Le pic hospitalier devrait baisser à partir de début mai, estime le Dr Emile Bock. Il restera à définir un plan de sortie de crise en évitant un effet de retour du virus. (Photo: HRS)

Le pic hospitalier devrait baisser à partir de début mai, estime le Dr Emile Bock. Il restera à définir un plan de sortie de crise en évitant un effet de retour du virus. (Photo: HRS)

Les équipes d’urgentistes des Hôpitaux Robert Schuman (HRS) sont sur le pont pour adapter leur organisation et la logistique à la vague de nouvelles infections au Covid-19 attendue pour mi-avril. Une course contre la montre qui révèle aussi combien les systèmes de santé devront être repensés après cette crise inédite. Immersion avec le Dr Emile Bock, médecin coordinateur des urgences aux HRS.

Dr Bock, quel est l’état de la situation dans la lutte que vous menez au quotidien contre le Covid-19?

Emile Bock. – «Les choses sont actuellement sous contrôle. Nous sommes dans une phase ascendante, mais gérable, de prise en charge de patients que nous répartissons en trois filières: Covid-19, non Covid-19 et peut-être Covid-19. À titre d’exemple, 40 patients sont passés lundi par la filière Covid-19. 11 sont hospitalisés actuellement. Nous avons trois patients en réanimation, dont deux patients venus de Mulhouse grâce à l’aide proposée par le gouvernement luxembourgeois aux autorités françaises. Nous profitons de cette phase durant laquelle nous ne sommes pas encore débordés pour préparer notre logistique en vue d’affronter la vague à venir.

Vous sentez-vous prêt à affronter cette vague ou le pic annoncé d’ici deux semaines par la ministre de la Santé?

«Nous serons complètement opérationnels à partir de jeudi. Nous avons bloqué la route devant l’hôpital au Kirchberg pour installer une tente géante qui nous servira de poste médical avancé, une sorte de filtre médical par lequel tous les patients transiteront. Cela nous permettra de décider de la suite à donner à chacun. Les symptômes sont très variables dans le cas du Covid-19. La prochaine étape doit être l’arrivée d’un scanner installé dans un conteneur et qui nous permettra, à ce même niveau, de donner un diagnostic plus précis que le test. Nous avons aussi ajusté l’organisation des équipes pour assurer les rotations nécessaires. Notre objectif a été jusqu’ici de préparer la logistique, peaufiner les formations, s’équiper et partager un maximum d’informations.

Ce sont des situations qui soudent les équipes.
Dr Emile Bock

Dr Emile Bockmédecin coordinateur des urgencesHRS

Quelles sont vos capacités de prise en charge?

«Sur base des 700 places en lit dont nous disposons globalement, nous avons élaboré des plans pour étendre le secteur des Covid-19 le plus possible, en fonction des besoins qui seront évolutifs dans le temps. Notre équipe est composée d’une quarantaine de personnes: l’équipe habituelle d’infirmières, de médecins urgentistes, mais aussi un renfort d’étudiants stagiaires de l’Université et d’autres aides au niveau infirmier.

Quel est le moral des troupes?

«Ce sont des situations qui soudent les équipes. Nous menons une réunion d’équipe tous les soirs par vidéoconférence, il y a aussi beaucoup d’humour. C’est important dans cette période de grand stress. Du reste, nous communiquons beaucoup, nous partageons l’information, nous communiquons aussi sur les angoisses. Des supports psychologiques sont prêts pour épauler nos équipes.

Le nerf de la guerre, c’est la ventilation.
Dr Emile Bock

Dr Emile Bockmédecin coordinateur des urgencesHRS

Le plus dur est donc encore à venir…

«Nous travaillons avec un outil prédictif qui nous permet d’évaluer le pic des nouvelles infections pour le 29 mars et le pic des nouvelles prises en charge 15 jours après, soit aux alentours du 15 avril. C’est donc à partir de début avril que nous nous attendons au nombre le plus important des cas les plus graves. Pendant ce temps, nous allons continuer à rechercher des respirateurs artificiels. Nous en avons 70, mais nous continuons à en rechercher tous azimuts. Cet équipement est essentiel pour venir en aide aux cas les plus graves. Le nerf de la guerre, c’est la ventilation.

L’usage d’un médicament, en l’occurrence la chloroquine, pour atténuer les effets du Covid-19 est évoqué en France. Qu’en pensez-vous?

«Aucune piste vraiment probante n’existe à mon sens. Ce n’est pas pour rien que le ministère français de la Santé veut poursuivre les études sur le sujet de la chloroquine. Le Covid-19 est avant tout un problème de ventilation mécanique. Le traitement le plus efficace disponible actuellement est le respect des consignes de distanciation sociale et la protection de la population fragile (personnes âgées, patients avec pathologies cardiaques et pulmonaires chroniques, diabétiques et immunosupprimés).

Autre question récurrente dans l’actualité: l’approvisionnement en masques de protection. Disposez-vous d’un stock suffisant?

