Distanciation physique, lavage des mains, limitation des contacts sociaux… «La situation actuelle exige que l’on respecte scrupuleusement ces règles», souligne le Dr Emile Bock. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Distanciation physique, lavage des mains, limitation des contacts sociaux… «La situation actuelle exige que l’on respecte scrupuleusement ces règles», souligne le Dr Emile Bock. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Les équipes médicales et soignantes des hôpitaux ont entamé leur deuxième marathon en moins d’un an pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Après des défis organisationnels en mars, l’enjeu est cette fois de disposer de suffisamment de personnel. Car le virus n’épargne personne. Témoignage avec le docteur Emile Bock.

Nous l’avions sollicité en mars dernier, . Huit mois plus tard, le médecin coordinateur des urgences aux Hôpitaux Robert Schuman (HRS) témoigne des défis auxquels doit faire face le personnel médico-soignant à l’entame de la seconde vague.

Quel est votre état d’esprit?

Dr Emile Bock. – «Nous nous attendions et redoutions une telle évolution, l’arrivée d’une seconde vague. Son ampleur, plus forte que la première, et sa durée, plus longue, vont évidemment représenter un défi énorme pour le secteur de la santé. Nous sommes actuellement dans la phase ascendante de cette vague et nous n’en connaissons pas le pic. Nous attendons aussi de voir l’effet des dernières mesures annoncées par le gouvernement, qui mettent statistiquement 10-15 jours à se matérialiser.

Êtes-vous prêts pour faire face à cette seconde vague?

«La première vague de mars-avril nous a permis de consolider notre organisation, tant d’un point de vue logistique que des infrastructures. Nous sommes quasiment en autosuffisance pour le matériel puisque les Hôpitaux Robert Schuman, par le biais de leur société sœur Santé Services, produisent des masques chirurgicaux et, sous peu, seront capables de fabriquer des masques FFP2. Le Luxembourg est également capable de relancer la production de vêtements de protection en Tyvek.


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Les flux élaborés initialement dans l’urgence ont été intégrés dans des infrastructures durables et attenantes à l’hôpital (container de pré-triage, scanner Covid…). Au vu de l’augmentation récente des prises en charge des patients atteints du Covid-19, nous avons par exemple étendu le secteur Covid à l’intérieur, construit cinq nouveaux box d’examen permettant d’isoler les patients. L’organisation médico-soignante est adaptée au jour le jour au flux des patients Covid et non Covid.

Le retour de cette expérience de mars vous a donc aidés…

«Oui, au niveau de la logistique, de l’organisation des urgences et de la séparation des flux Covid et non Covid. Actuellement, nous avons aussi limité les tâches administratives internes, en reportant tout ce qui n’est pas essentiel. Le défi sera de gérer à la fois les soins Covid et les soins non Covid urgents. La médecine non Covid programmée est déjà impactée à ce stade en raison du manque de personnel, car nous devons composer avec des mises en quarantaine ou des cas positifs au sein de notre personnel et la montée en flèche des patients infectés hospitalisés.

Comment percevez-vous les prises de position d’élus du Grand Est ou de la province de Luxembourg belge, qui déclarent que le Luxembourg «débauche sauvagement» du personnel hospitalier?

«Toute l’Europe est en crise, c’est en partie compréhensible. Je pense que certaines régions – y compris le Luxembourg – paient aujourd’hui des années de restrictions budgétaires et de non-formation dans ces carrières qui sont éprouvantes, mal valorisées et qui ne sont plus choisies par les jeunes. Je souligne que le départ de personnel hospitalier des régions voisines est moins dû aux aspects salariaux qu’aux meilleures conditions de travail que nous proposons au Luxembourg, trois médecins urgentistes du Grand Est qui se sont expatriés, l’un en Suisse, l’autre en Belgique et le troisième au Luxembourg.

La réflexion doit toujours être adaptée en fonction de trois considérations: la santé, la société et l’économie.

Emile Bockmédecin coordinateur des urgencesHôpitaux Robert Schuman

Combien de patients Covid pourriez-vous accueillir?

«Les HRS exploitent 703 lits; la montée en puissance actuelle prévoit jusqu’à trois étages Covid, en essayant de préserver une médecine normale. La limite n’est pas tellement au niveau du nombre de lits de soins normaux ou de respirateurs, mais bien du personnel médico-soignant pour assurer une prise en charge de qualité.

