des profils qui leur ressemblent, pour la simple et bonne raison que cela fonctionne mieux. Cela dure jusqu’à un certain moment. Dans un environnement dynamique, qui exige une grande adaptabilité, une entreprise qui n’est pas assez diversifiée perd en compétitivité, peine à retenir et attirer des talents.

Au-delà du recrutement, quels sont les autres leviers stratégiques permettant de renforcer la diversité et l’inclusion au niveau de l’entreprise?

G. C. –«Le recrutement est loin d’être le seul levier. Travailler sur l’inclusion, c’est mettre en place une politique globale. Cela implique de travailler sur divers critères, comme l’évaluation inclusive en interne, la promotion, la rémunération et le recrutement. C’est toute la chaîne de valeur RH qui doit être mobilisée vis-à-vis de ces enjeux. Il ne faut, en outre, pas limiter cela uniquement à la gestion des ressources humaines.

C’est une problématique corporate qui, comme on l’a dit, doit être portée par la direction, se traduire dans les engagements de l’entreprise. Et il faut pouvoir en rendre compte de manière transparente.

N. H. –«C’est effectivement sur le recrutement que l’on va observer de manière tangible la volonté d’une structure de renforcer sa diversité. Sur les pratiques de recrutement, l’employeur ne peut pas se cacher. En l’occurrence, il faut veiller à un recrutement inclusif, autrement dit un processus qui va donner à chaque candidat la même chance d’être sélectionné par l’entreprise.

Le sujet de la mobilité, toutefois, est aussi important. Une politique d’inclusion doit également permettre aux collaborateurs d’avoir plusieurs vies, plusieurs métiers au sein de l’entreprise. À ce niveau aussi, on voit une différence relativement grande entre les petites structures et les multinationales, ces dernières étant souvent plus matures sur ces questions. Elles ont souvent plus de possibilités de proposer de nouvelles opportunités à des collaborateurs désireux d’évoluer ou ne se sentant plus à leur place.

Quels sont les obstacles à l’inclusion dans le milieu du travail?

G. C. –«Le principal obstacle à l’inclusion, c’est souvent nous. On constate, au Luxembourg, que le sujet a fortement évolué. Que la diversité n’est plus la même qu’il y a dix ans, avec notamment des bassins de personnes étrangères, venues de contrées situées au-delà des frontières de l’Europe, de plus en plus importants. Là où ça coince encore, c’est dans les biais cognitifs dont nous pouvons être victimes. En l’occurrence, il existe différents types de biais. Par exemple, on va naturellement émettre un jugement, faisant une généralité au départ d’un détail ou au regard d’une habitude qui nous est propre, conduisant à des conclusions hâtives.

Comment lutter contre ces biais?

N. H. –«Si l’on revient sur le recrutement inclusif, on peut évoquer cinq éléments.

Premièrement, il s’agit de rédiger une offre d’emploi qui soit inclusive. Il faut être le plus neutre possible afin d’assurer l’égalité à chaque candidat ou à chaque personne qui aurait envie de postuler. Préciser «jeune et dynamique» ou encore «diplômé d’une grande école» dans l’offre d’emploi crée de la discrimination.

Deuxièmement, il faut veiller à évaluer les candidats uniquement sur les compétences requises pour le poste. Troisièmement, il faut diversifier les sources, éviter d’aller toujours chercher les candidats dans les mêmes milieux. Quatrièmement, il faut assurer l’égalité de traitement de tous les candidats. Enfin, pour lutter contre les biais, ces jugements qui s’imposent à nous sans le vouloir, contre lesquels il est difficile de lutter, il est essentiel de former les équipes à la non-discrimination.

G. C. –«Il est nécessaire d’éviter que la politique de diversité et d’inclusion s’affiche comme un phénomène de mode sans être vécue. Il faut éviter cette tendance à utiliser, par exemple, la présence d’une femme dans un comité de direction comme faire-valoir de la diversité au sein de l’entreprise ou comme une forme de totem.

Le fait qu’une femme accède à des responsabilités, ce rôle-modèle, ne constitue-t-il pas un levier de développement pour la diversité?

G. C. –«C’est tout à fait vrai. Je dis qu’il ne faut pas y recourir sous la forme d’un prétexte pour justifier une politique de diversité et d’inclusion qui ne soit pas vécue. On parle de diversité quand ces spécificités représentent 30% de l’effectif.

Si cette réalité n’est pas effective, on ne peut pas parler de diversité et la personne utilisée pour afficher cette prétendue diversité, qu’il s’agisse d’une femme, d’une personne d’origine étrangère, d’une personne handicapée ou LGBT+, sert avant tout de caution. C’est cela qui est contre-productif.

N. H. –«C’est pour cela que ces politiques doivent être vécues à travers toute l’entreprise. Il est nécessaire qu’elles soient portées par le top management et se déclinent à tous les niveaux. La diversité et l’inclusion ne doivent pas être imposées. Cela ne fonctionne pas. C’est un enjeu culturel, des considérations qui doivent grandir dans l’entreprise, s’intégrer dans les processus. C’est pour cela que la formation est un levier-clé.»

La plus importante discrimination vécue au Luxembourg concerne les travailleurs seniors.
Gwladys Costant

Gwladys Costant

Il y a donc encore du chemin à parcourir…

G. C. –«Si l’on considère les chiffres du Centre pour l’égalité de traitement en 2021, la principale discrimination restait l’origine ethnique. Cela représentait 31% des cas de discrimination. En tant que recruteurs, nous sommes encore confrontés à cette problématique, avec des employeurs qui n’ont pas conscience de cette réalité du marché du travail luxembourgeois avec de nombreux candidats qui sont des ressortissants non européens.

Cependant, je pense que la plus importante discrimination vécue concerne les travailleurs seniors. Il est rare qu’un de nos clients demande de recruter un profil ayant plus de 25 ans d’expérience. Or, les plus de 50 ans représentent un cinquième de la population active. Cela veut dire que si l’on ne développe pas des politiques de diversité et d’inclusion plus cohérentes, tenant compte de cette population, la problématique des talents devrait être encore plus criante dans les années à venir.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam paru le 28 février 2024. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via