«C’est un souci permanent pour tous les hôpitaux, mais pour l’instant, nous disposons d’un stock suffisant. Cela restera une priorité, car nous adaptons à la hausse nos protocoles d’hygiène pour nos équipes. Nous devons éviter de nous retrouver dans une situation, comme à certains endroits en France ou en Italie, où nous disposerions de moins de matériel, mais plus de malades. L’équation ne serait pas bonne…

Les vrais problèmes surviennent lorsqu’on doit s’organiser et s’adapter en pleine crise.
Dr Emile Bock

Dr Emile Bockmédecin coordinateur des urgencesHRS

Un dernier écueil: confondre le coronavirus et une mauvaise grippe…

«Celui qui pense que c’est une mauvaise grippe doit regarder ce qui se passe en Italie ou en France. On en reparlera après, mais je crois que certains n’ont pas véritablement évalué la gravité des choses au bon moment…

Qu’en est-il de cette prise de conscience au Luxembourg? Est-elle venue à temps du côté des autorités?

«La prise de conscience est venue assez rapidement, et les choses sont très rapidement montées en puissance. L’énergie s’est rapidement portée vers l’adaptation de nos moyens avant que la hausse des infections, et donc que la crise, ne survienne. C’est un atout. Nous disposons d’une semaine d’avance. Les vrais problèmes surviennent – et nous l’avons vu à l’étranger – lorsqu’on doit s’organiser et s’adapter en pleine crise.

Demandez-vous des mesures plus fortes aux autorités, et donc le confinement total de la population?

«Le confinement total ne fait du sens que lorsque les consignes ne sont pas respectées. D’après mes observations, elles sont relativement bien respectées ici. On le voit d’ailleurs sur nos courbes de mesures qui montrent que le nombre de cas graves baisse dans les prévisions. Il faut que les consignes continuent à être respectées, que les personnes venant d’un foyer différent qui sortent restent à distance de deux mètres les unes des autres, et surtout éviter d’approcher des personnes trop fragiles. Les maisons de retraite doivent être sanctuarisées.

Nous devons faire en sorte que la courbe des hausses soit la plus plate possible pour ne pas mettre le système sanitaire sous pression. Plus sérieuse sera la population à l’égard des consignes, plus nous aurons des chances de pouvoir gérer l’afflux de malades. 80 à 85% des cas se guérissent. C’est plus grave pour les autres, et mortel pour d’autres.

Le système de santé était-il armé pour faire face à une telle crise?

«Nous en reparlerons après la crise, mais les urgentistes mènent un combat depuis plusieurs années. À titre personnel, je pense que nous aurions dû mettre en place un plan Marshall pour les urgences il y a quelques années. Nous sommes en train de le mettre en place en deux ou trois semaines en réponse à une crise majeure. Cette crise met en lumière les choix politiques du passé dans le domaine de la santé (politique de réduction des lits, limitation des effectifs, etc.). Nous serons confrontés, à l’avenir, à un choix de société quant au système de santé dont nous voulons nous doter.

Cette crise du coronavirus a mis en lumière l’importance des frontaliers pour assurer le bon fonctionnement du secteur de la santé. Comment percevez-vous cette particularité luxembourgeoise?

«Nous avions identifié très tôt ceci comme un problème éventuel lors d’une crise telle que celle que nous vivons. La fermeture des frontières est un vrai sujet. Il faut tout faire pour l’éviter.

Je m’interroge sur la levée du confinement et ses conséquences si le virus n’est pas suffisamment contenu.
Dr Emile Bock

Dr Emile Bockmédecin coordinateur des urgences HRS

Assiste-t-on en direct à un nouveau chapitre dans la santé planétaire, avec des virus qui entraînent le confinement d’un milliard d’humains?

«Après la crise sanitaire, le problème pourrait être la crise économique. En tant que médecin, je m’interroge sur la levée du confinement et ses conséquences si le virus n’est pas suffisamment contenu. Nous risquerions un phénomène de retour dangereux. Il faut trouver un plan pour limiter ce scénario et faire repartir l’économie. Le maître mot pour y arriver sera le dépistage.

Un dépistage total?

«C’est mon opinion, mais pour faire repartir l’économie et s’assurer que la population ne court pas de risque de contamination, il faudra faire un test de dépistage sur l’ensemble de la population à un moment donné et confiner les cas avérés. Il faudra ensuite répéter les tests qui permettront de resserrer le cercle des personnes contaminées en adoptant les bonnes mesures. Parallèlement, nous devrons consolider les structures hospitalières et disposer d’un modèle prédictif quant aux conséquences en fonction de la levée progressive des restrictions. Et ce afin d’éviter que nos infrastructures médicales ne soient dépassées. Tout en tentant de trouver un vaccin ou un traitement définitif…

Jusqu’à quand pensez-vous que les mesures actuelles prévaudront?

«Le pic hospitalier devrait baisser à partir de début mai. La question sera ensuite de mettre en place un plan de gestion de sortie de crise. Il faut y réfléchir dès à présent, sinon nous serons confrontés à une grande crise économique.»