Silke Bernard, investment funds partner et global head of investment funds practice chez Linklaters, décrypte les opportunités du nouveau régime de l’Eltif. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Silke Bernard, investment funds partner et global head of investment funds practice chez Linklaters, décrypte les opportunités du nouveau régime de l’Eltif. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Plusieurs promoteurs de fonds se préparent à l’entrée en vigueur du nouveau régime de l’Eltif en 2023, l’Eltif 2.0. Aligné avec les réalités du marché, l’Eltif 2.0 devrait s’accompagner d’une augmentation, tant du nombre d’Eltif que d’investisseurs de détail.

Le premier fonds européen d’investissement à long terme (Eltif) luxembourgeois était créé en novembre 2016 par Partners Group, une société suisse d’investissement dans le private equity. L’enregistrement de ce fonds faisait suite à l’adoption de la première version du règlement Eltif (European Long-Term Investment Funds), un an plus tôt, en avril 2015.

, investment funds partner et global head of investment funds practice chez Linklaters, faisait partie de l’équipe qui conseillait Partners Group dans la structuration et le processus d’approbation de ce premier Eltif de l’histoire de la Place. «Tout comme aujourd’hui, de nombreux investisseurs de détail plaçaient leur argent sur un compte en banque de manière passive. Notre client avait alors compris le potentiel de fournir un accès aux investisseurs de détail à la performance des marchés privés», explique l’associée de Linklaters. Jusqu’alors, de tels investissements pour les investisseurs de détail nécessitaient encore le recours à des constructions complexes.

À l’heure actuelle, Partners Group en est à son cinquième Eltif et en a d’autres en préparation. D’autant plus qu’une nouvelle itération du règlement Eltif aboutira dans le courant de 2023, communément appelée Eltif 2.0.

Un alignement pragmatique

Jusqu’à présent, les investisseurs de détail pouvaient investir dans des fonds créés sous le régime de l’Eltif, mais des batteries de tests devaient être appliquées en fonction d’une grille de seuils de montants. Ce qui compliquait l’accès à ce type de fonds alternatifs. L’arrivée prochaine de l’Eltif 2.0 devrait changer la donne, selon Silke Bernard: «Le client particulier n’investissait donc pas facilement dans des Eltif, tandis que ce devrait prochainement être le cas.» Il reviendra aux distributeurs d’analyser individuellement si ce type d’instrument correspond au profil de l’investisseur. Ainsi, les règles d’acceptation des investisseurs de détail sont harmonisées avec les directives Mifid et les règles de marketing qui s’appliquent à l’ensemble des produits financiers.

Des définitions, des possibilités d’investissement et des critères ont été revus et alignés avec la réalité.
Silke Bernard

Silke Bernardinvestment funds partner et global head of investment funds practiceLinklaters

Avec l’Eltif 2.0, les possibilités d’investissement seront en outre rendues plus flexibles et élargies. Par exemple, un Eltif pourra investir dans des fonds de fonds ou des organismes de titrisation. «Des définitions, des possibilités d’investissement et des critères ont été revus et alignés avec la réalité», précise Silke Bernard, notant une approche nettement plus pragmatique du règlement que dans sa version précédente.

L’appétit des promoteurs

Les possibilités offertes par la nouvelle itération du règlement encadrant les fonds européens à long terme attirent déjà de nombreux promoteurs de fonds. «Il y a clairement un intérêt accru. Nous travaillons environ sur une vingtaine d’Eltif en ce moment. Tout le monde voudrait être prêt quand l’Eltif 2.0 entrera en vigueur», souligne Silke Bernard.

L’intérêt se trouve même accentué par le fait qu’une proposition de texte – dont la version finale n’a pas encore été rendue publique – permettrait que les gestionnaires de ce type de fonds puissent se soumettre aux nouvelles règles dès leur publication et non seulement neuf mois plus tard, comme initialement prévu. Grâce à cette subtilité, «beaucoup de gestionnaires qui ont un appétit pour les Eltif sont actuellement en train de préparer leurs documents», indique Silke Bernard.