L’idée d’une réserve sanitaire qui puisse être activée a-t-elle du sens?

«À ma connaissance, elle n’a jamais été déployée dans les hôpitaux et semble limitée en nombre à l’heure actuelle. Ça aurait du sens de la déployer dans les maisons de soins, car le traitement est assez codifié, pour le permettre avec le plus haut niveau de qualité pour les patients dont un séjour en réanimation n’apporterait aucun bénéfice et pour lesquels un séjour à l’hôpital constitue un véritable stress par rapport à leur milieu habituel.

Nous pouvons aussi imaginer des solutions d’hospitalisation à domicile en collaboration avec les réseaux de soins à domicile pour préserver les structures hospitalières et même encadrer des patients opérés dont le séjour est limité de manière prévisible. Les médecins généralistes pourraient jouer un rôle central dans une telle organisation. L’imagination n’a pas de limites quant aux solutions à trouver dans une situation de crise.

Des mesures plus drastiques doivent-elles être mises en place pour freiner cette seconde vague? Un reconfinement?

«La réflexion doit toujours être adaptée en fonction de trois considérations: la santé, la société et l’économie. L’économie doit aussi continuer à tourner autant que possible pour éviter une catastrophe à ce niveau; les effets sur notre comportement sociétal sont déjà palpables. Il faut donc dimensionner le secteur de la santé pour qu’il puisse absorber le flux de patients, quelle que soit leur pathologie, et leur garantir la plus haute qualité de soins. Concernant les écoles, rien ne peut justifier de sacrifier l’éducation d’une génération. Ce sont les jeunes qui représentent le futur des trois piliers que je viens de citer.


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Le confinement tel que nous l’avons connu en mars n’est, aujourd’hui, pas nécessaire?

«Tout de suite, non. Si, par contre, les hôpitaux et les équipes de réanimation se retrouvaient saturés, nous n’aurions pas le choix. Ceci dit, peu importe les mesures, il faut que les gens se rendent compte qu’ils sont eux-mêmes la solution au problème avec toujours les mêmes règles: restez chez vous, limitez les contacts, portez un masque également dans l’espace public, respectez les distances, lavez-vous les mains… La situation actuelle exige que l’on respecte scrupuleusement ces règles.

Y aura-t-il un avant et un après-Covid dans les hôpitaux?

«Je l’espère, et pas seulement pour les hôpitaux, mais pour le secteur de la santé dans son ensemble. Nous sommes toutefois encore dans la gestion de cette crise plus que dans l’anticipation. Nous courons derrière le virus, alors que nous devrions courir devant lui. Je regrette que la CNS n’ait pas encore bien saisi l’enjeu du manque d’effectifs et de la nécessaire dimension que doit prendre l’effort budgétaire pour faire face à cette situation. Les postes supplémentaires de personnel médico-soignant qui nous ont été attribués cet été ne font que combler un déficit chronique. Or, les moyens humains sont l’élément-clé. Le personnel médico-soignant sera le nerf de la guerre lors de cette phase de la crise, mais également au-delà.


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Quel est l’état d’esprit des équipes?

«Tout le monde est revenu en mode ‘combat’ quand la deuxième vague a commencé. On y était préparé. La fatigue est là, mais le moral est bon. Il faudra tenir le coup. Le métier de soignant est plus une vocation qu’un travail. Je ne suis pas inquiet par rapport à la motivation des équipes de soigner les patients, même si ce sera dur.

Des accompagnements sont-ils prévus sur le plan psychologique?

«Nous avions déjà mis en place un programme d’accompagnement lors de la première vague, qui a été peu utilisé compte tenu de sa durée relativement courte. Des équipes de psychologues et de psychiatres continuent d’aller de façon proactive à la rencontre des gens pour prévenir autant que possible des situations difficiles.

Comment vivez-vous ceci personnellement?

«C’est notre métier, mais l’ampleur et la durée de la crise sont inédites. Les nuits sont courtes, les journées sont longues. Nous savons que nous ne sommes qu’au début de cette deuxième vague. Nous sommes partis pour un marathon.»