Pour Luc Brucher, «il s’agira également de s’atteler à apporter des solutions convaincantes face à la montée des inégalités renforcées par la pandémie et qui sont un frein majeur au développement, à la prospérité et à la stabilité».  (Photo: Deloitte Luxembourg)

Pour Luc Brucher, «il s’agira également de s’atteler à apporter des solutions convaincantes face à la montée des inégalités renforcées par la pandémie et qui sont un frein majeur au développement, à la prospérité et à la stabilité».  (Photo: Deloitte Luxembourg)

Quels seront, en 2021, les principaux enjeux des suites de la crise pour l’État et les institutions? Sur invitation de Paperjam, plusieurs experts répondent à cette question. Pour Luc Brucher, partner, public sector & healthcare leader chez Deloitte Luxembourg, la digitalisation des services publics sera une problématique centrale, mais pas la seule.

La pandémie que nous traversons a consacré un fait majeur: le retour des gouvernements et de l’action publique au premier plan. La supposée perte d’influence qui semblait se dessiner avant la crise, au profit d’une myriade d’autres acteurs, principalement privés, s’est rapidement trouvée contredite par le rôle central des pouvoirs publics dans la gestion de la crise. Cela est évidemment vrai sur le plan sanitaire, mais aussi économique, financier ou encore sur celui de l’éducation.

Ce retour sur le devant de la scène, alors que cette crise n’est pas encore derrière nous, appelle à un certain nombre de constats et ouvre de nouvelles perspectives d’action pour les pouvoirs publics, au niveau national, mais aussi au-delà des frontières.

Pour une e-gouvernance des pouvoirs publics

Sans surprise, la crise a démontré le rôle pivot de la digitalisation des services publics dans la capacité des pouvoirs publics à maintenir leurs activités auprès de la population. De la télémédecine, qui a connu une accélération sans précédent, à l’éducation à distance, essentielle afin de maintenir le lien entre enseignants et élèves au plus fort de la crise, en passant par l’accès en ligne aux démarches administratives, y compris celles de soutien aux acteurs économiques impactés, c’est un faisceau complet de services publics clés qui a démontré la place fondamentale qu’occupe la digitalisation.

C’est donc l’ensemble des interactions entre le citoyen et les services publics qui, à terme, est amené à être repensé.
Luc Brucher

Luc Brucherpartner, public sector & healthcare leaderDeloitte Luxembourg

Le besoin d’adaptabilité et d’accessibilité des services publics dans un contexte incertain va ainsi continuer à être un axe de travail majeur pour les institutions, qui devront s’ancrer durablement dans de nouveaux processus et pratiques, y compris par le travail à distance de leurs propres agents, s’appuyer sur de nouvelles compétences et explorer de nouvelles manières de se mettre au service de leur population. C’est donc l’ensemble des interactions entre le citoyen et les services publics qui, à terme, est amené à être repensé. La création récente du ministère de la Digitalisation a, en ce sens, un rôle prépondérant à jouer pour s’appuyer sur le momentum créé par la crise et accélérer de manière décisive ces transformations.

Cette nouvelle donne devra être couplée à une réévaluation des outils et canaux de communication, mais aussi à une réelle prise en compte de leur impact. La pandémie et sa cohorte de fausses informations, propagées à toute vitesse sur les réseaux sociaux, ont posé une lumière crue sur la difficulté de faire parvenir une information de qualité à l’ensemble de la population. La parole publique, mais aussi celle des experts chargés d’éclairer son action, se doit de réfléchir de manière proactive à la façon dont elle peut préserver la confiance, œuvrer à la cohésion et appuyer ses actions par une communication précise, inclusive et effective.

Négocier habilement la sortie de crise

En parallèle, un autre défi se profile à un horizon proche pour les pouvoirs publics – la gestion d’une sortie de crise, dont de nombreux experts s’inquiètent. La mise sous perfusion d’une partie non négligeable de l’économie ne saurait être une solution pérenne. L’accompagnement des acteurs économiques et les solutions qui leur seront proposées pour se relever, mais aussi et peut-être surtout se transformer, y compris par des initiatives de reskilling et d’upskilling, seront au centre de la capacité de rebond de l’économie.

Aux côtés d’un principe de destruction créatrice inhérent aux modèles économiques pérennes, il s’agira de protéger les acteurs dont les fondamentaux et les processus de transformation engagés permettent d’envisager une croissance génératrice de valeur ajoutée sur le long terme.

Des solutions concertées pour un impact accru

Au niveau transfrontalier, les enjeux de mobilité, de fiscalité, de communication ou encore de diversification, mais aussi ceux posés par les conséquences du recours au télétravail, ainsi que, plus largement, les modalités de coopération entre les acteurs et institutions publiques au cœur de la Grande Région sont nombreux. La crise a montré que la construction de modèles et plateformes de coopération entre parties prenantes, permettant agilité dans les décisions, fluidité dans le partage d’informations et préservation de l’égalité entre citoyens de chaque côté des frontières, est un enjeu majeur pour un territoire profondément interconnecté et interdépendant. Cette situation est vraie pour de nombreuses régions européennes et appelle à repenser les modèles de gouvernance régionaux, afin de tenir compte de ces enjeux.

Confrontées à de nombreux pans de population fortement touchés par les conséquences de la crise, notamment la jeunesse, les autorités publiques devront apporter une combinaison de réponses pragmatiques et de court terme aux défis rencontrés par leurs citoyens. En parallèle, il s’agira de proposer de réelles perspectives d’avenir en commun en définissant une stratégie de long terme s’appuyant sur d’ambitieux plans d’investissement et de transformation. À ce titre, le plan de relance luxembourgeois, au même titre que ceux de ses partenaires, doit impérativement viser à soutenir et stimuler les secteurs d’avenir, ainsi qu’à répondre aux difficultés révélées par la crise en termes d’indépendance des secteurs vitaux, tels que la santé, les chaînes logistiques ou encore la protection des données dans le cyberespace. Il s’agira également de s’atteler à apporter des solutions convaincantes face à la montée des inégalités renforcées par la pandémie et qui sont un frein majeur au développement, à la prospérité et à la stabilité. Enfin, l’ensemble de ces actions nécessitera d’intégrer de manière croissante la dimension de durabilité comme principe directeur des politiques et des investissements déployés.

Dans ce contexte, le Luxembourg, par sa stabilité, son pragmatisme éclairé, la robustesse de ses finances et sa capacité à se positionner avec intelligence et agilité sur des secteurs d’avenir, peut agir comme un laboratoire des transformations profondes présentes et à venir.