Il y a clairement un intérêt accru. Nous travaillons environ sur une vingtaine d’Eltif en ce moment. Tout le monde voudrait être prêt quand l’Eltif 2.0 entrera en vigueur.
Silke Bernard

Silke Bernardinvestment funds partner et global head of investment funds practiceLinklaters

D’une part, les promoteurs ont compris l’opportunité offerte par la possibilité de transférer une partie des dépôts bancaires de la clientèle de détail européenne vers les Eltif. D’autre part, ceux qui tardaient à se lancer dans la course observent l’engouement de leurs pairs et suivent finalement le mouvement.

La position luxembourgeoise

Si le Luxembourg a été précurseur dans la création d’Eltif, force est également de constater que plus de 50% des Eltif sont enregistrés au Grand-Duché. Un résultat obtenu notamment en raison du niveau de préparation, tant du côté de l’industrie des fonds que du régulateur. L’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi) a créé une expertise interne sur les Eltif via un groupe de travail, et la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a, pour sa part, créé une expertise dédiée sur le sujet.

Le Grand-Duché est donc le lieu idéal pour les Eltif? «Le Luxembourg est en quelque sorte la juridiction naturelle des Eltif, car ce sont des fonds de détail. Nous disposons de toutes les administrations centrales qui sont justement habituées à ce type d’investisseurs», note Silke Bernard.

Le Luxembourg est en quelque sorte la juridiction naturelle des Eltif.
Silke Bernard

Silke Bernardinvestment funds partner et global head of investment funds practiceLinklaters

Tous les pays européens ne disposent pas d’une expertise sectorielle similaire. La facilité d’accès des investisseurs particuliers aux Eltif va impacter de nombreux acteurs qui, jusqu’ici, n’avaient pas l’habitude de la relation commerciale avec une clientèle de détail et, par conséquent, de gérer des volumes de flux élevés.

L’esprit européen de l’Eltif

Un Eltif domicilié au Luxembourg tombe naturellement sous la supervision de la CSSF, au même titre qu’un équivalent en Belgique, en France ou en Allemagne est régulé par les autorités de surveillance financière respectives de ces pays. Supervisé au niveau national, mais pouvant être distribué à tous les investisseurs de détail dans les 27 États membres, un Eltif dispose ainsi d’un «passeport marketing» européen. D’ailleurs, «c’est le seul produit qui peut être vendu à tous les citoyens européens», rappelle Silke Bernard.


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De par son nom, sa définition réglementaire et son potentiel de commercialisation, l’Eltif possède une forte empreinte européenne dans son ADN. Découlant du Plan Juncker qui a donné lieu au lancement de l’Union des marchés des capitaux, les Eltif y trouvent une place de choix. «L’Eltif est arrivé avant la création de l’Union des marchés des capitaux, mais l’Eltif y est clairement mentionné», explique Silke Bernard, ajoutant: «L’Eltif a été un précurseur à l’Union des marchés des capitaux. Il s’agit d’un produit européen encadré par un règlement européen qui est le même pour tous. Cela s’inscrit donc logiquement dans l’idée de l’Union des marchés des capitaux.»

L’une des motivations d’adopter le règlement Eltif était de canaliser l’argent privé vers le financement de l’économie réelle, dont les infrastructures, la recherche ou les PME.
Silke Bernard

Silke Bernardinvestment funds partner et global head of investment funds practiceLinklaters

Au-delà de son ancrage réglementaire et commercial européen, l’Eltif est né avec la finalité de favoriser des investissements à long terme dans l’économie réelle européenne. De la sorte, il est censé contribuer à la croissance économique, au développement, à la création d’emplois et à la transition des industries vers le «net zero». Comme le précise Silke Bernard: «L’une des motivations d’adopter le règlement Eltif était de canaliser l’argent privé vers le financement de l’économie réelle, dont les infrastructures, la recherche ou les PME.»

Le régime de l’Eltif reste cependant relativement récent et n’a pas encore atteint son plein potentiel. En octobre 2022, seuls 81 fonds étaient enregistrés sous le régime de l’Eltif. En revanche, ce chiffre devrait être amené à grimper rapidement. L’objectif étant de diriger une partie de l’épargne vers le financement de l’économie réelle, l’arrivée de l’Eltif 2.0 pourrait également servir à alléger la charge des gouvernements dans leur mission de refinancement des secteurs et opérateurs économiques qui ont souffert au cours de la pandémie de Covid-19 et ceux qui sont impactés par l’actuelle crise des matières premières, l’inflation et le risque de récession. Une solution gagnante tant pour les investisseurs, les promoteurs de fonds et les finances publiques.