«Parce que dans la majorité des cas, les acquéreurs de biens immobiliers s’endettent sur de très longues périodes, le marché immobilier se révèle fort logiquement hypersensible au loyer de l’argent», résume Pierre Ahlborn. (Photo: Mike Zenari/Archives)

«Parce que dans la majorité des cas, les acquéreurs de biens immobiliers s’endettent sur de très longues périodes, le marché immobilier se révèle fort logiquement hypersensible au loyer de l’argent», résume Pierre Ahlborn. (Photo: Mike Zenari/Archives)

La Fondation Idea publiera la semaine prochaine un cahier thématique consacré au logement. Y figurent notamment des prises de position d’experts et d’observateurs avisés du sujet et, plus largement, des rouages du pays. Paperjam en livre un premier aperçu via la contribution de Pierre Ahlborn sur les taux d’intérêt.

s’exprime via cette publication à titre personnel.

«Le taux d’intérêt est tout simplement le prix le plus important qui soit. Loyer de l’argent, il détermine le coût de financement et d’opportunité d’un investissement. Le prix de l’ensemble des actifs du système économique et financier est par conséquent directement relié au niveau et à l’évolution des taux d’intérêt.

Le loyer de l’argent donne également une valeur au facteur temps. C’est ainsi qu’avec la décision de la Banque centrale européenne durant la crise de la zone euro d’abaisser ses taux directeurs à zéro, le temps, supposé être de l’argent, n’a virtuellement quasiment plus eu de valeur. À taux zéro, emprunter 1 million, 2 millions ou 10 millions d’euros pendant 1 jour, 1 an, 2 ans ou 10 ans ne coûte plus rien. Les emprunteurs s’accommodent de cet environnement d’argent dit ‘facile’, les épargnants beaucoup moins puisque dans un contexte de taux 0 et d’inflation même basse (e.g. 2%), l’épargne, non rémunérée, perd de sa valeur; 100 euros d’épargne au bout d’un an vaudront toujours 100 alors que ce qui coûtait 100 un an auparavant reviendra à 102.

‘Immobilier’ contient le mot ‘immobile’, qui suggère ses caractéristiques principales, à savoir son attachement à un lieu donné, son ancrage géographique et sa dimension temporelle. Parce que dans la majorité des cas, les acquéreurs de biens immobiliers s’endettent (à taux fixe ou variable) sur de très longues périodes, le logement et le marché immobilier en général se révèlent fort logiquement hypersensibles au loyer de l’argent.

Un prêt d’un million d’euros sur 20 ans au taux fixe de 1,5% coûtera (en intérêts) 158.000 euros. S’il s’agit d’un emprunt à taux variable et que le taux passe illico à 3%, le coût total sera, pour le même emprunt, de 330.000 euros. Entre ces deux situations, les mensualités (intérêts + capital) auront évolué de 4.825 à 5.545 euros.

Autrement exprimé, si un ménage est en mesure de consacrer la somme de 4.825 euros tous les mois durant 20 ans au remboursement de son emprunt, il peut nourrir l’espoir de contracter un crédit immobilier d’un million d’euros au taux de 1,5%; à 3%, il devra se reporter sur un logement qui vaut 870.000 euros.

Symétriquement, si les taux reculent (e.g. de 3 à 1,5%), un ménage pourra en principe financer un bien plus grand au même coût (ou le même bien à moindre coût)… à condition que le prix du m2 reste stable. Or, il n’en sera rien, car l’apparente diminution de charges d’intérêts permise par la baisse des taux sera en partie une illusion. Comme tous les acheteurs potentiels pourront emprunter à meilleur taux, ils soumettront au même moment des offres d’achat de plus en plus élevées; et tant que la demande restera supérieure à l’offre, les prix des biens augmenteront significativement, ce qui tendra à annihiler l’avantage de réduction de taux.

L’importante chute des taux d’intérêt n’a pas été une aubaine pour les candidats à l’accession à la propriété.
Pierre Ahlborn

Pierre Ahlborn

C’est précisément ce qu’il s’est passé au Luxembourg, où il y a un manque persistant de logements offerts sur le marché, dans le sillage de la baisse agressive des taux directeurs de la BCE décidée dans le contexte de la Grande Récession et de la crise de la zone euro. Contrairement à ce que l’on a fait miroiter au citoyen en quête d’un logement, l’importante chute des taux d’intérêt n’a pas été une aubaine pour les candidats à l’accession à la propriété puisqu’elle a mécaniquement conduit à une hausse spectaculaire des prix immobiliers! Ce sont les propriétaires d’actifs réels (terrains constructibles, immeubles) – mais également les détenteurs d’actions cotées en bourse – qui ont été les grands gagnants de l’environnement d’argent ‘bon marché’ via l’envolée de la valeur de leur patrimoine, d’où la montée des inégalités sociales depuis 2008.

Les taux courts, utilisés pour déterminer le tarif des crédits à taux variables, sont directement fixés par les Banques centrales. Les taux longs, qui exercent une forte influence sur les taux fixes des crédits immobiliers, fluctuent en fonction de la demande et de l’offre d’argent et d’une série d’autres facteurs, dont notamment les anticipations d’inflation. Quand les anticipations d’inflation s’ancrent à des niveaux de plus en plus élevés, les taux longs tendent à se redresser sensiblement. C’est ce qui a eu lieu début 2022; en l’espace de 6 mois, les taux fixes sur des durées de 25 ans ont quasiment doublé, passant grosso modo de 1,5 à 3%. Le renversement d’effets de levier causé par ce renchérissement du crédit, après que les taux d’intérêt hypothécaires ont été à des niveaux bas aussi longtemps et que les prix immobiliers ont atteint des niveaux aussi élevés, est d’une magnitude majeure. Les ménages ressentent ce tremblement via la réduction de leur capacité d’emprunt et le marché immobilier par le biais du recul du nombre de transactions.

Une baisse des prix, c’est-à-dire une crise immobilière, est un facteur de risque systémique.
Pierre Ahlborn

Pierre Ahlborn

S’agissant des prix, il n’y a eu jusqu’à présent aucune correction. Pourtant, avec des acquéreurs/investisseurs privés d’‘argent facile’, tous les prix d’actifs, donc y compris ceux de l’immobilier, devraient en principe, après avoir fortement progressé entre 2009 et 2021, se réajuster en fonction des nouvelles conditions de financement.

Sans ce réajustement, c’est-à-dire sans une baisse importante du prix des logements, l’accès à la propriété deviendra encore plus difficile avec la hausse des taux. Mais une baisse des prix, c’est-à-dire une crise immobilière, est un facteur de risque systémique, c’est-à-dire un potentiel déclencheur de crises financière, économique, sociale et de finances publiques.

Les Banques centrales, confrontées à la hausse de l’inflation et à la nécessité de sortir de l’ère de l’‘argent facile’, font donc face à des choix monétaires bien difficiles; à se demander si ces choix ne sont pas devenus politiques!»